En l'espace de huit ans, une jeune femme déploie son chant, crée une œuvre et se retire. Juste le temps de poser les bonnes questions. Celles qui dérangent. Celles qui disent la fureur en dedans.
Née en 1973, Nelly Arcan, de son vrai nom Isabelle Fortier, s'est fait connaître en 2001 avec Putain, un premier roman percutant et dérangeant, dans lequel elle parle de son métier d'escorte. Il sera suivi de deux autres livres, soit Folle (2004) et À ciel ouvert(2007). Le 24 septembre 2009, l'auteure s'est donné la mort. Quelques jours après paraissait Paradis, clef en main. Deux ans plus tard, son ultime ouvrage, Burqa de chair, est publié et propose des récits inédits, dont La robe et La honte.
Les mots de Nelly Arcan sont porteurs de questionnements qui habitent Sophie Cadieux sur la projection du féminin dans notre univers ultra-sexualisé et pourtant en quête d'hyperromantisme. Pour la deuxième saison de sa résidence d'artiste à ESPACE GO, la comédienne a souhaité explorer le territoire intime de cette œuvre et faire entendre la pensée de l'auteure autrement que par le spectre de la sexualité spectacle.
Ainsi, sept jeunes femmes, sept « Schtroumpfettes » comme Nelly se plaisait à les appeler, raconteront l'effroi de vivre de l'auteure, c'est-à-dire d'habiter un corps de femme. Exposé et convoité. Elles témoigneront de ce désir commun d'être LA Schtroumpfette. Unique. Désirée.
Pour donner corps aux mots de Nelly Arcan, la metteure en scène Marie Brassard (JIMMY, CRÉATURE DE RÊVE, PEEPSHOW, MOI QUI ME PARLE À MOI-MÊME DANS LE FUTUR) s'entoure d'une équipe d'artistes multidisciplinaires issus de différents horizons et poursuit ses expériences technologiques, dont l'exploration des manières possibles d'utiliser le son au théâtre.
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Collaboration à l'adaptation et dramaturgie : Daniel Canty
Assistance à la mise en scène : Nadia Bélanger
Décor : Antonin Sorel
Costumes : Catherine Chagnon
Musique : Alexander MacSween
Maquillages : Jacqies-Lee Pelletier
* Le texte de LA FUREUR DE CE QUE JE PENSE est tiré de Putain et Folle de Nelly Arcan, publiés par les Editions du Seuil, de même que de L'enfant dans le miroir, publié par Marchand de Feuille, repris dans Burqua de chair, publié par les Editions du Seuil.
Une production d'Espace Go
par Véronique Voyer
La fureur d’un esthétisme ; puissance & vide de sens
Statique. Fixe. IsoléE… Les mots qui se fraient un chemin à la sortie de ce spectacle reflètent la scénographie ; six femmes sont dans une boite, à la merci de leur mal. Le quatrième mur est palpable, c’est une grande vitre qui isole la voix, comme un cellophane sur une boîte à poupée. L’effet est pénible tout comme le goût amer, ce désespoir qui transcende les mots de Nelly. Ce spectacle offre six femmes bien habillées, peignées, maquillées et perdues, qui tanguent dans des gestes vains ; elles sont seules ensemble.
L’autofiction de Nelly Arcan emprunte le chemin du subjectif pour nous toucher, tous, autour de problèmes universels qu’elle révèle à travers son expérience personnelle. C’est un acte de courage incroyable de publier son mal, en espérant que cela puisse servir à autrui. Nelly Arcan a fait preuve d’une confiance aveugle en brisant les tabous de la maladie mentale et de la prostitution, elle a fait de son expérience personnelle un problème politique1. Or, ce spectacle, s’inspirant de son œuvre, est déprimant.
S’agit-il d’un hommage posthume, d’une critique de la société ou d’un simple copier-coller de stéréotypes? Fragmenté, le récit est audacieux, car la forme s’adapte au genre post-dramatique et le traitement électronique de la voix lui donne une efficacité alarmante, malgré les longueurs. La force de ce message est décuplée à travers la voix de six femmes qui se partagent l’obsession et les problèmes d’une seule. Ainsi, le sens devient problématique, car elles portent toutes la mort comme seule issue à la culpabilité, le dégoût
de leur condition et l’angoisse qui les habite.
La logique de l’histoire est aussi complexe qu’un puzzle à trois morceaux. D’abord, il a fallu plaire à son père et être bonne aux yeux de Dieu. Puis, il a fallu plaire aux hommes et perdre la face aux yeux de Dieu. Et finalement, mourir, se tuer, comme si c’était la seule issue. Il s’agit de trois temps, présentés comme si la cause initiale ne pouvait offrir une autre solution alternative que cette finale. Perpétuer le stéréotype normalise le geste et cette équation est présente sur plusieurs plans tout au long du spectacle.
Par exemple, la beauté des actrices, la mise en scène des standards de ce qui est sexy se situent dans la zone grise du discours féministe, entre marchandisation du corps et liberté du geste. Le suicide ouvre un tout autre monde et ce spectacle aborde ce thème sans préciser si le mal de vivre issue de Putain et Folle révèle les causes de la mort de Nelly dans La fureur de ce que je pense. Est-ce que la douleur est un spectacle, est-ce qu’on peut laisser les spectateurs applaudir comme si c’était normal? Ça ne devrait pas être normal. Est-ce que ce spectacle se devait d’être féministe? Peut-être pas. Les écrits de Nelly apportaient un peu de lumière sur la condition féminine, même s’il explorait ces lieux sombres où l’humiliation et le mépris font partie du quotidien. Ce spectacle n’éclaire rien, il dissèque le mal.
1 «The Personal is Politics », Carol Hanisch, Notes from the Second Year: Women’s Liberation in 1970, Sexual Politics