Une femme rentre chez elle. À la porte de son appartement, à cet instant précis, elle se dit qu'elle pourrait abandonner son travail et tout quitter. Partir à Prague. Pour donner un sens à sa vie. Sans avertir personne. Avec l'intention de ne donner aucune nouvelle et de rester à l'étranger assez longtemps pour être déclarée disparue.
TU IRAS LA CHERCHER est un monologue qui porte sur la notion d’identité. Une femme part à la recherche d’elle-même avec cette impression persistante d'être en retard sur sa vie.L’histoire est racontée à la deuxième personne par l'actrice, si bien que le spectateur se retrouve lui aussi à poursuivre cette femme et à partager son désir de tout quitter. La vérité de ce récit se trouve peut-être à mi-chemin entre le spectateur et l’actrice, dans l’imaginaire.
Lors de la première saison de sa résidence d’artiste à ESPACE GO, Sophie Cadieux a fait entendre les mots de TU IRAS LA CHERCHER lors d'une série de lectures qui nous a permis de découvrir quatre versions différentes du texte, dans quatre lieux distincts, par autant d'actrices. Aujourd'hui, pour faire de ce texte intimiste un nouveau terrain d’exploration, elle a convié la comédienne Marie-France Lambert à plonger avec elle dans un projet de création pour lequel elle signera sa première mise en scène.
Né en 1980 dans le village de Coteau-Station, Guillaume Corbeil a terminé en 2011 une formation en écriture dramatique à l’École nationale de théâtre du Canada. En 2010, il signait une biographie du metteur en scène André Brassard, parue aux éditions Libre Expression. Il est aussi l’auteur d’un recueil de nouvelles, L’art de la fugue, et d’un roman, Pleurer comme dans les films. La saison dernière, le Théâtre PÀP présentait avec succès sa pièce CINQ VISAGES POUR CAMILLE BRUNELLE, dans une mise en scène de Claude Poissant.
Section vidéo
Équipe de création
Marie-Aube St-Amant Duplessis
Max-Otto Fauteux
Anne-Marie Levasseur
Ginette Noiseux
Tarif :
Régulier 35$
30 ans
et moins 27$
65 ans et plus 28$
Rencontre avant le spectacle
Jeudi 13 mars 2014
Guillaume Corbeil, auteur
Sophie Cadieux, metteure en scène
par Daphné Bathalon
Après nous avoir offert l’an dernier Cinq visages pour Camille Brunelle, véritable succès critique et populaire de la saison 2012-2013, Guillaume Corbeil récidive avec le sobre et très beau Tu iras la chercher, un récit entièrement écrit à la deuxième personne du singulier.
Une femme, qui ne sait plus tout à fait qui elle est, ni ce qu’elle fait là, attablée devant cette femme (une amie?) qui lui raconte ses malheurs, décide sur un coup de tête de partir pour Prague, peut-être à la poursuite d’une autre femme, peut-être pour y retrouver qui elle est vraiment. Elle décrit le moindre geste, la moindre pensée, comme si elle assistait à sa vie en tant que spectatrice et se regardait agir, derrière une vitre.
Difficile pour le spectateur, malgré la froideur apparente du texte — introduite par cette narration inhabituelle et le ton d’abord monocorde de l’actrice — de demeurer totalement détaché de ce qu’il entend. Interpellé par ce grand « tu », il n’a d’autre choix que de se sentir inclus ou de répondre mentalement aux questionnements de la femme. Le spectateur ne peut s’empêcher de visualiser les scènes ou les actions évoquées, de devenir le reflet de cette autre en scène, d’en faire sa propre voix, d’en devenir le reflet et d’épouser sa quête identitaire. Car qui ne s’est jamais senti étranger à lui-même pendant au moins quelques instants? Qui ne s’est jamais demandé s’il était l’original ou une simple copie d’autres identités, et si un seul de ses souvenirs lui appartenait vraiment? Est-on réellement ce qu’on affiche ou cherche-t-on plutôt à correspondre à l’image et au ton qu’on attend de soi?
Avec ce court monologue, qui ne dure en fait qu’une trentaine de minutes, Guillaume Corbeil démontre une nouvelle fois son habileté à manier le texte comme une partition, parsemant son récit de citations percutantes qu’on voudrait graver dans sa mémoire, et se jouant des mots tout autant que du ton. Il nous présente avec précision cette femme égarée loin d’elle-même sans jamais la décrire ou nous dévoiler la moindre information sur elle. Une seule écoute ne suffit pas pour entendre toutes les subtilités du texte. Heureusement, une fois parvenue à la conclusion que « tôt ou tard, tu le sais, tu repartiras la chercher », la femme incarnée par Marie-France Lambert reprend son monologue de zéro. Mais sa voix perd peu à peu de sa neutralité, se fait plus hésitante, plus nuancée, son contrôle lui échappe par moments, si bien que le public redécouvre le texte sous un nouvel éclairage, littéralement. Le corps de la femme, moins rigide, marque aussi l’hésitation, bouge plus naturellement. À quelques mots près, il s’agit pourtant du même texte, de la même série d’événements perturbants pour cette femme en perte d’identité.
La scénographie géométrique et épurée de Max-Otto Fauteux se prête parfaitement à l’univers de la femme en représentant des lieux aseptisés ou anonymes comme les aéroports, lieux de transit par excellence indifférenciés et indifférenciables. Entièrement blanc, éblouissant pendant la première partie du spectacle, il se pare de couleurs entières, sans compromis en deuxième partie, tandis que la froideur de la femme se fissure et laisse voir la fragilité qui la sous-tend.
Pour cette production, qui clôt sa résidence de trois ans au théâtre Espace Go, Sophie Cadieux propose une mise en scène découpée au scalpel de la précision. Son travail d’orfèvre sert magnifiquement le texte de Corbeil tout en s’effaçant pour laisser briller le talent de la comédienne. Seule en scène, Marie-France Lambert livre une performance à la hauteur de l’intensité qu’on lui connaît. Figée d’un côté de la scène pendant de longues minutes, la comédienne ne manque pourtant pas de nous happer dès qu’elle ouvre la bouche pour s’adresser à nous, à elle-même... on ne sait trop qui elle tutoie ainsi. L’interprète maîtrise son texte presque à la virgule près, et nous emporte dans les tourments du mal être de la femme, de sa quête d’identité, sur terre et dans les airs à la poursuite de cette autre qui n’est peut-être en fait qu’elle-même, toujours en avance tandis qu’elle est à la traîne, essoufflée par cette quête sans fin, éternellement à recommencer.