Réflexion mordante et insidieuse sur la compassion, GRANDE ÉCOUTE de Larry Tremblay entre dans l'univers d'un professionnel de la télé, Roy, un journaliste-animateur qui présente aux téléspectateurs des rencontres intimes avec des gens prêts à partager leur vécu, leurs désirs et leurs névroses. Roy, habile interviewer, à la fois sincère et manipulateur, réussit à rendre séduisant le bizarre, le complexe et l'inutile. Cependant, sa vie avec sa femme, son fils et son valet de coeur est bien loin du bonheur apparent.
Larry Tremblay, auteur des pièces ABRAHAM LINCOLN VA AU THÉÂTRE, THE DRAGONFLY OF CHICOUTIMI et CANTATE DE GUERRE nous offre avec GRANDE ÉCOUTE un joyeux paradoxe entre bref et profond, entre superficiel et réel, entre déni et mépris. Le metteur en scène Claude Poissant, qui plonge ici avec jouissance dans le trafic des sentiments, signe ainsi une quatrième collaboration avec Tremblay.
Assistance à la mise en scène : Jérémie Boucher
Décor : Geneviève Lizotte
Costumes : Marc Senécal
Éclairages : Erwann Bernard
Musique : Nicolas Basque
Maquillages : Florence Cornet
Conception photo et vidéo Janicke Morissette et Studio 301
La rencontre du Théâtre PÀP
Le vendredi 27 février 2015, avec
Claude Poissant, metteur en scène et l’équipe du spectacle
Une production du Théâtre PÀP
par Geneviève Germain
Le moins qu’on puisse dire est que le dramaturge Larry Tremblay aime créer des personnages uniques, souvent à mi-chemin entre la réalité et la fiction. Après notamment Le Ventriloque qui donnait voix à une poupée-adolescente aux prises avec une famille étouffante, Abraham Lincoln va au théâtre qui présentait un étrange trio théâtral, puis The Dragonfly of Chicoutimi qui mettait de l’avant un homme en pleine quête identitaire, la plus récente pièce de l’auteur dépeint le monde étrange, superficiel et tortueux d’un animateur de talk-show. Cette nouvelle incursion dans l’univers si particulier de Larry Tremblay marque également une quatrième collaboration avec le metteur en scène Claude Poissant, dans une production du Théâtre PÀP.
Grande écoute s’intéresse à l’univers médiatique et surtout à un animateur : Roy. À la télévision, il remue ses invités de tous côtés, usant d’une apparente compassion pour les faire parler au sujet de leurs plus grands secrets. Dans l’intimité, il entretient une relation malsaine avec sa femme où le détachement règne et où tous deux se répondent à coup de remarques crues et incisives. Roy fréquente également un bar où il se confie à son valet de cœur, lequel l’écoute et l’appuie malgré l’attitude méprisante et insensible de l’animateur. Lentement, les certitudes de Roy se décomposent et il n'arrive plus à retrouver son équilibre, comme si animer son talk-show l'avait fait dériver de sa propre vie et oublier son identité.
La pièce emprunte des airs surréalistes autant dans les propos que dans les aspects visuels. Les entrevues menées par Roy décortiquent les vies d’invités qui en sont réduits à des objets de curiosité. Du jeune boxeur qui parle mieux que la moyenne, mais qui n’a jamais fait l’amour, à une jeune femme devenue instantanément star parce qu’elle est fille de ministre et que sa mère s’est suicidée par immolation, en passant par un ex-itinérant devenu millionnaire en trouvant un billet de loto, les invités de Roy contribuent à démontrer la vacuité des contenus présentés dans ce talk-show. Seul le spectacle compte et Roy s’en donne à cœur joie pour guider ses invités vers des confidences bizarres et incongrues. Le décor met aussi l’accent sur le côté clinquant des entrevues à l’aide de gros néons multicolores et de musiques dramatiques pour remplir les silences ou meubler les moments où des vidéos sont présentés dans le cadre du talk-show.
En fait, tout est un peu étrange dans Grande écoute et on sent un fond satirique qui souligne à gros traits les effets pervers de la spectacularisation. Denis Bernard dans la peau de Roy transmet bien ce côté désincarné de l’animateur qui se perd entre son don pour le spectacle et la réalité de sa vie personnelle. Macha Limonchik dans le rôle de Mary, la femme de Roy, joue sur la froideur et les propos mordants de son personnage. La mise en scène de Claude Poissant pousse chacun des acteurs vers les limites de la caricature, exploitant leurs traits si particuliers sans jamais tout à fait franchir la frontière vers l’imaginaire. Ils sont parfois flamboyants, comme lorsque le valet de cœur (Jean-Philippe Perras) reprend la barre de l’animation, ou criants d’une vérité dérangeante, comme lorsque le fils de Roy, Willy (Alexandre Bergeron), devient lui-même invité du talk-show, malgré le fait qu’il soit réduit à un état quasi végétatif suite à une tentative de suicide ratée.
La pièce laisse derrière elle une drôle d’impression d’avoir assisté à un spectacle où le bizarre côtoie le réel. Sur fond de vérité, le dramaturge Larry Tremblay bâtit un espace unique qui dépeint les côtés les plus obscurs d’un homme manipulateur malgré une certaine sincérité. Cela contribue à créer une certaine distance entre le public et l’histoire. Malgré la curiosité qui s’installe et qui maintient l’attention, il est difficile de s’identifier aux personnages et de démêler toute la complexité de la réflexion qui est présentée. La beauté de Grande écoute réside toutefois dans l’habile démonstration de l’absurdité de cette spectacularisation qui déloge l’essentiel.