Dans le roman Vers le Phare de Virginia Woolf, la famille Ramsay est en vacances dans sa résidence d'été en bord de mer en compagnie de plusieurs invités. Lorsque le petit James demande si demain ils partiront en bateau vers le Phare, son père déclare d'un ton autoritaire qu'il ne fera pas beau. Sachant que cette virée est importante pour son fils, Madame Ramsay se rassure en elle-même : « Non pas demain, mais bientôt, à la première belle journée. »
Dix ans passeront. La guerre, entre-temps, aura laissé un goût amer. Plusieurs reviendront à la propriété; certains d'entre eux prendront finalement part à l'expédition vers le phare. Restée à quai, la peintre Lily Briscoe entreprend à nouveau son tableau resté inachevé, tentant de redonner vie au paysage d'autrefois.
Pour amorcer sa résidence d’artiste à ESPACE GO, Evelyne de la Chenelière a souhaité revisiter le célèbre roman Vers le phare de Virginia Woolf et rendre compte de l'envahissement des voix dont souffrait l’auteure. Pour y parvenir, elle se met dans la tête de Virginia Woolf au moment où celle-ci créait son roman et donne vie à deux personnages clés : Madame Ramsay (Anne-Marie Cadieux), épouse et mère modèle, attentive aux gens qui l’entourent, et Lily Briscoe (Evelyne de la Chenelière), une artiste peintre solitaire qui souhaite conserver sa liberté pour créer.
Section vidéo
Assistance à la mise en scène : Martin Émond
Décor : Max-Otto Fauteux
Costumes : Ginette Noiseux
Lumière : Martin Labrecque
Son : Julien Éclancher
Réalisation vidéo : Pierre Laniel
Maquillages : Angelo Barsetti
Photo Leda & St.Jacques | Conception Cossette
Tarif :
Régulier 35$
30 ans
et moins 27$
65 ans et plus 28$
Les entretiens d'Espace Go
jeudi 13 novembre, avec
Denis Marleau, metteur en scène
Stéphanie Jasmin, collaboratrice artistique
par Geneviève Germain
Avec Lumières, lumières, lumières, Evelyne de la Chenelière donne un coup d'envoi tout en poésie et en délicatesse à sa sa résidence de trois ans à l'Espace Go.
Que reste-t-il d’un moment lorsqu’il est déjà passé? Bien qu’ancré en nous, ce moment n’est-il pas souvent modulé par notre regard, par le souvenir que l’on s’en fait, par la façon dont on le porte? Dans sa plus récente pièce, l’auteure de Bashir Lazhar et Des fraises en janvier donne vie aux pensées et aux perceptions les plus intimes de deux femmes diamétralement opposées en proposant un dialogue qui illustre la profondeur des états d’âme de ses protagonistes.
La pièce est inspirée du roman Vers le phare (To the Lighthouse, 1927) de Virginia Woolf, lequel a pour particularité de s’attarder tout particulièrement sur le processus de pensée de ses personnages, technique littéraire nommée le « flux de conscience ». Dans le même esprit, Lumières, lumières, lumières retient deux des personnages principaux du livre, Madame Ramsay et Lily Briscoe, respectivement mère de famille épanouie et artiste-peintre en quête d’indépendance, pour mettre en scène les réflexions qui les occupent. En s’attardant sur le regard qu’elles posent sur la vie et le temps qui passe, la pièce propose une expérience contemplative où l’accent est mis davantage sur les émotions et les ressentis évoqués que sur le déroulement du récit.
La mise en scène de Denis Marleau réussit en tous points à imager le dialogue intérieur de ces femmes par des jeux de miroirs qui nous font voir les personnages sous plusieurs angles, affichant les multiples facettes qui peuvent construire l’intériorité d’une même personne. Ces reflets rappellent également le miroir que chacune des femmes est pour l’autre, mais aussi la confrontation qu’elles peuvent s’apporter. D’ailleurs, le jeu de transparence et de reflets du décor anguleux combiné à un éclairage parcimonieux plonge la pièce dans une atmosphère onirique, qui transporte bien au-delà du réel ou du tangible.
En explorant les temps de verbe, tel le futur antérieur qui imiterait le ressac des vagues, les personnages recréent leur passé et explorent le passage du temps. La finesse de l’écriture d’Évelyne de la Chenelière dépeint leur introspection tout en douceur et sans jugement, osant même quelques pointes d’humour qui viennent parfois alléger leurs propos, comme lorsqu’elles se réjouissent que personne ne puisse vraiment savoir ce qu’elles pensent.
Bien que la pièce évoque une balade vers le phare pour le fils de Madame Ramsay qui n’aura finalement lieu qu’une décennie plus tard, les véritables phares de la pièce sont Anne-Marie Cadieux (Madame Ramsay) et Évelyne Rompré (Lily Briscoe) lesquelles illuminent la scène même lorsqu’elles sont immobiles, incarnant dans leur moindre souffle toute l’incandescence de ces femmes qui observent avec force et délicatesse le monde qui les entourent.
Lumières, lumières, lumières est une de ces pièces qui, malgré son format court de soixante minutes, continue de nous habiter après les applaudissements, témoignant de la grande habileté qu’a l’écriture d’Évelyne de la Chenelière d’évoquer des images mémorables.