Berlin, 1923. Une étudiante en dramaturgie fait la rencontre du jeune Bertolt Brecht. Honorée d’être l’élue d’un tel homme de théâtre, Cilly accepte de partager sa vie et son travail au sein d’un groupe de disciples femmes, qu’il exploite sans remords. Six ans plus tard, réalisant qu’elle ne peut s’imposer comme écrivaine à ses côtés, elle décide de prendre ses distances et quitte la ville.
Quelques mois plus tard, Cilly retourne dans la grande ville : Brecht souhaite créer l’une de ses pièces. Il n’avait qu’un signe à faire pour que la jeune femme revienne. Dès son arrivée au théâtre, tout va trop vite; Cilly craque sous la pression. Le spectacle fait scandale, Brecht l’avait orchestré. Elle choisit dès lors de vivre sa vie sans lui. De ne plus être dans sa lumière.
Avec Avant-garde, Marieluise Fleisser tente d’objectiver, trente-cinq ans plus tard et à travers son personnage de Cilly Ostermeier, ce qui s’est passé dans sa vie entre 1923 et 1929. Elle raconte l’expérience à la fois brute et complexe d’une femme confrontée à la création aux côtés d’un homme de génie. Dans ce texte bref, on découvre la force tourmentée de son personnage et de sa pensée, de même que l’originalité de son écriture.
Marieluise Fleisser est une auteure allemande née à Ingolstadt en 1901, dont les pièces les plus connues sont PURGATOIRE À INGOLSTADT (1924) et PIONNIERS À INGOLSTADT (1926), écrites alors qu’elle était la compagne de Brecht. En 1935, après l’avènement du nazisme, elle est interdite de publication et retourne dans sa ville natale. Ce n’est qu’à partir de 1945 qu’elle peut reprendre l’écriture, publiant romans et pièces de théâtre. Son œuvre est celle d’une femme qui expose aussi bien ses forces que ses faiblesses face aux tourments du désir et de l’amour. Au regard dominateur des hommes sur l’autre sexe, elle oppose des héroïnes qui se rebellent.
Collaboration artistique et vidéo Stéphanie Jasmin
Rencontre avec le public
Jeudi 23 mars 2017, à 18 h 30
Tarif
Général 37$
65 ans et + 30$
30 ans et - 28$
Forfaits disponibles pour plus d'un spectacle
Coproduction Espace Go et UBU
Auteure et dramaturge allemande majeure du milieu du siècle dernier, Marieluise Fleisser a connu un début de carrière fracassant avant d’être interdite d’écriture par le régime nazi. Si ses œuvres de jeunesse, redécouvertes après la guerre, ont fait sa renommée, l’intimiste Avant-garde (1963), dans lequel elle évoque ses années sous la coupe du grand Bertolt Brecht, a ensorcelé Denis Marleau qui le met en scène jusqu’au 15 avril à l’Espace GO. Un solo exigeant, sublimé par le talent de Dominique Quesnel.
Sauf qu’en réalité, Dominique Quesnel n’est pas seule sur scène, et le nom de Bertolt Brecht ne sera pas une seule fois prononcé. Sur une estrade encadrée de deux cubes en tissu fin, supports où seront projetés, une heure et demie durant, des clichés en noir et blanc, apparaît d’abord le chanteur Jérôme Minière, guitare en main. Quelques notes douces à l’oreille et nous voilà projetés dans l’Allemagne du début des années 1920. Tandis que le musicien se retire, la comédienne entre dans la lumière. À l’un l’atmosphère, à l’autre le récit.
Tailleur sobre comme seul costume et démarche mal assurée, la conteuse se lance sur la vie de la jeune Cilly Ostermeier. C’est en effet le nom donné par Marieluise Fleisser à son alter ego fictif, la compagne au statut flou du « poète », de celui qui impressionne par son charisme et dont on ne peut qu’admirer le génie. Comment s’épanouir dans l’ombre d’un tel homme, mais comment, tout à la fois, refuser la chance – et le privilège – d’être une muse parmi toutes les femmes qui gravitent autour de lui ? Derrière les mots hésitants ou vindicatifs de l’interprète, se dessine le double portrait d’un égoïste maladif, que l’on n’hésiterait pas à qualifier aujourd’hui de pervers narcissique, et d’une femme écrivain en face de son destin.
Avant-garde n’est pas une œuvre qui se dévoile facilement. La narration à la troisième personne instaure d’abord une distance entre l’intrigue et le public, et les trente premières minutes, ne reposant que sur le flux de paroles de l’interprète, déstabilisent. Mais il faut accepter de laisser son esprit vagabonder de temps à autre pour mieux se laisser happer, quelques instants plus tard, par le magnétisme de Dominique Quesnel. À elle seule, la comédienne de 53 ans remplit le plateau de personnages. De Cilly l’insoumise, qui s’échappe de l’emprise du maître pour venir se ressourcer dans sa Bavière natale, elle devient en une modulation de voix et quelques mimiques drolatiques le gaillard Nico, champion de natation local au futur tout tracé dans la boutique familiale. Un redressement imperceptible, une intonation teintée d’ironie, et ressurgit l’ombre du poète qui, dans la grande ville, a décidé de mettre en scène la pièce de Cilly sans l’avoir consultée. La jeune femme accourt et assiste à un scandale minutieusement orchestré, qui l’amènera à l’exclusion de sa communauté.
Toute sa vie, dont seul un pan est dévoilé ici, Marieluise Fleisser a dû lutter pour pratiquer son art. Contre un mentor destructeur, contre un époux sans ambition, contre une société ne pardonnant pas aux femmes le moindre écart, encore moins lorsqu’elles étaient auteures. Dans les réflexions qu’il apporte sur les rapports hommes-femmes, mais aussi sur l’amour et sur l’écriture théâtrale, le texte brille, et la comédienne qui le porte lui fait honneur. Alors qu’ils n’auraient pu être qu’anecdotiques, les interludes musicaux de Jérôme Minière, qui entonne de délicieux chants en allemand, sont des respirations salutaires qui finissent de convaincre l’assistance.