Alors qu’il se trouvait à Manhattan avec une délégation d’artistes pour l’événement Québec — New York 2001, Claude a capté les décombres de la tragédie du World Trade Center, à l’aube, le 12 septembre. Sa série photographique intitulée Le déclin aura fait le tour du monde et se sera arrêtée dans les plus grands musées. C’est toute sa génération qui se reconnaît dans la lumière étrange de ces épreuves en clair-obscur.
Printemps 2017, les amis de Claude, des universitaires de haut niveau, des professeurs et des artistes, vont se réunir autour d’un repas bien arrosé, dans un chalet de la campagne estrienne, aux abords de l’empire. Tandis que les hommes préparent le souper, les femmes s’exercent au yoga et relaxent dans des bains scandinaves. Les deux sexes se délient la langue sur leurs envies de chair et d’élévation, mettant à l’épreuve leurs propres codes moraux. Ils se retrouveront en face à face à l’heure du repas, dans une sorte de jeu cruel de petites vérités et de grands mensonges.
Trente ans après la fulgurante apparition de l’œuvre de Denys Arcand sur les écrans, le Théâtre PÀP l’investit d’une écriture scénique et dramaturgique. Alain Farah, écrivain et professeur à l’Université McGill, fait le saut dans l’écriture dramatique, accompagné par Patrice Dubois, directeur artistique de la compagnie. Ensemble, ils adaptent la partition originale. Les quarantenaires d’aujourd’hui, loin de constituer la même élite qu’autrefois, seront appelés à la barre pour témoigner de la déliquescence de leur propre monde.
Assistance à la mise en scène : Catherine La Frenière
Décor : Pierre-Étienne Locas
Éclairages : Alexandre Pilon-Guay
Costumes : Julie Breton
Son : Larsen Lupin
Rencontre avec le public
Vendredi 3 mars 2017, après la représentation
Tarif
Général 37$
65 ans et + 30$
30 ans et - 28$
Forfaits disponibles pour plus d'un spectacle
Production Théâtre PÀP
C’est à un défi casse-cou, s’il en est un, que se sont attaqués le metteur en scène et directeur artistique du Théâtre PàP, Patrice Dubois, et son acolyte, l’auteur Alain Farah, en adaptant Le déclin de l’empire américain. Faire passer ce classique du cinéma québécois de l’écran à la scène, d’abord, mais surtout, transposer l’œuvre culte de Denys Arcand des années 1980 à aujourd’hui, sans que ce soit uniquement par l’ajout de cellulaires ou de références actuelles, comme s’en sont défendus les deux cocréateurs en entrevue. Dans quelle mesure les discours des personnages créés en 1986 sont d’actualité, parlent encore de notre société, de ses obsessions et de sa vision du monde? Les discours n’ont pas autant changé qu’on aime le croire, semble laisser entendre l’adaptation, qui prend l’affiche ces jours-ci au Théâtre Espace Go.
Relations personnelles tendues, vision cynique ou désillusionnée de l’amour, rapport au pouvoir, rapports hommes-femmes, mais avant tout et dans tous les propos des personnages : le sexe. Comme dans l’œuvre originale, les conversations des personnages semblent tourner autour de qui a couché avec qui et pourquoi, mais on se rend rapidement compte qu’ils sont dans la représentation, leurs propos trahissant des peurs plus profondes. C’est néanmoins par leur rapport compulsif, détaché ou intellectualisé au sexe que ces universitaires pour la plupart quarantenaires se définissent et, par ricochet, définissent le monde qui les entoure.
Sans chercher à imiter les personnages inoubliables interprétés à l’écran entre autres par Rémy Girard, Louise Portal, Pierre Curzi, Yves Jacques et Dominique Michel, la distribution tout en retenue réunie par le PàP rappelle à plusieurs moments les personnages du film par des gestes, des postures et des accents (Bruno Marcil, en... Bruno, «l'alter-ego» du Pierre de Pierre Curzi, est particulièrement confondant). Même si ces nouvelles versions des personnages ne se définissent plus par un événement libérateur comme Mai 68, mais dorénavant par une journée fatidique, celle du 11 septembre 2001, qui, pour plusieurs observateurs, a exposé de façon terrible le déclin d’un grand empire américain, Dubois et Farah prennent un malin plaisir à s’inscrire en faux avec le titre de l’œuvre qu’ils adaptent. Comment peut-il y avoir un déclin s’il n’y a pas eu d’âge d’or? « C’est un pur fantasme de s’imaginer au début ou à la fin de l’Histoire : nous vivons anyhow but somehow, une époque quelconque… » font-ils dire au personnage de Marie-Hélène Saint-Arnaud en introduction du spectacle.
En 2017, comme en 1986, le constat est désabusé. Alors que les personnages, sous la plume d’Arcand, s’affirmaient en sortant d’années où le sexe avait été tabou, ceux de Dubois et Farah ne choquent (presque) pas par leurs pratiques sexuelles. La portée de ce spectacle sociologique n’en diminue pas pour autant, mais on y perd en force de frappe. Là où l’œuvre d’Arcand posait un regard assez cru sur les travers de ces têtes pensantes, plus occupées à intellectualiser leurs gestes et pensées qu’à agir, son adaptation théâtrale peine à porter les propos de ses personnages au-delà des conversations intimes, à faire jaillir du discours creux sur le sexe ce qui craque par-dessous. On y arrive pourtant brillamment lorsque le personnage de Marco (excellent Alexandre Goyette), amant de Judith et adepte de sadomasochisme, confronte les intellectuels attablés. Son discours est celui qui domine depuis quelques années dans les médias populaires et les partis populistes, celui que la société bien-pensante, à l’instar des intellos de la pièce, balaie souvent d’un sourire condescendant. La scène est forte, dérangeante parce qu’incroyablement familière, parce que symptomatique d’un grand problème d’incommunicabilité.
Patrice Dubois offre encore une fois une mise en scène très ouverte sur le public. De part et d’autre d’un grand plateau surélevé, vestiaire (côté femmes) et cuisine (côté hommes) font office de coulisses, tout est à vue, fait partie de la représentation. Tandis que les hommes préparent (très vaguement) le repas et parlent de relations sexuelles comme autant de conquêtes amoureuses et physiques, ou de besoins à assouvir, les femmes font du yoga en se moquant de l’amour, du couple, de l’obsession des hommes pour leurs performances au lit, d’une société qui se dit féministe. Leurs conversations s’entremêlent dans un ballet précis qui sert bien la tension dramatique grandissante.
Le déclin du PàP met sobrement en lumière tout ce qui, en trente et un ans, a bien peu changé dans nos relations. La distribution est sans faille et sert un texte précis, qui pointe nos travers sans complaisance. En sortant de la salle, on se demande toutefois ce que cette adaptation dit vraiment de plus de nous que n’en disait déjà le film à son époque. Cette production de qualité a en tout cas le grand mérite de faire découvrir une œuvre phare du cinéma québécois à une nouvelle génération.