Depuis le meurtre de son père, Électre nourrit une impitoyable haine envers les assassins : sa mère et l’amant de celle-ci. Inconsolable, Électre se soulève, libère sa colère, prépare sa vengeance. Œil pour œil, dent pour dent, la loi du talion dans le déchaînement d’actes sanglants. La vengeance d’Électre est-elle acte de courage ou folie?
Au cœur de cette histoire écrite vers 414 av. J.-C. se trouve une contradiction tragique que Sophocle soumettait à la réflexion de ses contemporains : tuer la mère pour venger le père, alors que ce choix ne paraît humainement acceptable. Pourtant, seul l’acte de vengeance semble pouvoir libérer Électre de ses tourments.
Le personnage d’Électre nous rappelle que, encore aujourd’hui, la colère manifeste des femmes, contrairement à celle des hommes, dérange par son impudeur. Magalie Lépine-Blondeau rêvait depuis longtemps de donner vie à cette héroïne de la mythologie grecque, figure de la résistance à toutes les formes d’oppression. Pour mettre en scène sa révolte et sa colère, elle a convié son complice Serge Denoncourt, metteur en scène reconnu pour sa manière si personnelle de bousculer les grands classiques et le théâtre de répertoire (PROJET ANDROMAQUE, UN TRAMWAY NOMMÉ DÉSIR, CYRANO DE BERGERAC, LES LIAISONS DANGEREUSES).
Pour redonner au texte de Sophocle son souffle d’origine, Evelyne de la Chenelière procédera à un travail de réécriture, en abordant la pièce comme un corps sur lequel s’est déposée la poussière de décennies de violence, comme des cendres signifiantes qui font sentir le chemin sanglant de l’Histoire dans la triste pérennité de la violence. Électre, telle une nation trop longtemps humiliée, prend inévitablement le chemin de la violence, jusqu’à devenir plus terrifiante que ses bourreaux.
Sophocle (495-406 avant J.-C.) est considéré comme l’un des plus grands poètes tragiques de la Grèce antique. Il est l’auteur de 123 pièces (dont une centaine de tragédies). De son immense production littéraire, sept tragédies complètes nous sont parvenues, soit LES TRACHINIENNES, ANTIGONE, AJAX, ŒDIPE ROI, PHILOCTÈTE, ŒDIPE À COLONE et ÉLECTRE, qui fut la tragédie la plus encensée à l’époque hellénistique. Sophocle et ses contemporains ont fait évoluer la tragédie en faisant écho à l’émergence de la démocratie en Grèce. C’est l’inconfort et le vertige de toute une société qui prend en charge de résoudre ses problèmes sans avoir systématiquement recours aux dieux et à leur justice. Aujourd’hui, alors que nos démocraties sont en péril, nous nageons dans la même tension que les Grecs à l’époque : tension entre l’impuissance et le pouvoir. Avec ÉLECTRE, nous sommes au cœur de ce passage, complexe et passionnant, passage que Sophocle a su à la fois cerner et nourrir avec tant de génie.
Texte Sophocle
Texte français Evelyne de la Chenelière
Mise en scène Serge Denoncourt
Avec Violette Chauveau, Marie-Pier Labrecque, Caranne Laurent, Vincent Leclerc, Magalie Lépine-Blondeau, 1 interprète
Crédits supplémentaires et autres informations
Assistance à la mise en scène : Suzanne Crocker
Helléniste : Elsa Bouchard
Décor : Guillaume Lord
Lumières : Sonoyo Nishikawa
Costumes : Ginette Noiseux
Maquillages : Amélie Bruneau-Longpré
Photo Anouk Lessard | Conception lg2
Rencontre avec le public
Jeudi 24 janvier 2019, à 18 h 30
Tarif
Régulier : 37$
65 ans et + : 30$
30 ans et - : 28$
Les tarifs comprennent les taxes ; les tarifs ne s'appliquent pas aux représentations supplémentaires. Ajouter des frais d'envoi de 2,50$ si vous voulez recevoir vos billets par la poste.
Production ESPACE GO
La jeune Électre est habitée par une haine incandescente que son corps, fatigué après tant d’années, ne peut plus contenir. Elle ne tient que par un seul fil d’espoir, celui de voir son frère Oreste revenir de l’autre côté de la mer pour venger l’assassinat de leur père, le roi Agamemnon, par leur mère. La malédiction qui pèse sur la maison des Atrides ne laisse aucun doute sur l’issue de l’histoire : massacre il y a eu, massacre il y aura.
Pour son adaptation, l’auteure Évelyne de la Chenelière s’est concentrée sur la colère tempétueuse d’Électre, qui l’aveugle et la rend sourde à tout autre chose que la vengeance. Issue d’une longue lignée d’hommes et de femmes convaincus que toute injustice ne trouvera réparation que dans le sang, Électre perpétue ce cycle sans fin de violence. De la Chenelière creuse sous les couches de violence, de drames et de blessures vives pour atteindre le cœur de la rage terrible qu’Électre continue d’alimenter jalousement des années après le meurtre de son père.
Sur les marches du palais, tout de béton et de déchets, et sur les murs duquel semble s'inscrire encore quelques lambeaux d'or d'une grandeur disparue depuis longtemps, il y a Électre. Magalie Lépine-Blondeau, transfigurée par la révolte et l’indignation portées par son personnage, se recroqueville en une boule de haine au sol, drapée dans son désir de justice, mais impuissante à l’assouvir. Cependant, la comédienne insuffle d'emblée une telle intensité à son Électre, qui brûle d'un bout à l'autre de la pièce, qu'on y perd en nuance et qu'aucune progression dans l'interprétation n'est possible par la suite.
La mise en scène de Serge Denoncourt déçoit par son manque d'ampleur alors que la réécriture d'Évelyne de la Chenelière donne une belle résonance aux propos de Sophocle.
Étrangement, c’est Marie-Pier Labrecque, dans le rôle souvent très effacé de la sœur d’Électre et Oreste, Chrysothémis, qui tire le mieux son épingle du jeu. Jouant avec mesure la sagesse, qu’Électre appelle couardise et traîtrise, la comédienne contrebalance parfaitement les excès émotifs du reste de sa famille. À leurs côtés, le reste de la distribution peine à trouver le ton. Si la reine incarnée par Violette Chauveau joue habilement dans les zones grises de la moralité, les choeurs ne parlent pas toujours d'une même voix, le coryphée de Caranne Laurent détonne, mais demeure bien fluet et, par moments, sous le tapage, on cherche ironiquement la passion.
La mise en scène de Serge Denoncourt déçoit par son manque d'ampleur alors que la réécriture d'Évelyne de la Chenelière donne une belle résonance aux propos de Sophocle. Ainsi, l'aparté percutant du coryphée, qui trace d'évidents parallèles avec les violences d'aujourd'hui, aurait mérité d'être davantage développé ou carrément écarté, car en l'état, il ne trouve pas d'écho dans le spectacle. De même, la touche moderne apportée par les costumes et les mitraillettes est intéressante, mais si peu explorée qu'elle tombe à plat dans une scène finale trop courte pour vraiment remuer l'hubris en nous ou nous figer devant l'horreur de ce cycle de violence qui se perpétue.
Électre n'a rien d'un texte facile à monter ou à adapter, le personnage central lui-même marchant dangereusement au fil de sa folie vengeresse. La production d'Espace Go ne démérite pas, le texte y est généralement bien porté, et Magalie Lépine-Blondeau apporte une énergie chaotique qu'il est intéressant de voir se déployer, mais, dans l'ensemble, la production demeure trop sage.