À la fois théâtre de la cruauté et polar inquiétant, LES SERPENTS est une pièce sur fond de règlement de comptes familial. Madame Diss a fait une longue route à travers les champs de maïs pour tenter d’emprunter de l’argent à son fils. Mais celui-ci n’a aucune intention de sortir de sa maison ni de permettre à sa mère d’y pénétrer. Madame Diss a deux belles-filles, Nancy (l’ex) et France (l’actuelle). Alors qu’une menace plane, les trois femmes se retrouvent sur le pas de la porte. À l’intérieur, le fils veille sur ses enfants, tel un ogre sorti d’un conte de fées, prêt à les dévorer au moindre signe de faiblesse.
Texte Marie Ndiaye
Mise en scène Luce Pelletier
Avec Rachel Gratton, Isabelle Miquelon, Catherine Paquin-Béchard
Crédits supplémentaires et autres informations
Assistance à la mise en scène Claire L'Heureux
Décor Francis Farley-Lemieux
Costumes Caroline Poirier
Lumière Marie-Aube St-Amant Duplessis
Musique Catherine Gadouas
Dramaturgie Myriam Stéphanie Perraton-Lambert
Rencontre avec le public
Mardi 26 novembre 2019, après la représentation
À la carte* | |
Général | 38$ |
65 ans et + | 30$ |
30 ans et + | 28$ |
Duo à 40$** | |
Vendredis GO | 20$ 30 ans et - |
* les billets à la carte de la reprise de la pièce Parce que la nuit sont au tarif unique de 45 $.
* les billets à la carte du programme double de l’atelier lyrique de l’Opéra de Montréal sont au tarif unique de 48 $.
** pour les deux premières semaines de représentation - choisissez trois spectacles de la programmation et profitez du tarfi de 40$ pour 2 personnes par spectacle
Les tarifs indiqués comprennent les frais de service, les taxes fédérale (5 %) et provinciale (9,975 %) et ne s’appliquent pas aux représentations supplémentaires.
Les billets à la carte ne sont ni remboursables ni échangeables.
Production du Théâtre de l'Opsis, avec la collaboration d'Espace GO
« Cette maison est fétide, je suis la dernière à être mangée. » Voici une phrase qui résume l’atmosphère dans laquelle gravitent les protagonistes de la pièce Les Serpents de Marie Ndiaye, écrivaine française lauréate du Prix Goncourt 2009 pour Trois femmes puissantes. C’est avec les mots de la première auteure à être entrée de son vivant au répertoire de la Comédie-Française, avec Papa doit manger, que le Théâtre de l’Opsis amorce son Cycle des territoires féminins. À Espace Go dans une mise en scène de Luce Pelletier, la production à la scénographie esthétisante séduit, mais manque surtout de force pour atteindre son plein potentiel.
Pendant près d’une heure et demie, nous rencontrons trois femmes, soit l’élégante Madame Diss (Isabelle Miquelon), ainsi que ses deux belles-filles, France (Catherine Paquin-Béchard) et Nancy (Rachel Graton). Pour commémorer le 14 juillet (fête nationale de la France, même si aucune information géographique ne nous permet de situer le lieu), un énorme feu d’artifice est prévu. Dépensière, Madame Diss se rend plutôt à la maison de son fils, maison située dans les champs de maïs, pour lui emprunter de l’argent. Or le garçon, dont nous percevons l’ombre menaçante, ne sort jamais et ne veut pas que sa génitrice entre dans la demeure.
...la production à la scénographie esthétisante séduit, mais manque surtout de force pour atteindre son plein potentiel.
Découpée en sept scènes (même si le lieu de l’action, ou plutôt ici de non-action, ne change pas), la partition se distingue par le flux d’une écriture qui oscille entre la réalité et le fantastique. Entre les passions refoulées et un avenir qui paraît inexistant, le présent donne bien des angoisses aux trois femmes qui se confrontent, s’ignorent, se méprisent et luttent pour attirer l’attention de l’homme qui les dresse les unes contre les autres.
La langue de Ndiaye évoque des univers dramatiques connus. Si certains ont vu des similitudes avec Samuel Beckett, Jean Genet et Jean Cocteau, sa plume se rapproche aussi des romans de la suite Soifs de Marie-Claire Blais (dont l’adaptation sous la gouverne de Denis Marleau reviendra sur les planches d’Espace Go), ou encore de certaines œuvres de Marguerite Duras comme India Song. Pourtant, sa sensibilité contemporaine se manifeste dans la création d’ambiances susceptibles d’éveiller les conflits de personnalités entre les personnages féminins. Par ailleurs, les métaphores et allusions autour de la figure du serpent abondent. Associé au diable, cet animal est reconnu dans l’imaginaire comme un séducteur meurtrier qui étouffe ses victimes. L’écrivaine se sert ainsi d’envolées littéraires dans son écriture qui distille des « répliques venimeuses » et un monde cruel où les êtres risquent de perdre pied et de s’enfoncer comme dans des sables mouvants. Parmi le trio, Madame Driss exhibe sa supériorité financière lorsqu’elle vante les vêtements et accessoires luxueux conçus avec la peau de ces reptiles carnivores.
Pourtant, il demeure difficile d’adhérer complètement à la proposition artistique. Même à la lecture, le texte reste dense, parfois alambiqué et verbeux. Bien que la dramaturge maîtrise sans problème la langue française et joue avec un vocabulaire parfois corrosif et cinglant, il manque à ces Serpents une véritable progression dramatique. La tension entre les personnages se retrouve amenuisée, loin de l’enfermement qu’elles disent subir à l’extérieur de la maison. Dans ce « huis clos au grand air », il aurait été judicieux de faire ressortir davantage la crainte de ces champs de maïs si présents dans les échanges entre les trois femmes. Par ailleurs, le décor stylisé de Francis Farley-Lemieux accentue cette sensation de distance et de détachement par rapport aux enjeux brûlants de pouvoir, de cupidité et de soumission féminine. Le climat souhaité aurait pu s’apparenter à celui d’une brillante production orchestrée par Claude Poissant au Quat’Sous en 2012 (Après moi, le déluge de Lluïsa Cunillé).
Moins statique, la mise en scène de Luce Pelletier (qui confie avoir songé à sa première lecture des Serpents aux cinéastes David Lynch et Alfred Hitchcock) aurait gagné en force et mystère. Au début du cycle scandinave (le précédent de l’Opsis) avec Bientôt viendra le temps de Line Knutzon, Pelletier avait réalisé un travail plus organique et empreint d’étrangeté. Par conséquent, la finale ne suscite pas un grand intérêt, comparativement à la séquence précédente qui se terminait de manière saisissante.
Malgré une direction d’actrices plus figée que dans Bientôt ou Les Enfants d’Adam d’Audur Ava Ólafsdóttir (aussi du cycle scandinave), la metteure en scène permet toutefois à ses interprètes de démontrer une belle assurance. Dans leurs rôles respectifs, Isabelle Miquelon, Catherine Paquin-Béchard et une émouvante Rachel Graton insufflent un dynamisme et une énergie perceptibles.
À propos de Marie Ndiaye, le metteur en scène français Frédéric Bélier-Garcia disait que sa langue « creuse (à travers) les mouvements sensitifs, psychiques (pour révéler) l’humain dans ses contradictions les plus intimes ». En écho à cette philosophie, cette version des Serpents par l’Opsis nage trop en surface et ne sonde pas assez une matière aux accents ténébreux.