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Du 29 août au 15 septembre 2007
Soirées lève-tôt : jeudi 6 septembre, représentation à 19h suivie d'une discussion et samedi 15 septembre, représentations à 16h et 20h

Moi chien créole

Texte de Bernard Lagier
Mise en scène de Sylvain Bélanger
Avec Erwin Weche

Le chien, reclus dans un coin sombre de la place publique, observe la lune se lever sur une autre nuit où il devra accomplir son noble devoir. En effet, le jour de sa naissance, un déluge terrible emporta la totalité de sa famille. Lors de cette tragédie, il eut une révélation : il devra donner les mots à ses semblables, leur insuffler le pouvoir d’être libre et l’amour de se raconter.  Mais le chien créole ne se doute pas que cette nuit ne sera en aucun point semblable aux autres…

Conseiller à la dramaturgie : Olivier Kemeid
Assistance mise en scène et régie : Jean Gaudreau
Décor et costumes : Bénédicte Marino
Éclairages : Glen Charles Landry
Maquillage : Angelo Barsetti
Musique originale : Larsen Lupin
Direction de production : Marie-Hélène Dufort
Direction technique et éclairagiste-associée : Anne-Catherine Simard-Deraspe

Production Théâtre du Grand Jour, en coproduction avec L'Artchipel, Scène Nationale de Guadeloupe

Espace Libre
1945, rue Fullum
Billetterie : 514-521-4191

 

 

par Mélanie Viau

Chien de quartier, chien galeux, noir esclave du soleil, errant, et pourtant libre, adjuvant, lucide... poète marginal, intellectuel sans domicile fixe, lorgneur de l’Autre, amalgame de tous les Autres. Autour du Moi, autour du Chien Créole, une société se dresse en paraître, un réseau de messages se jappe en langues multiples, la sienne, et il prend tout ce qu’il peut, devient ainsi paradoxe. Devient difficile à approcher, à apprivoiser. Voilà une rude tâche que celle de Sylvain Bélanger de mettre en scène (après sa mise en lecture au FTA en 2005) un personnage d’une épaisseur sémantique aussi complexe, quasi shakespearien. Car le Chien Créole, dépeint par Bernard Lagier, auteur martiniquais, également travailleur social et musicien, se pose comme objet de réflexion sur la responsabilité sociale, sur la prise de parole, sur l’exclusion et la réinsertion, sur le pouvoir des uns, sur les épreuves de la vie, bien sûr, et sur l’amour, quand on parvient à y mettre des mots. Du coup, vous avez le vertige; l’étendu du propos semble trop vaste, trop près, la crainte de la conscientisation moraliste s’installe, quelque chose que l’on tente d’esquiver et toujours refait surface, une peur. Et sur scène, le Chien se met à parler la langue des hommes dans un corps qui n’est pas le sien.
 
L’espace puriste (rappelant l’esprit scénographique de Cette fille-là)aide à focaliser, d’un regard clair, sur le jeune acteur Erwin Weche, oeuvrant dans un premier solo au théâtre professionnel. Architecturée d’un seul praticable incliné, pastille vert de gris sur laquelle se circonscrivent les éclairages pour laisser l’aire de dégagement dans la pénombre, l’espace scénique colle au personnage dans ce qu’il a de paradoxal, oscillant entre les dichotomies d’enfermement et d’ouverture, de cyclique et de linéaire, de courbe et de droiture. Et sous les feux, le corps effilé du Chien devient fragile, immense. Au rythme essoufflant des différentes séquences du texte, où l’on passe de la confession à l’anecdote, au récit des gens du coin et leurs lazzis au monologue intérieur, l’acteur s’efforce de garder la cohérence dans les transformations, la justesse dans le ton, se redresse, se repositionne, attaque à nouveau, vigilant. On le sens plus à l’aise lors des incarnations de personnages types aux accents bien en bouche, son corps est plus solide, son geste précis. Une grande marque de courage et de ferveur, vraiment, car la langue de Moi, Chien Créole s’impose en maître et joue de son interprète, qui tient tête. Le texte brille de sa poésie, de ses figures choisies avec soin, son ironie, ses accents aigre-doux, mais tellement tissé serré que la force et la hargne émanant de l’acteur nous entraînent souvent à perdre le fil des images, par manque de silence, par rapidité. Les passages en créole envoûtent par leur caractère d’étrangeté, mais pourraient se parer davantage de textures, d’exotisme, de gens, de communauté, sans trop croire à ce qui ne serait qu’un simple idiolecte d’un regardant en dehors du monde. Ce Chien, ce destin, où va-t-il ? Que dit-il ? Nul doute, l’œuvre renferme une rhétorique mature, un discours sensible dotée d’un humour franc, une sociocritique éveillée, un point de vue tellement universel et si singulier puisque dirigé droit vers son lecteur (et son public) qu’il est impossible de vouloir tout réunir et tout nommer dans un spectacle d’une si courte durée. Et ne pas étourdir l’Autre au point de ne plus avoir la force de réfléchir, à moins de souhaiter la brume et l’engouement hypnotique de l’expérience pure, l’écoute d’une parole qui appelle et titille un innommable en dedans. Mais qu’en reste-t-il ? On fait quoi maintenant ?

01-09-2007