Du 9 au 27 octobre 2007
Jeudi soirée lève-tôt, représentation à 19h suivi d'une discussion
Le chant des Gaston
Conception et mise en scène : Céline Bonnier
Avec Théo Brière, Paul-Patrick Carbonneau, Nathalie Claude, Gérald Gagnon, Brigitte lafleur, Gaétan Nadeau
À la mort de leur père, cinq frères et soeurs, agés entre 38 et 48 ans, se trouvent réunis après plusieurs années d'un commun mutisme dans la maison familiale. Leur hôte est un adolescent, un jeune frère dont personne ne connaissait jusqu'à l'existence. Choc, deuil, malaise.
En effet, après avoir abordé le thème de la mort du point de vue des habitants de l'au-delà avec La Fête des morts, Céline Bonnier revient à la charge pour examiner cette fois comment se comportent les vivants face au choc que provoque le deuil. Dans la boîte noire du théâtre Espace Libre, six personnages vivront ce moment limite à travers des tableaux impressionistes, sans ordre chronologique, à l'image de la nature surprenante, inattendue et quelques fois surréaliste des premiers jours de deuil. Le langage du corps par sa réponse sans équivoque sera mis de l'avant dans ce spectacle imagé qui décortique nos diverses réactions lorsque le sol s'ouvre sous nos pieds...
Conception et aspect visuel : Massimo Guerrera
Conception lumières : Lucie Bazzo
Conception costumes : Linda Brunelle
Musique : Ludovic Bonnier
Vidéo : Pierre Laniel
Assistance à la mise en scène et régie : Colette Drouin
Une création Momentum
Espace Libre
1945, rue Fullum
Billetterie : 514-521-4191
par Mélanie Viau
Jusqu’au 27 octobre de l’An 07, Momentum vous invite à plonger vertigineusement dans le vide des topiques de l’inconscient. Le prétexte ? La mort d’un père, la mort de n’importe qui ou n’importe quoi dans le fond. Dans ce spectacle insolite signé Céline Bonnier, on entre dans l’univers métaphysique d’une famille comme les autres pour qui la distance a seulement changé d’état, pour qui la mort force le rassemblement autour de souvenirs communs et individuels sans toutefois savoir quoi en dire. Mais qu’en dire d’autre de cette mort sans risquer de plonger dans une psychologie empreinte de douleur, de cris et de sempiternelles libations qui, trop souvent, nous fait sortir du théâtre avec un vague à l’âme des plus pénibles ? L’important, c’est de recourir à la mémoire, revenir aux traces psychiques d’une vie qui était telle et qui n’est plus, le temps que ça a passé. Reste la poésie, heureusement, une poésie blanche et naïve, empreinte de rires et de silences, où la nostalgie colore le malaise, même si le vide ne peut être comblé, même si chacun reste seul, accoudé aux autres, avant de reprendre son chemin. Le Chant des Gaston rassemble tout ça et se déploie dans une longue métaphore où les éléments, somme toute des plus hétéroclites, cherchent un dialogue commun en tâchant durement de s’unifier dans une temporalité suspendue. Un rêve au contenu manifeste des plus énigmatiques, où l’expressionnisme s’expérimente, où la censure organisationnelle se désinvestit.
Crédit photos : Jean-François Leblanc, agence Stock Photo
La grande porte de la salle de spectacle de l’Espace Libre s’ouvre sur ce qui semble un atelier d’artiste ébéniste, un refuge d’enfance, une relique de la maison familiale maintenue dans l’inconscient des cinq frères et sœurs qui y entrent de par l’extérieur, de par la ville, d’une rue de quartier de Montréal. Ici, le traitement de l’espace scénique, dans son ouverture sur le monde réel et sur le passé, à l’aide de diverses projections tirées de documentaires sur la société québécoise des années 70-80 (à ce qu’il nous semble), mérite une vive attention, car il offre le champ libre à toutes les élucubrations psychiques des personnages. Espace de l’inconscient disait-on, qui se manifeste par toutes sortes de bidules suspendus, de maquettes à porter pour faire voyager l’esprit dans ses traces mnésiques (étrange esthétique à la Tim Burton), prototypes de chaises d’enfant en bois, outils de menuiserie encore utiles, patins à glace, baignoire, toile projectile à beurrées de CheezWiz pour le défoulement… Tant d’éléments symboliques pour faire revivre les pitreries d’enfance, les jeux de mots que seuls eux connaissent, les évènements douloureux transposés à l’intérieur d’images signifiantes extrêmement frappantes. À ces suites d’images s’ajoute un environnement musical grinçant, électrique, aérien, aussi angoissant qu’apaisant. Le tout est métaphysique, combinaison poétique des éléments de la terre, de l’air, de l’eau et du feu donnant une certaine dimension sacrée au propos, sans que celui-ci tombe dans une abstraction totalement hermétique.
Mais à tout cela, l’essence même du spectacle réside dans ce que ces personnages sont, ce qu’ils ont de commun, ce en quoi ils nous ressemblent. Des petites gens de région, au parler franc, argotique, sans flafla, avec qui on ne peut que sympathiser en même que s’émerveiller de leur sensibilité, de la détresse latente qui baigne dans leur cœur gardé difficilement au chaud. Et on rit, de bon cœur, à partager des souvenirs communs avec eux (ça fait du bien de se reconnaître un passé québécois dans tous les petits détails du quotidien), on rit de leur caractère simpliste, particulier, offert sans anicroche avec une parfaite cohérence par tous les comédiens sans exception. Chacun porte son personnage comme une seconde peau, et si la caricature se pointe le nez, dites-vous qu’elle ne fait pas moins partie de la vie pour autant.
Le Chant des Gaston est un objet théâtral d’une grande valeur artistique, nécessitant un brin de curiosité et beaucoup de générosité de la part du spectateur à se laisser entraîner dans cet univers débridé, déluré, ne serait-ce que pour écouter quelqu’un, n’importe qui, un ado de quinze ans peut-être, parce qu’il avait envie de dire quelque chose sans trop savoir comment.
12-10-2007