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Du 28 février au 15 mars février 2008
Soirée lève-tôt : jeudi 6 mars, représentation à 19h suivie d'une discussion

La société de Métis

Texte de Normand Chaurette
Mise en scène de Joël Beddows
Avec Lina Blais, Érika Gagnon, Hugo Lamarre et Claude Lemieux.

Face au fleuve éternel, l'impérieuse Zoé Pé règne fermement sur Métis et ses jardins, entourée d'invités dont elle achète l'amitié à coups de somptueux présents.  Puis, un jour d'été, elle aperçoit ce peintre, là-bas, au-delà des marais, qui de loin la peint, elle et ses invités.  Dès lors, elle n'aura plus qu'une obsession : posséder ces portraits.  Or, le peintre ne veut pas vendre.  Argent, flatteries, manipulations, menaces : rien n'y fait. Rien?

PROPOSITION THÉÂTRALE
Le projet de mise en scène s’articule autour d’une question : comment rendre la représentation scénique la plus bidimensionnelle possible en s’appuyant non pas sur une logique de cinéma, mais sur celle des arts visuels.  Sont également explorées les limites du statisme théâtral et la notion de présence-absence du personnage théâtral (dans quelle mesure un personnage est un fantôme, une évocation, un rêve).

Conseils scéniques : Dominique Lafon
Décor : Jean Hazel
Costumes : Isabelle Bélisle
Lumières : Glen Charles Landry
Musique : Jules Bonin-Ducharme
Direction de production : Céline Paquet

Une création Théâtre la Catapulte

Espace Libre
1945, rue Fullum
Billetterie : 514-521-4191

 

par Sara Fauteux

La société de Métis est une des premières pièces de Normand Chaurette, publiée pour la première fois en 1983. Il l’a retravaillée pour ce projet avec le metteur en scène Joël Beddows, qui été présenté déjà en novembre 2005, en coproduction avec le Théâtre Français de Toronto, le Centre National des Arts du Canada et le Théâtre Blanc de Québec. Cette fois-ci, c’est le théâtre de La Catapulte qui produit le spectacle à l’Espace Libre avec Lina Blais, Érika Gagnon, Hugo Lamarre et Claude Lemieux.

L’univers créé par la mise en scène, les costumes et la musique est fascinant : un mélange d’onirisme, de réalisme, de surréalisme. Les comédiens sont comme figés dans des costumes blancs tachés de sang, leurs cheveux sont moulés et portent des gants. Leur façon de s’exprimer est contrôlée, ils ralentissent parfois le débit, changent leur intonation. Ils sont presque humains, ils se situent dans un espace de rêve, de souvenirs. Ils ne sont que la trace de ce qu’ils ont étés. 

Une habile installation de miroir nous révèle trois tableaux. Ceux de Madame Zoé Pé, une richissime châtelaine, et de ses protégés, Octave Gredind, un jeune homme aveugle, et Pamela Dicksen, une suivante fragile et instable. Ces trois personnages sortiront de leurs tableaux pour revivre leur dernier été passé ensemble en 1954 à Métis-sur-Mer. Ils reprennent leur place au milieu du jardin de Métis dans le magnifique salon de Madame Pé. Sur la véranda, ils posent pour le peintre qui, de l’autre coté des marais, effectue leur portrait. Dans son obsession de posséder ces portraits, Madame Pé deviendra une prédatrice effrayante, prête à tout pour s’approprier sa propre image, sa perpétuité que le peintre refusera toujours de lui remettre. 

Mélangée à celle du peintre Hector Schmuyle, une présence flotte autour d’eux, celle du capitaine des incendies, Casimir. Presque comme un narrateur dans sa grande robe blanche, il se situe au-delà de l’histoire. Comme un père, il tente de calmer les lubies de Pamela et son penchant pour le champagne et lit à Octave des extraits du mythe de Narcisse… Mais il ne viendra pas à bout des ardeurs narcissiques de Madame Pé. Dans l’obstination de cette dernière à posséder les tableaux et l’obstination du peintre à les lui refuser, on comprend que l’art ne peut pas devenir l’objet de notre mémoire, mais qu’il doit toujours rester temporaire et insaisissable.

Il faut souligner le jeu des comédiens dans cette production qui est particulièrement remarquable. Ils s’approprient de façon parfaite les personnages décalés de Chaurette et leur ton reste toujours parfaitement juste. On reste accroché à leur histoire jusqu'à la fin, jusqu'à leur retour dans leur cadre au musée de Rimouski.  

04-03-2008

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autre critique disponible :

par Aurélie Olivier (ce texte a été publié dans le journal de la TÉLUQ, le Sans-Papier)

C’est une expérience de théâtre tout à fait séduisante que nous propose, à l’Espace Libre, le Théâtre La Catapulte, revisitant, avec un sens de l’esthétique indéniable, une pièce de jeunesse de Normand Chaurette, La société de Métis, retravaillée par l’auteur pour l’occasion.

Nous sommes en 1954, et à Métis-sur-Mer, la ville aux jardins luxuriants, le temps passe lentement, de promenades dans les marais en discussions sur la terrasse, le tout sous le regard couvant de Zoé Pé (Érika Gagnon), maîtresse de lieux. Richissime héritière, celle-ci entend régner sans partage sur ses invités comme sur la ville tout entière et elle est prête à y mettre le prix. Elle paie ainsi son employée de maison, Paméla Dicksen (Lina Blais), plus que royalement et fait des dons princiers à la Société de la canne blanche dont est membre son ami aveugle Octave Gredind (Hugo Lamarre). Un jour, madame Pé s’aperçoit qu’un peintre fait son portrait et celui de ses invités, et se met en tête d’acquérir l’œuvre. Un désir qui tourne à l’obsession lorsque l’artiste refuse : madame Pé n’a pas l’habitude que l’on résiste à ses largesses. Cette histoire, ce ne sont pas les personnages eux-mêmes qui nous la racontent, mais leurs alter egos de la toile, maintenant enfermés au musée de Rimouski et qui s’y ennuient à mourir, délaissés par les touristes au profit d’un autre tableau, célèbre celui-là.

Lorsque le spectacle commence, la scène est plongée dans le noir et un narrateur (décevant Claude Lemieux) nous met en situation, du moins est-ce ce que nous imaginons puisqu’il est pratiquement inaudible. On aurait cependant tort de se laisser influencer négativement par cette entrée en matière ratée, car la suite est bien plus réjouissante. Lorsque les lumières s’allument enfin, nous découvrons les personnages du tableau, les cheveux englués de peinture, portant sur eux d’étranges blessures dont le sens ne nous apparaît que plus tard. Saluons ici le maquillage et les costumes d’Isabelle Bélisse, qui possèdent une étrangeté tout à fait de circonstance, donnant aux personnages des airs de momies sans âge. Puis, les portraits sortent de leur cadre pour nous raconter cet été de 1954, qui a bouleversé leur univers.

Cet univers d’oisiveté décadente, la scénographie de Jean Hazel l’évoque à merveille, avec un plancher enfoncé dans le sol d’où émergent des tas de cadres, qui se révèlent par la suite être d’astucieux supports pour différents objets. Au fond de la scène, des vitres inclinées, tantôt miroirs, tantôt vitrines, tantôt fenêtres. La mise en scène de Joël Beddows est d’une redoutable précision : gestes, postures, déplacements, intonations, tout est parfaitement pensé et concourt à créer une atmosphère énigmatique. Entre les scènes, des intermèdes au piano évoquent ce cousin pianiste virtuose dont l’ombre flotte au-dessus de la tête de Paméla, menaçante et trouble. S’y ajoutent des scintillements suggérant la lumière du soleil filtrant à travers les feuilles dans les jardins de Métis, mais aussi la fragilité de cette petite société prête à imploser.

Si le propos paraît assez simple à première vue, sa complexité se révèle au fur et à mesure, et la pièce séduit par le nombre de ses niveaux de lecture, nous dévoilant les multiples facettes de la vanité humaine. Érika Gagnon incarne avec un extrême talent une rentière toute-puissante, prédatrice à la recherche de l’immortalité, pensant sans doute y trouver ce bonheur auquel elle n’a pas su accéder de son vivant. Lina Blais apporte une touche comique, avec ses inflexions enfantines sous lesquelles pointe la cruauté.

On quitte finalement la salle enrichis par un spectacle dont tant la forme que le fond donnent matière à réflexion.