Texte de Jean-Pierre Ronfard
Mise en scène de Frédéric Dubois
Avec : Stephan Allard, Sylvio-Manuel Arriola, Christine Beaulieu, Frédérick Bouffard, Patrice Dubois, Hugues Frenette, Jonathan Gagnon, Monelle Guertin, Catherine Larochelle, Michel Maxime Legault, Nadine Meloche, Anne-Marie Olivier, Tova Roy et Ansie St-Martin
En collaboration avec Espace Libre, le Théâtre des Fonds de Tiroirs propose pour 6 représentations seulement Vie et mort du Roi boiteux. Un rendez-vous unique qui met en scène la guerre entre les clans rivaux Ragone et Roberge, dirigée par Richard premier, roi des ruelles de Montréal. Une grande fresque bien de chez nous inspirée de tous les grands mythes de la dramaturgie théâtrale !!
Le Théâtre des Fonds de Tiroirs atteint avec cette production une maturité encore jamais égalée. La compagnie replace au cœur de la cité, là où ils vivent, les personnages de cette saga inventée par l’homme de théâtre Jean-Pierre Ronfard, l’un des fondateurs d’Espace Libre. En effet, c’est à l’endroit même où les 4ème et 5ème parties de l’œuvre ont été créées en 1981, inaugurant Espace Libre, que cette pièce mythique trouve son nouveau souffle. Vie et mort du Roi boiteux n’a jamais été remontée sur une scène professionnelle à Montréal depuis la présentation de son cycle complet à l’Expo-Théâtre de la Cité du Havre, il y a de cela 27 ans. C’est donc dans le parc Coupal, situé tout près du célèbre théâtre de la rue Fullum que les personnages de l’œuvre de Ronfard refont surface.
Assistance à la mise en scène : Adèle Saint-Amand
Scénographie : Yasmina Giguère assistée de Jeanne Lapierre
Environnement sonore : Pascal Robitaille assisté de Andrée Bilodeau
Éclairages : Félix Bernier Guimond
Régie : Marcin Bunar, Simon Lemoine et Adèle Saint-Amand
Production Théâtre des Fonds de Tiroirs
Collaboration de l' Espace Libre
par Aurélie Olivier
Lors de sa création en 1981 par le Nouveau Théâtre Expérimental, la pièce fleuve de Jean-Pierre Ronfard, Vie et mort du roi boiteux, durait 15 heures. La version présentée ces jours-ci par le Théâtre des Fonds de Tiroirs a donc été notablement raccourcie puisque le spectacle ne dure plus que… huit heures! Ce chiffre a tout de même de quoi effrayer, mais autant le dire tout de suite : on les sent à peine passer. Tout d’abord parce que des pauses ont été aménagées suffisamment fréquemment pour que nos jambes n’aient pas le temps de s’engourdir (15 minutes toutes les heures plus 45 mn à l’heure du souper), mais surtout parce qu’il souffle sur ce texte un tel vent de folie que l’on ne s’en lasse pas.
Évidemment, une telle saga est tout à fait impossible à résumer. Elle nous emmène de Montréal à l’Azerbaïdjan en passant par l’Empire State Building et les Bahamas. En fait, elle pourrait se passer n’importe où, pour peu que l’on y trouve des êtres humains, et avec eux des luttes de pouvoir, des rivalités, des trahisons, de l’amour, des déceptions, des vengeances, des manipulations…
Pour raconter l’histoire de Richard 1er le Boiteux et de la rivalité à mort (littéralement) entre les Ragone et les Roberge, Ronfard emprunte à Shakespeare, mais aussi à Michel Tremblay, à la Bible, à la tragédie grecque, à la mythologie. Il en résulte un spectacle épopée en six parties, qui évoque les romans-feuilletons d’Alexandre Dumas. Le metteur en scène Frédéric Dubois a choisi de conserver le dépouillement du spectacle d’origine, laissant ainsi une grande place à l’imaginaire des spectateurs, et de le présenter encore dans la rue. C’est donc dans une ruelle derrière l’Espace Libre, entre quelques draps tendus sur des fils que cela se passe. De temps à autres, des voisins traversent la scène pour se rendre chez eux, passent devant nos yeux en promenant leur chien, cuisinent au barbecue sur leur balcon… Les bruits de la rue se mêlent à la musique « live » et aux bruitages produits par deux musiciens (Pascal Robitaille et Andrée Bilodeau) installés dans une roulotte baptisée Café Spartacus et font parfois écho bizarrement aux mots des comédiens. Il en résulte une sorte d’hommage à la vie assez fascinant. La langue de Ronfard, parfois soutenue parfois franchement vulgaire, n’a pas pris une ride et le mélange des genres, tantôt épique, tantôt tragique, comique, ou grotesque fonctionne à merveille, nous faisant passer d’une seconde à l’autre du quotidien au fantastique.
L’ambiance créée par Dubois et sa troupe a quelque chose de carnavalesque avec des costumes grotesques, des perruques, des déambulations, des lancers de confettis, des pétards. On ne peut que féliciter les quatorze comédiens - Stéphan Allard, Sylvio Arriola, Christine Beaulieu, Frédérick Bouffard, Patrice Dubois, Hugues Frenette, Jonathan Gagnon, Monelle Guertin, Catherine Larochelle, Michel-Maxime Legault, Nadine Meloche, Anne-Marie Olivier, Tova Roy et Ansie Saint-Martin – pour leur fougue et leur total investissement dans leurs rôles, campant des personnages pleins de contradictions, fragiles et monstrueux à la fois.
Certes, le texte présente certaines faiblesses (la partie du voyage s’essouffle particulièrement et peine à trouver sa place dans l’ensemble, les liens ténus avec l’histoire générale ne faisant guère progresser l’action), mais il n’en reste pas moins que l’expérience est marquante et mérite assurément d’y consacrer ces quelques heures.