Texte et interprétation : Tony Nardi
Letter Two – Lettre n° 2 s’inspire d’une lettre que l’auteur a adressée à deux critiques de théâtre de Toronto en novembre 2005 en réaction à leur compte rendu d’une production professionnelle de La Serva Amorosa de Goldoni. La lettre conteste certaines idées fausses des critiques de théâtre et des metteurs en scène sur la commedia dell’arte. Ce manifeste fait l’historique d’une culture du théâtre « sans comédiens » au Canada dans un contexte dramatique où l’on encourage de plus en plus une tradition de comédiens surentraînés et de metteurs en scène… sous-entraînés.
PROPOSITION THÉÂTRALE
Letter Two (Lettre n° 2) est le deuxième volet d’un triptyque intitulé Two Letters… And Counting!, une série de lectures-chocs qui dénonce la complaisance dans le milieu du théâtre, de la télévision et du cinéma canadien. Dans cette « deuxième lettre », le comédien et scénariste Tony Nardi, un fabuleux acteur basé à Toronto, affirme – avec verve et véhémence – qu’une partie de la culture made in Canada est en crise. À l’aide de son ordinateur portable, seul sur scène, sans éclairage, sans décor, sans costumes, sans aucun artifice, l’acteur nous lit les lettres qu’il a envoyées à des intermédiaires de la scène culturelle canadienne. À mi-chemin entre le pamphlet et le théâtre, Letter Two propose une prise de parole directe. Et bouleversante.
Production Tony Nardi
Présentation Espace Libre
par Gabrielle Brassard
Tony Nardi avait long à dire, le lundi soir 31 août à l’Espace Libre, avec sa Lettre numéro 2. Ce comédien, acteur et metteur en scène connu d’un bout à l’autre du pays, particulièrement à Montréal et à Toronto, n’a pas la langue dans sa poche, comme en témoigne sa série de « lettres », la deuxième faisant ici l’objet de la critique.
La première lettre, à laquelle Nardi fait plusieurs fois référence pendant les deux heures de performance, était la réaction spécifique des producteurs torontois qui avaient proposé à Nardi le rôle d’un Italien (son origine) rempli de clichés. Au lieu de dire «non merci », l’artiste, à bout du milieu théâtral et cinématographique qu’il considère médiocre, décide d’écrire une longue lettre, la lettre numéro 1. Il l’envoie aux producteurs de la série, puis à ses amis, et commence à l’interpréter de vive voix en guettant les réactions, qu’il incorpore dans sa lettre numéro 2.
Cette dernière, suivant le même ordre d’idée, s’adresse cette fois-ci à des critiques dramatiques de Toronto, que Nardi considère ignorants. Dans une longue lettre dithyrambique, Nardi se charge donc de remettre les pendules à l’heure, en leur expliquant ce qu’est réellement la commedia dell'arte, et en écorchant au passage tout le milieu artistique, déplorant le manque de talent, de compétence, d’imagination et de créativité de tous.
Nardi n’y va pas de main morte, s’emportant au fur et à mesure que le texte avance. Seul sur la scène dépouillée, avec comme unique accessoire son ordinateur duquel il lit sa lettre, Nardi nous emporte dans sa joute verbale avec lui-même, mais aussi avec nous, nous crachant son venin au visage. Malgré toute la colère et la frustration de l’artiste, le spectateur sourit à plusieurs endroits, notamment quand Nardi nous interprète un Arlequin jugé dans un procès pour défendre la commedia dell'arte. C’est tout de même d’un rire jaune que le spectateur écoute attentivement le texte, parfois un peu long, livré par un artiste visiblement attristé du sort théâtral, particulièrement celui du Canada anglais.
Mais, d’après la discussion qui suivit la performance, tous les comédiens québécois (et même d’ailleurs dans le monde!) de la salle approuvent la vision funeste, mais réaliste de Nardi par rapport à leur milieu. Spectateurs et metteurs en scène aussi sont d’accord. Nardi ne se cache pas de son objectif à travers ses trois lettres, la troisième supposée traiter plutôt de l’aspect économique (demandes de subventions et autres) du milieu artistique : susciter des réactions, engager le débat, discuter des enjeux de l’art canadien, récolter les impressions et interprétations des gens. Plutôt réussi de ce côté, à en juger par les nombreux commentaires de la salle après la fin de la lecture.
Quelques contradictions viennent par contre à l’esprit, notamment à la lecture du dossier de presse de Nardi. Ce dernier est plutôt florissant, multipliant les projets de films et de théâtre et récoltant plusieurs prix d’interprétations. Il n’est peut-être pas le plus à plaindre des comédiens au Canada. Tant mieux qu’il prenne la tribune qui lui est donné pour dénoncer la pourriture du milieu, mais le propos n’est pas nouveau. Une fois de plus étalé au grand jour, y a-t-il des solutions? De l’espoir? Une quelconque chance de s’en sortir, de rehausser la qualité apparemment inexistante du théâtre? Il semble peu probable d’après Nardi. Mais après, que fait-on? Comment avancer, à part en discuter et constater cette triste réalité une fois de plus?
En attendant, il vaut mieux que Nardi trimbale ses lettres et les lise au plus large public possible, car c’est souvent dans la discussion que viennent les solutions, en espérant qu’il y en ait!
La lecture de Letter #2 se terminait le 5 septembre à l’Espace Libre, mais parions que Nardi trouvera d’autres endroits, ici ou ailleurs, pour nous fait vivre ses deux heures de défoulement verbal.