Au coeur de sa féconde fureur de vivre, une préadolescente tente de grandir normalement.
Limitée par sa mère, une femme perdue dans l’obsession de la sécurité, la jeune fille doit se contenter que de son imaginaire pour goûter au bonheur.
À gauche de cette relation horrifiante, sous une pleine lune dure, dans une forêt aux arbres rachitiques, un Loup, rejeté de tous, cherche en vain une épaule pour pleurer sa rage ou un peu de sexe pour se sauver de la folie. Il voudrait hurler… mais il éternue.
À droite, la grand-mère, en constant combat contre la dérive de son autonomie, essaie simplement de fumer, d’allumer sa lampe, de trouver ses pilules ou d’ouvrir la porte… avec dignité. Sa fragilité la tenant elle aussi à l’extrême écart.
Quatre solitudes – d’un monde où la méfiance empêche tout - tirent les quatre coins d’un tissu psychosocial alarmant et font des trous dans la surface colorée du conte originel. Plus de Bien, ni de Mal, ici. Une grande zone grise tragicomique. Un épais brouillard dans lequel chaque petite apparition devient un miracle de communion.
De et avec David-Alexandre Després et Jean-François Nadeau, cette subversive relecture du conte de Charles Perrault ne ressemble à rien… sauf peut-être aux Monty Python prenant le thé chai chez David Lynch ou au silence de Ding et Dong buvant une p’tite Eau chaude chez Robert Morin… Sous la forme d’un mimodrame provoquant fou rire et froid dans le dos, cette partition pour deux acteurs en grande forme est, d’abord et avant tout, une charge contre la morale originelle disant que le Chaperon a couru après le trouble! Le danger n’est pas ici… ou là. Il est partout, tout le temps. Et il en va de notre survie, d’aimer ce danger!
Autrement, ce bricolage psychoburlesque expose notre grandissante peur de l’autre (ou de soi?), notre difficulté à unir l’amour et la sexualité, notre dérapage constant entre la prudence et la paranoïa ou encore notre obsession à séparer le mal du bien. Et ce, en toute intimité (60 places par soir). Âmes sensibles... bienvenues!
La Tourbière est le nouvel appendice de la compagnie Unanime Théâtre. Inspiré par cet écosystème humide, mystérieux, d’une haute teneur acide, hyper fragile, mais grouillant d’une flore et d’une faune uniques, le théâtre issu de La Tourbière privilégie la rencontre rare de plusieurs médiums scéniques, un cérémonial intime et des discours tragicomiques sur les zones particulièrement sombres de la vie terrestre. Le Chaperon est-il si rouge que ça? est son deuxième spectacle.
Fondée en 2002, Unanime Théâtre se déploie sur différents plans : la création collective, mais aussi l’animation, l’intervention sociale et les commandes d’oeuvre. Parmi ces activités, en 2003, à Espace Libre, elle coproduit avec On part en malade, le spectacle Honey Pie de Fanny Britt, dans une mise en scène de Claude Poissant et elle présente aux Francofolies de l'an dernier, l'événement de spoken word J-F Nadeau et Les Muggz.
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Musique Jez
Éclairages et régie Thomas Godefroid
Décors et accessoires Jonas V. Bouchard assisté de Fanny Denault
Mouvement Danielle Lecourtois
Psychanalyse Jean-Pierre Bienvenu
Œil extérieur Philippe Lambert
Direction de production Marie-Hélène Dufort
Crédit photo : Patrice Lamoureux
Tarif : 26$
*alcool, boissons énergétiques et galettes au menu*
Production : La Tourbière
par David Lefebvre
Campé dans la salle de répétition de l’Espace Libre, le théâtre de La Tourbière plonge au cœur du conte du Chaperon rouge de Charles Perreault pour accoucher d’une fable immensément contemporaine, tout aussi mordante, dramatique qu’hilarante.
Il y a d’abord cet homme, Jeannot, aux multiples cauchemars qui se juxtaposent, chaque nuit. Dans la vie, on le raille, on le ridiculise. Pris dans sa solitude, il cherche à la briser en utilisant les bulletins de circulation pour entrer en contact avec ses amis. Il tente de la déjouer grâce à la télé (excellent numéro de ventriloquie) ou en extériorisant ses besoins sexuels refoulés grâce à des peluches. Mais ses pulsions animales le travaillent, jaillissant de lui au moindre contact. Il hurlerait à la lune s’il pouvait arrêter d’éternuer, comme s’il était allergique à sa propre personnalité. À l’autre extrémité, il y a Yvonne, une grand-mère malade, dépendante, agitée comme un tremblement de terre. S’assoir, fumer ou allumer une lampe devient pour elle un défi tout aussi tragique que comique, souffrant de Parkinson ou étant simplement vieille. Au centre, il y a Danielle, cette mère trop protectrice, voire castratrice, et sa fille Marguerite, petite fleur rouge qui s’amuse seule à découvrir par elle-même la vie, jusqu’à ce que la vie vienne la dévorer.
Le duo de créateurs et d’interprètes, formé de David-Alexandre Després et de Jean-François Nadeau, explore, dans cette création extrêmement ludique, des thèmes qui vont bien au-delà du concept du bien et du mal du conte originel. Ils abordent la dépendance, l’hypersexualisation des jeunes filles, la famille dysfonctionnelle, l’exaspération, l’obsession de la protection, la maltraitance chez les aînés et les instincts prédateurs, voire pédophiles. Par contre, le ton n’est jamais lourd, on reste souvent dans le domaine de l’enfance, avec jouets, toutous, accessoires enfantins, ou dans le domaine du masque, du double sens, de «l’exagération contenue». Rien n’est ni noir, ni blanc, on joue avec les différents niveaux de jeux. Després et Nadeau utilisent d’ailleurs, pour ce faire, plusieurs techniques scéniques, dont le mime, le théâtre d’ombres, le théâtre de manipulation et la marionnette, l’humour absurde, ou encore l’essence clownesque. Ces procédés, mis ensemble, viennent habilement créer la trame narrative de cette histoire aux dialogues sommaires, presque inexistants, sauf pour quelques mots ou sons répétés, créant un effet bouffon, presque burlesque, mais toujours très près de la réalité. S’ils les maitrisent plutôt bien, aucune technique n’est pourtant véritablement approfondie ou utilisée de manière dominante.
Le décor, de Jonas V. Bouchard, assisté de Fanny Denault, se veut suggestif, symbolique. Grande table ronde, quelques jouets, chaise berçante, paravent et plusieurs planches de bois, clouées les unes aux autres, formant une forêt rudimentaire et imaginaire, viennent constituer le terrain de jeu des deux acteurs. Même la musique se veut souvent schizophrène, proposant, par exemple, les mélodies de Metallica à la sauce Rock-A-Bye Baby.
Le Chaperon est-il si rouge que ça, malgré l’heure de la représentation (22h30), est une très plaisante et ludique relecture de la fable prédicante, où les concepteurs ont remanié le contexte, repensé les personnages, disséqué et annihilé la morale au profit d’une réflexion et d’une psychanalyse totalement actualisées.