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Du 26 au 30 juin 2012, 20h
Ceux qui l'ont connu
Texte Suzie Bastien
Mise en scène Adam Faucher
Avec Kevin Sauvageau, Marie-Christine Raymond, Nora Guerch, Rocky Manseau, Kim Cormier, Marielle Grenier

Un couloir. 
Le pas d’une porte. 
Verrouillée, depuis un an, déjà. 
Derrière, un homme. 
Emmuré vivant. 
Ça et là, des flaques de honte, 
Ou bien des traces. 
Pour métronome, un goutte-à-goutte. 
La fenêtre. 
Seule issue. 
Par le fait même, le dernier épicentre de ses séismes. 

Qu’en est-il de cet appel du vide, retentissant, ce désir entre éros et mort de râper une peau jusqu’à ce qu’elle disparaisse? Quand le langage a échoué pour tendre des ponts entre les êtres, que reste-il d’espoir? 
Cinq corps viennent se pencher sur l’absence criante du corps de l’être aimé : Élie, l’écrivain suicidé, dédoublé entre ce qu’il fut vraiment et ce qu’il fut imaginé. Réunis au seuil de la fenêtre meurtrière, chacun armés de son fragment de lui, Ceux qui l'ont connu s'affrontent au présent dans la guerre inlassable de la mémoire. Un présent aigu, tendu vers le passé en pont douloureux. Et dans cet espace intermédiaire, une incise : le rêve, qui vient s’insérer dans les interstices pour retourner le gant des choses. 

Cette année, Leitmotiv se lance dans l’univers étrange et touchant de Ceux qui l’ont connu, un texte de Suzie Bastien qui n’a encore jamais été monté. Poursuivant son exploration de l’onirisme et de la corporalité, Leitmotiv désire, cette fois, mettre le corps à l’épreuve du secret, en voyant comment il peut mettre à jour les tensions de l’âme, ses zones d’ombres et ses faux-semblants. Jusqu’où un corps peut-il mentir? Mais, surtout, jusqu’où peut-il dire vrai? La langue riche et ciselée de Ceux qui l’ont connu retentit à l’heure des aveux, entre chiens et loups.  La démarche de Leitmotiv s’inscrit dans une volonté d’exploration du corps de l’acteur et de son mouvement, plus particulièrement, la puissance des corps à transcender la réalité, à la théâtraliser et à en faire un univers autre, fictif certes, mais non moins vrai. Peut-être même plus proche de la vérité que le réel lui-même. 


Section vidéo
trois vidéos disponibles

    

    


Assistance à la mise en scène Jean-Michel St-Cyr
Conseillère dramaturgique Ariane Bourget
Lumières Maxime Bouchard
Musique Antoine Fortin
Scénographie Sarah-Katherine Lutz
Costumes Marie-France Bourdua

Un dollar par billet vendu sera remis à Fondation Dédé Fortin

Troupe Leitmotiv


Espace Libre
1945, rue Fullum
Billetterie : 514-521-4191

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 Critique
Critique

par Ariane Cloutier

Autour du fantôme d’un écrivain suicidé, dans son appartement, se rassemblent spontanément Ceux qui l’ont connu, afin de lui rendre un hommage posthume, d’évoquer des souvenirs tendres, de se livrer à d’amères récriminations et surtout, d’essayer de comprendre ce qui l’a poussé à l’acte. Ils constateront qu’il ne leur a laissé aucune piste ; ils n’ont que leurs souvenirs à évoquer.

La présence de l’écrivain, après son saut de la fenêtre au premier temps de la pièce, est estompée; il intervient parcimonieusement auprès de ses proches. La pièce est construite comme une enfilade de monologues livrée pas les personnages arrivants tour à tour sur les lieux. Ainsi, ils interagissent surtout de façon chorégraphique, donnant au texte un cadre plus abstrait. La danse brutale et sensuelle met l’accent sur la violence des tourments qui habitent ces âmes écorchées.

Ce théâtre corporel est typique au metteur en scène Adam Faucher, et convient parfaitement aux interprètes multidisciplinaires, comme Kim Cormier, qui possède un bagage provenant du cirque, de la danse et du cinéma. La gestuelle des êtres exposés au plus profond de leur intimité témoigne d’un érotisme clairement associé à celui qui n’est plus là. Amants, éditeur, sœur, mère, tous débordent d’un amour incommensurable pour l’être perdu, et de rage devant l’irréversible geste.

Par rapport à l’érotisme excessif des personnages, la conseillère dramaturgique Ariane Bourget explique qu’il était important pour la troupe de montrer l’immémorial lien entre Éros et Thanatos. Selon Barthes, on retrouve à la fois dans la petite et la grande mort le principe de dissolution de l’être, qui est, somme toute, l’ultime quête de notre écrivain suicidé.

Dès les premiers instants, le public est associé au rôle de la voisine (Marie-Christine Raymond), qui reste en retrait tout au long de la pièce. Elle évoque l’isolement de tous les individus qui préfèrent la solitude à l’attachement humain. Debout sur son socle, à part des autres, éclairée d’une légère lumière permanente, elle n’intervient que lorsqu’elle est questionnée. La pièce se clôt sur sa version de l’histoire, celle du seul véritable témoin de l’événement.

À l’instar de la mise en scène, la scénographie de Sarah-Katherine Lutz est surréelle. Elle présente un espace semi-abstrait noir et blanc, où des formes évoquent plus qu’elles ne représentent les meubles – principalement des bibliothèques – de l’appartement de l’écrivain. Les seuls accessoires sur scène sont des livres et des piles de feuilles, blanches. Un piano en arrière-plan permet la prestation en direct du compositeur-interprète Antoine Fortin. Sa présence donne lieu à des interactions très cocasses, notamment avec le personnage de Jeanne (Nora Guerch) qui joue à la diva de cabaret.

La compagnie Leitmotiv, fondée en 2009 par Marie-Pier Simard et Adam Faucher, réunit pour cette pièce principalement des artistes émergents, regroupés autour d’un noyau de l’École de théâtre de l’UQAM, mais provenant également de diverses institutions. Le jeu de ces jeunes prometteurs, quoiqu’irrégulier, est livré avec une belle ferveur. Élie (Kevin Sauvageau), l’écrivain, nous charme dès le début ; on sent très bien l’obsession qu’il sait susciter chez ses proches, et l’interprétation de Marielle Grenier, dans le rôle de la « vieille mère folle », va droit au cœur.

La principale force de l’œuvre de Suzie Bastien est d’avoir le courage d’aborder des thèmes sombres (la dépression, l’isolement, la honte, le rejet, la mort…) et surtout, de le faire avec sensibilité et humour. Mettre ces sujets en scène est nécessaire à notre acceptation de la réalité, et s’inscrit parfaitement dans le mandat de la compagnie Leitmotiv.

29-06-2012