Mon(Theatre).qc.ca, votre site de théâtre
Du 10 au 21 janvier 2012
Requiem pour un trompettiste
Texte Claude Guilmain
Mise en scène Louise Naubert
Avec Marcello Arroyo, Vincent Leclerc, Bernard Meney, Pier Paquette, Victor Trelles Turgeon, Marie Turgeon

Été 1958 : en pleine canicule, une petite ville est secouée par un scandale autour d’une affaire de santé publique. Alors que le maire Rosaire Groulx est à l’hôtel, en train de combler ses désirs charnels, de l’autre côté de la rue, à l’Hôtel de Ville, ses adjoints tentent de camoufler une négligence qui a déjà coûté la vie à de nombreux citoyens. Inspirée de l’affaire Walkerton – un scandale d’eau contaminée qui fit grand bruit dans l’actualité ontarienne –, cette œuvre explore les ressorts de la corruption politique et de la désinformation publique. Tout droit sortis d’un film noir, les personnages, tour à tour victimes et bourreaux, sont pris dans un subtil engrenage qui défie toute moralité.

L’auditoire est divisé en deux. Une moitié assiste à ce qui se passe à l’hôtel de ville et l’autre moitié est témoin de l’action dans la chambre d’hôtel. À l’entracte, les publics changent de place et la pièce recommence au début. Les spectateurs sont donc conviés à observer, en deux temps, les fragments complémentaires d’une même action. D’un point de vue dédoublé naîtra ainsi une œuvre au résultat imprévisible.

Le Théâtre La Tangente est né de la nécessité de créer en français à Toronto pour combler le manque de créations théâtrales de langue française au sud de la province. Les cofondateurs, Claude Guilmain et Louise Naubert sont pluridisciplinaires et polyvalents et leurs projets artistiques sont le fruit de recherche et d’exploration. Notons entre autres, dans leur répertoire, Les Cascadeurs de l’amour, récit poétique de Patrice Desbiens, adapté pour le théâtre et mis en scène de Louise Naubert, qui a valu à la compagnie, le Masque de la production franco-canadienne 2000. Une première version de Requiem pour un trompettiste a été finaliste pour le Masque de la production franco-canadienne, suite à sa présentation en spectacle d’ouverture du Festival Zones Théâtrales, au Centre national des Arts, en septembre 2005.


Direction artistique du projet Claude Guilmain
Scénographie Claude Guilmain et Dany Boivin
Musique et conception sonore Claude Naubert
Eclairages Guillaume Houët-Brisebois

Du mardi au samedi à 20h
Jeudi 12 janvier à 19h, suivi d’une discussion avec l’équipe de création
Vendredi 13 janvier à 18h30, suivi d’une table ronde
Prévente: 20$ le billet / Offre valable jusqu’au 10 janvier 2012 pour les représentations du 11 au 13 janvier.

Carte Premières
Cartes Prem1ères
Date Premières : toutes les représentations
Régulier : 29$

Carte premières : 14,50$

Production : Théâtre La Tangente


Espace Libre
1945, rue Fullum
Billetterie : 514-521-4191

Facebook
 
______________________________________
 Critique
Critique

par David Lefebvre


Crédit photo : Aurélien Muller

En ce début de nouvelle année, l'Espace Libre ouvre ses portes à des créations et créateurs du Canada et d'Europe. Pour entreprendre cette série, le directeur artistique Philippe Ducros, au flair étonnant, propose une création francophone de Toronto, plus précisément du Théâtre la Tangente. Créée au Studio du Centre national des Arts en 2005, lors du Festival Zones Théâtrales, la pièce Requiem pour un trompettiste s'inspire largement de l'affaire d'eau contaminée de Walkerton, qui avait défrayé la manchette il y a une dizaine d'années, pour explorer la désinformation gouvernementale, le contrôle de l'information, les stratégies politiques et la corruption municipale.

Journée de canicule de l'été 1958 ; dans cette petite ville sans nom, un scandale éclate : plusieurs personnes souffrent et meurent à cause, semble-t-il, de négligences du côté de la santé publique. La mairie en a plein les bras, des rumeurs courent : des coupures drastiques seraient en cause. Mais personne ne veut porter le blâme. Chantage, manigances, la tension est palpable. De plus, la maîtresse que le maire entretient, qui loge à l'Imperial, l'hôtel en face de la mairie, n'en peut plus de ce petit jeu morbide. Sa valise se remplit, tout se corse.

Tels des John Huston, l'auteur Claude Guilmain et la metteure en scène Louise Naubert situent leur double intrigue dans une ambiance digne d'un film noir : volutes de cigarettes, éclairages laissant place à de jolies ombres opaques, costumes et personnages typés. Les trois M du genre sont réunis : magouille, maîtresse et mort. L'excellente musique jazzée et feutrée de Claude Naubert, inspirée visiblement par les immenses Ellington, Coltrane et Davis, se veut plus qu'une trame sonore : elle montre le chemin très précis que doivent suivre les comédiens pour synchroniser leur jeu. Car l'une des grandes particularités de Requiem pour un trompettiste est celle de raconter au public la même histoire deux fois, du point de vue de la mairie, ensuite de la chambre d'hôtel. Ou vice versa, selon l'endroit où le spectateur s'assoit. Donc deux parties de la même histoire, distinctes, mais en simultanée. Pour ce faire, les décors se font dos, seule la fenêtre placée au centre permet un lien visuel vers l'autre côté de la rue.

Si l'idée est ingénieuse, plusieurs creux se font sentir tout au long du récit, comme si l'on avait eu du mal à étoffer certains échanges des personnages pour uniformiser le temps de dialogue entre les scènes qui doivent se jouer en un parfait synchronisme. Et les silences, très présents, n'alourdissent pas la trame narrative comme ils devraient sensément le faire. Les moments au téléphone sont aussi fautifs ; parfois longs, ils se résument à des onomatopées et des demi-mots qu'on peine à terminer. Le langage est souvent des plus colorés, principalement les dialogues du maire ; par contre, ses écarts viennent largement nourrir une image encore plus violente et forte de cet homme politique aux moeurs sulfureuses. Pour camoufler les sons qui pourraient provenir de l'autre côté du décor, le public place sur ses oreilles un casque d'écoute qui donne accès à la scène qui lui est présentée. Si le concept est tout de même intéressant, octroyant un niveau encore plus élevé de « voyeurisme », comme si nous avions placé l'espace sous écoute électronique, la technologie a aussi ses défauts. Deux microphones ont cessé de fonctionner durant la première, et plusieurs spectateurs ont eu droit à des bruits parasites persistants.

La trame principale, rappelant tristement des événements récents de l'actualité, est digne d'intérêt : la politique crasse et les machinations sans pitié font réellement sourciller. Les stratégies de communication employées pour étouffer le scandale sont le fruit d'une admirable écriture ; logique, plausible, on joue sans vergogne avec les mots et le sens des phrases. Tout aussi étonnant, savoureux que désespérant. Et la partie plus personnelle de l'histoire du maire, mettant en scène sa maîtresse et le garçon d'étage amoureux de la dame, ajoute un suspens indéniable à toute l'affaire.

Pour cette version, la distribution a été complètement renouvelée et chacun se démarque habilement. Notons Pier Paquette en maire au fort caractère, Marie Turgeon en amante troublée et dégoûtée, ainsi que Vincent Leclerc et Bernard Meney en collègues manipulateurs, à la moralité malléable, au service du maire.

Cette prière enfumée, sans aucun sens moral, met au jour un troublant jeu de pouvoir dans l'intime et le public, et montre autant le bourreau que la victime, et ce, en chacun de ces personnages aussi attachants que répugnants. Requiem pour un trompettiste propose une expérience théâtrale sensorielle stimulante et une histoire noire des plus classiques qui raviront les amateurs du genre.

11-01-2012