De 1455 à 1487, les trente années d’événements dramatiques et parfois sanglants de la guerre des deux roses ont ainsi inspiré certaines des meilleures intrigues du grand Will. Henry VI usurpe le trône pour y faire prévaloir la rose rouge de sa famille, les Lancastre. Le pouvoir sera reconquis dans un bain de sang par le Yorkiste Edward IV, qui y ramène la rose blanche de son clan. Entre les révoltes populaires d’un Jack Cade et la perte des conquêtes françaises d’Henry V, le destin du pauvre Henry VI, régenté par tout un chacun, moitié mystique et moitié fou, sera scellé par son assassinat en prison. Le Barde s’y approprie même le personnage mythique de Jeanne d’Arc avec un éclairage bien différent sur cette foutue Pucelle.
Dans cette dernière décennie du XVIe siècle, la représentation intégrale d’Henry VI, soit quelque 7 500 vers rythmés, mais sans interruption ou effets de mise en scène, devait durer environ sept heures trente. Les rares productions contemporaines, souvent émondées, durent douze heures. L’adaptation d’Omnibus le corps du théâtre sera de deux petites heures. Place à l’action ! Non pas qu’il faille douter des paroles, mais cette production postule l’antériorité des actes sur les mots qui les explicitent. Après son fameux Cycle des rois, en 1988, la troupe met les trois pièces de Shakespeare à l’épreuve de l’urgence d’agir, de faire et de dire.
Garantie d’imputabilité, Jean Asselin, notre metteur en scène, traduira les trois pièces. Il les avait déjà montées en 1986 avec une troupe de jeunes acteurs de l’UQAM. On remet ça, vingt-sept ans plus tard, avec certains des interprètes de l’époque, dont Sylvie Moreau et Réal Bossé, qui ont atteint, voire dépassé l’âge et la maturité des quelques cent dix-sept personnages de l’œuvre épique.
Les temps changent. Demeure l’hommerie dans sa soif de pouvoir; sujet de prédilection et toujours d’époque.
Section vidéo
une vidéo disponible
Costumes: Judy Jonker
Éclairages: Mathieu Marcil
Environnement sonore: Éric Forget
Du mardi au samedi à 20h
Vendredi 19 avril à 18h30, suivi d'une table ronde
Jeudi 25 avril à 19h, suivi d'une discussion avec l'équipe de création
Régulier: 34$
Moins de 30 ans: 29$
Prévente: 24$, offre valable jusqu'au 16 avril pour les représentations du 17 au 20 avril.
Production : Omnibus le corps du théâtre
par Daphné Bathalon
Colossal est le travail d’adaptation et de traduction pour transposer sur scène l’histoire de Henri VI, une pièce de Shakespeare rarement jouée.À la mise en scène et à l’adaptation, Jean Asselin a habilement coupé dans cette pièce en trois parties pour ne garder, des quelque neuf heures de texte initial, que l’action et les échanges souvent acérés entre les personnages. Le spectacle Fatal n’en est que plus intense, même si très bavard, car les revirements de situation et de pouvoir se succèdent au rythme d’une marche militaire. Les ambitions des membres de la famille Plantagenêt seront un rouleau compresseur qui culbutera bien des vies (faisant rouler quelques têtes au passage!) et plongera le royaume dans une guerre intestine entre partisans de la rose blanche (Henri VI) et de la rose rouge (duc de York)...
Seul défaut de cet enchaînement d’actions : malgré les quelques repères temporels semés par un lecteur de nouvelles tout ce qu’il y a de plus 21e siècle dont on ne verra que la bouche, les mouvements de pouvoir, meurtres et vengeances paraissent se produire à une vitesse folle. Ce qui n’est pas rien pour un spectacle qui frôle les deux heures quarante-cinq! Asselin aurait-il pu couper dans l’imposant défilé de personnages? Sans doute aurait-ce allégé la pièce, qui ne compte pas moins de quarante personnages en plus de rôles épisodiques, mais on y aurait perdu toute la richesse des alliances et des complots, dans l’ombre. Pour tenter de rattraper l’attention du spectateur, qui s’égare au tiers de cette guerre des Deux-Roses, Asselin a inclus une séquence didactique, où deux personnages expliquent l’arbre généalogique des Plantagenêt et les aspirations au trône (légitimes ou non) du duc de York. Un rappel plus que bienvenu de l’arbre également inséré dans le programme de la soirée. Lors de la première, quelques spectateurs consultaient d’ailleurs celui-ci discrètement pendant le spectacle, question de s’y retrouver dans tous ces liens familiaux et dans tous les personnages.
La connaissance de l’Histoire et du théâtre historique de Shakespeare est d’un certain recours, mais, avouons-le, il vaut mieux abdiquer devant le flot de noms, de titres, d’allégeances, de vengeances, de pactes et de trahisons pour mieux se laisser porter par le drame. Désempêtré du souci de suivre de trop près la généalogie, le spectateur aura alors davantage plaisir à remonter la trace sanglante laissée par ces clans royaux qui déchirèrent l’Angleterre pendant plus de quatre décennies, heurtant leurs armées au gré de leurs alliances...
Fatal rappelle par beaucoup d’aspects la pièce-fleuve de Jean-Pierre Ronfart, Vie et mort du roi boiteux; toutes deux partagent une économie de moyens dans la représentation : pas de décor et des costumes simples. Elles parlent aussi un langage commun, singulier mélange de langue châtiée et de joual ponctué de sacres et d’anglicismes. À certains moments, les mots québécois s’intègrent bien aux répliques mordantes de ces grandes figures historiques; les comédiens les glissant avec beaucoup de naturel dans leurs discours, sans les accentuer exagérément. Mais à d’autres moments, le vocabulaire parfois très grossier détonne avec la noblesse des personnages, les références scatologiques nuisant à la tension tragique d’une scène. Dans l’ensemble, Asselin a tout de même fait un bon travail de traduction et d’adaptation. Le métissage du langage donne de la couleur et du mordant au texte, bien maîtrisé par toute la distribution. Malgré un léger essoufflement en dernière partie, les huit comédiens se partagent les quelque 70 rôles avec talent. À noter les belles performances d’Anne Sabourin (particulièrement éclatante dans le rôle de Clifford le jeune) et de Pascal Contamine.
La proposition d’Omnibus joue aussi beaucoup sur l’espace : la salle du théâtre Espace Libre est mise à contribution pour ce spectacle. Seize issues tout autour de la salle, autant au sol qu’à l’étage, livrent passage aux personnages et permettent l’apparition de messagers annonçant la victoire de l’un ou la déroute de l’autre. Même le hall d’entrée habituel du théâtre, du côté de la billetterie, sert d’aire de jeu et de coulisses. Une occupation très ludique de l’espace.
Si cette libre adaptation d’un grand drame historique de Shakespeare en décoiffera quelques-uns, Fatal a le mérite de dépoussiérer une histoire sanglante pour en faire un récit passionnant et plus qu’efficace. Comment ne pas être ému par la triste figure de Henri VI, ce roi de naissance qui aurait préféré, et de loin, n’être que simple sujet?