Une vieille salle de classe encombrée d’objets épars et incongrus. La cloche sonne, un professeur apparaît et nous intime l'ordre de prendre notre manuel : la classe commence. Brisant peu à peu les consignes et les règlements propres à l’environnement scolaire, la performance se déploie et nous initie au phénomène de la « jeune-fillisation » du monde, à partir d’une lecture dirigée du manuel inspiré des Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille du collectif Tiqqun, publié en 1999. Imaginé par ces philosophes européens, le concept de la « Jeune-Fille » nous représente : nous sommes la Jeune-Fille, cet individu vivant et agissant sous influence.
Grâce à une dramaturgie frontale, déstructurée, flirtant avec les arts visuels et la musique, ce spectacle veut faire réfléchir et dénoncer l'aliénation capitaliste, l'instrumentalisation de l'image et la manipulation de l'insconscient collectif.
Créé à Québec en 2010 et repris en 2012 au Mois Multi 13, La Jeune-Fille et la mort est un spectacle multidisciplinaire et insubordonné. Poésie sonore, leçons d’un singulier professeur de ballet, chansons, sculptures, musique d’un quatuor à cordes viennent participer au portrait éclaté et symbolique de la Jeune-Fille que nous propose le Bureau de l’APA et ses collaborateurs issus des différentes sphères de l’art. Un fabuleux bricolage indiscipliné qui engage directement le spectateur.
Section vidéo
deux vidéos disponibles
Installation scénique Stéphanie Béliveau
Lumières Philippe Lessard-Drolet
Composition et conception musicale Simon Elmaleh
Objets d'art Stéphanie Béliveau, Alexandre Fatta, Claudie Gagnon, Pascal Robitaille, Zoé Laporte, Philippe Lessard-Drolet
Conception du livre Jérôme Bourque, Laurence Brunelle-Côté, Mélanie Drouin et Simon Drouin
Crédit photo (critique) : Émilie Baillargeon
Vendredi 12 octobre à 18h30, suivi d'une table ronde
Jeudi 18 octobre à 19h, suivi d'une discussion avec l'équipe de création
Samedi 20 octobre à 16h et 20h
Cartes Prem1ères
Date Premières : du 10 au 18 octobre
Régulier: 34$
Étudiant: 29$
Prévente: 24$, offre valable jusqu'au 9 octobre, pour les représentations des 10, 11, 12 et 13 octobre
Une production Bureau de l'APA
par Isabelle Girouard
Les artistes performeurs Laurence Brunelle-Côté et Simon Drouin, travaillant sous le nom du bureau de l’APA, arrivent de Québec pour nous présenter une création fort originale gagnant à être connue. La Jeune-fille et la mort est une oeuvre théâtrale hybride faisant appel tant à la performance qu’à l’installation visuelle et sonore. D’abord présentée sous la forme d’un laboratoire à Lyon en 2008, on la retrouve dans sa version actuelle deux ans plus tard sur la scène de la capitale, puis au festival du Mois Multi en 2012. Le bureau de l’APA se démarque par ses créations multiformes rassemblant des artistes de différents horizons. Il en est à sa troisième production.
Avant de rejoindre son siège, le spectateur est invité à se promener dans l’espace scénique. Cela lui permet de se familiariser avec cet environnement pour le moins insolite où débutera bientôt la « leçon de classe », donnée par un professeur plutôt autoritaire. Cette leçon a pour but, vous l’aurez peut-être deviné, de l’instruire à propos de la jeune-fille. À cet effet, on lui fournit un manuel scolaire auquel on lui demandera de se référer afin de bien se mettre à l’étude. La séance se déroule comme à la petite école : dictée, lecture, devoirs, récréation... le tout bien régulé par le son de la cloche. Les performeurs (le duo Brunelle-Côté / Drouin) usent de toutes les ingéniosités possibles afin d’illustrer les savants propos de l’enseignant.
C’est le recueil d’aphorismes du collectif ultragauchiste Tiqqun, Premiers matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille (Milles et Une Nuits, 2001), qui a servi de matière première à la création. Conceptuellement parlant, la jeune-fille est une forme creuse : elle incarne le superficiel, une chose conforme, autrement dit. Elle fait aussi état, pour celui qui suit bien la leçon, d’une critique poivrée des formes de socialisation actuelles. Comme autant de versions de la jeune-fille, des tableaux s’enchaînent les uns après les autres. Si le spectateur à l’impression de perdre le fil, c’est probablement qu’il s’efforce à tort de chercher le sens là où il n’y en a tout simplement pas.
Si l’installation scénique est fort inventive et remplie de curiosités, l’interaction des performeurs avec cet univers l’est tout autant. Le manuel scolaire, qui est composé des aphorismes de Tiqqun et d’un assemblage de photo, contient à peu près tout le texte du spectacle. Son intégration est pertinente, d’autant plus qu’il constitue un objet d’art très plaisant à regarder. L’ensemble est magnifiquement supporté par la présence sur scène d’un quatuor à corde et par différents effets sonores très cocasses venant ponctuer la représentation. C’est la pièce éponyme de Schubert qui aura servi de matériau de base au concepteur sonore Simon Elmaleh.
À trop vouloir nous en mettre plein la vue et les oreilles, les performeurs perdent toutefois quelques plumes en cours de route. La jeune-fille et la mort, tout comme l’art de la performance, mise visiblement plus sur la forme que sur le contenu. À ce propos, pourrait-on dire que le spectacle est lui-même... une jeune-fille? À vous d’en juger !
par Odré Simard
Le regroupement du Bureau de l'APA se targue d'offrir à leur public des « créations artistiques multiformes » qui font état de la « complexité de leur rapport au monde ». Les initiateurs, Laurence Brunelle-Côté et Simon Drouin, abordent ici la « théorie de la jeune fille », telle qu'avancée par le collectif philosophique français Tiqqun. Un assemblage d'aphorismes plutôt poétiques qui dépeignent ce nouveau tare de la société qu'est la marchandisation de l'image et le bal des apparences qui mène à la négation de l'être.
Un professeur nous convie à prendre place dans la salle de classe, pour ensuite consulter notre manuel scolaire regroupant la presque totalité du texte qui sera dit sur scène, manuel qui soit dit en passant est un magnifique travail plastique saillant de créativité. La classe est chaotique, baignant dans une scénographie décousue mais enveloppante, avec une foule d'objets épars. Les deux performeurs nous serviront de guides dans cette démarche exploratoire. Ils nous lanceront des consignes et nous feront nous promener à travers tout le livre, chuchoteront, crieront, sueront pour nous lancer leur message. S'ajoute à cela un individu qui vient danser, souffler et hurler les numéros de chapitres, un quatuor à cordes jouant du Schubert, deux autres personnes orchestrant à vue les sons et la lumière de cette aventure. Finalement, un indésirable ne cesse de reprendre place sur scène malgré les avertissements du professeur.
Un énorme travail a été effectué sur tous les niveaux par les membres du regroupement, offrant au spectateur une poésie scénique exacerbée. À la lumière d'une rencontre avec les créateurs, nous apprenons que le message social est à la base de leur démarche et que tout le reste s'est greffé au fur et à mesure, tel un gigantesque casse-tête. La problématique de l'image est très claire et le véhicule était des plus étonnants et divertissants, mais il semble que la critique proposée stagnait quelque peu dans une accumulation d'idées depuis laquelle il était difficile de reconstruire une ligne directrice permettant une perception claire. Par contre, l'expérience se vit tel un grand voyage, il faut être prêt à s'abandonner au chaos et aborder ce qui nous est offert avec tous nos sens afin d'en profiter pleinement.
par Sophie Vaillancourt Léonard
Il faut sans aucun doute être témoin de La Jeune-Fille et la mort plusieurs fois pour arriver à en cerner toutes les subtilités. Présenté à la salle Multi de la coopérative Méduse jusqu’au 13 novembre, par le bureau de l’APA – structure indisciplinée et intelligente, dont le mandat consiste à générer des créations artistiques multiformes répondant largement et spécifiquement à la question : comment ce qui fait du sens fait-il sens ? – La Jeune-Fille et la mort ne peut pas être résumée où expliquée. Elle peut être perçue, comprise, acceptée ou refusée par ceux et celles qui la reçoivent, tout simplement.
Munis d’un manuel scolaire présentant les aphorismes du recueil Premier matériaux pour une théorie de la Jeune-Fille de Tiqqun (revue philosophie française fondée en 1999 et animée par divers écrivains), le spectateur entre dans une salle de classe vraisemblablement livrée à elle-même. Pendant l’heure et quart que durera le spectacle, l’auditoire, devenu élève, se verra donner une véritable leçon qu’il devra suivre au gré des pages du dit manuel. Poésie sonore, danse, performance, La Jeune-Fille et la mort est une œuvre d’art à tous les niveaux. Livrée comme lors d’une journée d’école, avec ses cloches et ses récréations, la leçon est des plus éclatées; donnée dans le lieu de la socialisation par excellence, elle jette en plein visage de ceux qui la reçoivent tous les concepts, clichés et toutes les aberrations dont la société afflige la Jeune-Fille. Souvent à un rythme effréné, les « performeurs » gavent le spectateur d’informations, de choses à retenir, à voir, à entendre, mais surtout, à comprendre, à consommer, comme un professeur à ses étudiants.
Les créateurs et performeurs de La Jeune-Fille et la mort misaient haut et gros. Fine était la ligne pour ne pas tomber dans le trop, la surstimulation du spectateur, l’anéantissement de la qualité par la quantité. Mais voilà justement ce qui en fait une réussite. Laurence Brunelle-Côté et Simon Drouin ont non seulement su doser sans minimaliser, ils ont également su s’entourer d’extraordinaires artistes, dont Simon Elmaleh, musicien électro-acousticien, pour n’en nommer qu’un seul.
Si « La Jeune-Fille sait trop bien ce qu’elle veut dans le détail pour vouloir quoi que ce soit en général », La Jeune-Fille et la mort est une réussite dans ses moindres détails, comme dans sa globalité.