Avec cette dernière création, le Bureau de l’APA accompagné de plusieurs membres de l’Orchestre d’hommes-orchestres et d’une diversité de créateurs nous invite encore une fois dans leur cabinet de curiosités où se trouvent accumulés des objets inventés, bricolés, hétéroclites et inusités.
Si l’action de La Jeune-Fille et la Mort était campée dans une salle de classe, cette fois-ci, les spectateurs entreront dans une salle de concert. La dernière création du Bureau de l'APA empile performances, tableaux vivants, textes et chansons, dans une œuvre qui pose la question de l'aliénation et du pouvoir, plus particulièrement celui de la musique. Dans Les oiseaux mécaniques, on opère le détournement d'un monument de la musique, la Neuvième Symphonie de Beethoven. Tous les éléments participant au système de la musique classique — musiciens, chef d'orchestre, instruments, et même critique musical! — seront joyeusement passés à la moulinette indisciplinée.
Section vidéo
Toiles Stéphanie Béliveau
Objets d’art Maxime Rioux, Julie Delorme
Film Alexandre Fatta
Lumières Philippe Lessard-Drolet
Son Frédérique Auger
* À l’image des autres créations du Bureau de l’APA, tous les performeurs-interprètes sont aussi concepteurs, en tout ou en partie, de leurs performances
Date Premières : 4 au 7 mars 2015
Billet régulier 32$
Billet (30 ans et moins) 25$
Billet du Studio Espace Libre 24$
Forfait PréVoir 24$
Carte premières : 16$
Production Le Bureau de l’APA
par David Lefebvre
Les créateurs Laurence Brunelle-Côté et Simon Drouin du Bureau de l’APA, flanqués de plusieurs membres de l’Orchestre d’hommes-orchestre, présentent jusqu’au 21 décembre prochain à Espace Libre leur plus récent projet, intitulé Les oiseaux mécaniques. Création inédite, foisonnante et d’une remarquable densité, elle se veut être une suite plutôt logique à la réflexion sur l’aliénation et le pouvoir initiée lors de leur spectacle précédant, La jeune-fille et la mort.
Il serait hasardeux de décrire en détail Les oiseaux mécaniques, tant la proposition est un joli chaos artistique. Une « chaosphonie », si l’on peut dire, puisque la troupe tente de se réapproprier et de réinterpréter, à leur manière, ce qui est considéré par plusieurs comme l’une des plus grandes symphonies de tous les temps, soit la 9e de Beethoven. Tout comme la composition magistrale de l’Allemand, le spectacle se sépare en quatre mouvements, avec des ouvertures, des thèmes, des développements, des codas et des conclusions. On se questionne sur l’omniprésence de la musique dans nos vies et nos espaces publics, sur le concept de la majorité, sur la puissance et l’influence des sons et de la musique. On aborde des notions d’histoire de la musique et du monde, on détourne les symboles du pouvoir directement dans les accessoires scéniques, on assassine à bout portant les gens qui veulent changer leur nom pour Caroline, portant ainsi un regard caustique sur ce « nom-son » auquel nous répondons toute notre vie.
Le bureau de l’APA ne fait pas les choses comme les autres : ses spectacles sont théâtraux, certes, mais s’approchent davantage de la performance et de l’art visuel, réunissant plusieurs concepteurs de différents milieux. La mise en scène des Oiseaux mécaniques propose de multiples couches, nous stimulant autant visuellement, dans un espace rappelant une scène de concert avec lutrins, musiciens et chanteurs, que par les sons, nombreux, produits par des instruments inventés, comme des violons mécaniques, la guitare de Jasmin Cloutier, le cor français de Benoît Fortier, le DJ set de Julie Delorme ou la voix humaine, dont celle, stupéfiante, de Danya Ortmann. Intellectuellement aussi, grâce à des argumentations, voire des laïus, philosophiques, poétiques, historiques et politiques, grappillés ici et là. Répétés au moins deux fois, de manière identique ou non, ces phrases viennent mettre en lumière notre contraignante réalité d’apprentissage et de pensée, rappelant du coup le titre du spectacle, qui fait référence directe aux serinettes, cet outil de la Renaissance utilisé pour faire apprendre aux serins et aux canaris un chant imposé, leur faisant oublier alors par la force de la répétition leurs gazouillis naturels.
Polymorphe, Les oiseaux mécaniques est un amalgame de tableaux et de collages parfois étranges, parfois surréalistes, parfois visuellement très fort, souvent décousu et aux nombreuses interruptions – notons celle, à trois reprises, d’un hilarant Johnny Walker, de plus en plus ivre, qui publicise son scotch Red Label, en en buvant deux doigts à chaque reprise –, mais soutenu par une structure sous-jacente réfléchie et solide. Plus le spectacle avance, plus il s’éloigne de la symphonie, se créant son propre univers ludique, brouillé, déstabilisant, indiscipliné, multiple, tonitruant, voire abrutissant, mais toujours fascinant. La complexité et la densité de la proposition nous font immanquablement perdre le sens de celle-ci, si du moins nous en avions capté un (ou plusieurs) depuis le début de la représentation.
« L’art n’est pas le contraire de la barbarie », dit à un moment Alain-Martin Richard, agissant comme membre de la troupe et comme critique du spectacle tout à la fois ; une des nombreuses dualités du projet. Avec ce parapluie déplumé sautillant grâce à la vibration d’une machine à coudre, ces chaises qu’on manipule violemment, ces fusils qui pétaradent, ces sons, cette musique et ces mots martelés, rien n’est plus vrai. « Est-ce qu’écouter c’est obéir? », se demande le Bureau de l’APA. S’il est vrai que nous ne pouvons nous isoler totalement des sons qui nous entourent, leur interprétation nous appartient totalement. Mais pendant combien de temps ? Métissé, fragmenté, mouvant, Les oiseaux mécaniques est un objet insolite, qui ne plaira pas à tous les publics, mais qui charmera assurément par son côté marginal et non-conformiste.
Le spectacle sera aussi présenté lors du prochain Mois Multi à Québec, en février 2014.