Avec Splendeur du mobilier russe, le Groupe de poésie moderne (Gpm) s’intéresse au malaise qui nous empêche d’être satisfait du lieu où l’on se trouve tant sur le plan personnel, culturel que national. Cette nouvelle création du Gpm poursuit une réflexion sur le rôle de l’artiste et sur ses difficultés à se trouver une place au sein de la société qu’il habite. Dans ce spectacle, la figure de l’artiste est incarnée par un Groupe de poésie moderne qui cherche à se rendre vers un lieu d’existence rêvé. Et la Russie dans tout cela? Peut-être représente-t-elle cet ailleurs idéalisé. Car elle habite l’œuvre comme une ombre, elle est en filigrane de l’action comme l’incarnation d’un lieu mythique qui a vu naître de grands artistes en littérature, en poésie et en théâtre. C’est une Russie théâtrale, imaginaire, où l’on confond Dostoïevski avec Jack Monoloy, où le métro Berri UQAM nous amène à la station Loubianka de Moscou. Une Russie dont les personnages du Gpm se drapent car il leur est plus facile de s’imaginer là, que dans le lieu où ils se trouvent.
Scénographie Cassandre Chatonnier
Musique
Sylvain Bertrand
Éclairage
Mathieu Marcil
Coordination de production
Cynthia Bouchard-Gosselin
Régie et coordination technique
Laurence Croteau-Langevin
Assistance à la mise en scène
Agathe Detrieux
Assistante à la scénographie
Claire Renaud
Assistant de production
Ilya Krouglikov
Techniciens-manipulateurs
Milan Duchene et Léa-Marina Lanoue Timm
19 février
Vendredi-entretien
Entretien thématique
21 février
Jeudi-discussion
Discussion avec les artistes
Espace Libre
Billet régulier 32$
Billet (30 ans et moins) 25$
Billet du Studio Espace Libre 24$
Forfait PréVoir 24$
Pour la Maison de la culture Plateau-Mont-Royal, les laissers-passer seront disponibles dès le 28 novembre 2014. Gratuit
465, avenue du Mont-Royal Est
514-872-2266
Une production Groupe de poésie moderne
par Olivier Dumas
À l’Espace Libre, il demeure quasiment impossible de se sentir le cœur lourd ou triste devant Splendeur du mobilier russe, une création aussi vive qu’endiablée.
Après la lecture du synopsis de la plus récente production habilement tricotée par le Groupe de poésie moderne (GPM), un synopsis qui nous montre trois options quant au déroulement de la soirée (sous les lettres A, B et C), on peut supposer que le critique de théâtre se retrouve également devant un nombre similaire de choix. A) Celui-ci peut balayer une telle œuvre du revers de la main et laisser sous-entendre que la poésie «pure» ne se prête jamais aux artifices du langage scénique. Car de toute façon, aux dires de certains, le visuel doit toujours prédominer sur tout, et par conséquent sur la parole, sur le verbe et la langue. B) Avec une température frigorifique à l’extérieur, est-il préférable de rester confortablement à la maison emmitouflée devant une série télévisée au goût du jour? C) Un esprit curieux accepterait plutôt de plonger dans une proposition insolite et surprenante exigeant de laisser sa logique à la porte du théâtre de la rue Fullum. Par ailleurs, la compagnie avait conçu précédemment l’excellent spectacle De l’impossible retour de Léontine en brassière (un autre titre inusité et une exécution scénique encore plus forte que Splendeur) inspiré librement de l’œuvre de Paul-Émile Borduas et de l’époque du Refus global.
La troisième option demeure la plus avisée. Car durant une heure et vingt minutes, les quatre principaux interprètes mènent avec énergie cette aventure étrange et périlleuse. Pour le GPM, « toute existence est une trajectoire » où les différents chemins nous amènent à bifurquer de notre destin initial. L’assemblage de courts textes écrits à quatre mains par Bernard Dion et Benoît Paiement traite avec fantaisie et parfois un petit soupçon de gravité de l’égarement et du questionnement identitaire. La mise en scène de Robert Reid donne une cohérence à ces petits tableaux en apparence décousus. L’histoire se penche sur les tribulations des membres d’une compagnie de théâtre qui se sont perdus en cours de chemin et qui cherchent leur route. Or, le quatuor s’est égaré entre Moscou et Châteauguay (étonnant rapprochement géographique) par l’effet du hasard. Il tente de retrouver leur metteur en scène Bob, mais échoue encore une fois.
Le fil d’Ariane de ces fictions singulières se caractérise par ses innombrables enchevêtrements entre les imaginaires russes et québécois. Pour y parvenir, les concepteurs ont recours à la métaphore de l’artiste (présente également dans Léontine) pour exprimer le lien entre le lieu réel et celui de l’existence rêvée, sublimée, fantasmée. Et le pays de Tolstoï et de Tchekhov devient ici la patrie mythique qui a engendré des artistes majeurs dans l’histoire de l’humanité. Dostoïevski est confondu avec le Jack Monoloy de Gilles Vigneault (dont nous entendons un extrait avec quelques mots trafiqués pour l’occasion), tout comme le métro Berri-UQAM est pris pour la station de Loubianka de Moscou.
La production Splendeur du mobilier russe ne s’intéresse pas qu’aux mots. Elle s’amuse aussi à jouer avec les codes de la représentation théâtrale, notamment par la présence récurrente de deux des membres de l’équipe technique. Ceux-ci prennent le temps d’ajuster, par exemple, à certains moments, la distance des néons d’éclairage à la vue du public ou encore apportent un accessoire pour la scène suivante. Le plateau se décline au fur et à mesure de la progression des récits en de nombreux décors, comme des poupées gigognes, mais sans l’effet de rétrécissement. Il associe plutôt, peu de temps avant le dénouement, le dépouillement de l’espace à un propos tendant vers plus de simplicité. Nous voyons entre autres défiler sous nos yeux le décor d’une cuisine québécoise d’une autre époque avec sa table, sa nappe et sa tapisserie jaunie qui se transforme ensuite en un mur où se trouvent des cadres de portraits photographiques en noir et blanc. La scénographie de Cassandre Chatonnier apporte ainsi une dimension concrète et humaine à cette poésie effervescente appuyée délicatement par la musique de Sylvain Bertrand.
Pascal Contamine, Larissa Corriveau, Sophie Faucher et Christophe Rapin incarnent ces successions effrénées de rôles avec candeur, drôlerie et assurance. Tous sobrement vêtus de noir, ils portent les partitions sur leurs épaules, mordent dans les mots, s’étonnent des réactions sur l’auditoire. Apparaissant furtivement au début de la pièce, Elizabeth Chouvalidzé revient pour une finale touchante où elle exprime les angoisses de la vieillesse et de la solitude. Ce témoignage sur la fragilité de la vie conclut sur une note émouvante ce virtuose exercice de style.
Avec Splendeur du mobilier russe, le Groupe de poésie moderne réussit son pari de A) rendre vivant un genre littéraire jugé parfois à tort plutôt abstrait, B) concilier un humour absurde en apparence échevelé à de grands moments d’émotion et à C) aider notre moral à traverser les soubresauts d’un hiver glacial avec des éclats de rire. Avec ou sans Bob.