Texte de Sébastien Harrisson
Mise en scène de Frédéric Blanchette
Avec Luc Bourgeois, Dany Boudreault, Mélodie Lapierre, Danielle Proulx, Catherine-Anne Toupin
Il y avait un pays et dans ce pays un bout de terre rocheux et escarpé.
Et sur cette terre, un village.
Dans lequel avait été bâtie à même le bois du pays une maison…
Une vieille maison en bardeaux au fond d’un rang de la Gaspésie, inhabitée depuis des années et jouxtée, depuis peu, par un majestueux champ d’éoliennes.
Antoine, un jeune ingénieur venu de la ville, vient s’y installer pour découvrir ce qui ne va pas avec les éoliennes.
Les lieux reprennent vie et le passé remonte à la surface grâce à la présence de Jeanne d’Arc, une ancienne institutrice, qui a toujours vécu au village, une femme de la terre, attentive aux battements de cœur du monde, et qui transporte en elle tous les souvenirs et les secrets de cette maison et de ceux qui y ont vécu.
Entre ses projets infructueux d’avoir un bébé avec son amoureuse et les difficultés techniques qu’il est censé pouvoir résoudre, Antoine se bute à un double mystère : comment expliquer que la mécanique ne tourne pas rond quand elle est en parfait état? Et, surtout, comment trouver une réponse à nos interrogations quand la science elle-même n’y arrive pas?
Cette maison est-elle hantée?
L’espérance de vie des éoliennes dépeint tout en douceur et en nostalgie les contradictions du Québec d’aujourd’hui, un Québec en quête d’équilibre, déchiré entre l’ombre de son passé religieux et la lumière aveuglante de ses aspirations technologiques.
Décor : Olivier Landreville
Costumes : Marc Sénécal
Éclairages : André Rioux
Conception vidéo : Yves Labelle
Musique : Yves Morin
Accessoires : Normand Blais
Une production - Duceppe
Théâtre Jean-Duceppe
175, rue Sainte-Catherine O. - Place des Arts
Billetterie : 514-842-2112, 1-866-842-2112
par Olivier Dumas
Après deux solides productions (Fragments de mensonges inutiles, Une maison face au nord) le Théâtre Jean Duceppe poursuit sa saison québécoise sur une belle lancée grâce à L’Espérance de vie des éoliennes. Voguant entre la réalité et le fantastique, le dramaturge Sébastien Harrisson livre une touchante réflexion sur l’héritage et la transmission des valeurs.
L’histoire se déroule au fond d’un rang en Gaspésie dans une maison ancestrale inhabitée depuis des années et entourée, depuis peu, par un imposant champ d’éoliennes. Antoine (Luc Bourgeois), un jeune ingénieur de Montréal, vient s’y installer pour régler des problèmes dans le fonctionnement des éoliennes. Les lieux reprennent vie et les souvenirs remontent à la surface grâce à la présence de Jeanne d’Arc (Danielle Proulx), une ancienne institutrice, héritière de la demeure familiale qui porte en elle les secrets des habitants passés de cette maison. Liang, une jeune adolescente (Mélodie Lapierre) portant un lourd deuil, l’aide dans ses tâches ménagères. Entre ses tentatives ratées d’avoir un enfant avec son amoureuse (Catherine-Anne Toupin) et les difficultés techniques qu’il est censé pouvoir résoudre, Antoine bute à trouver une réponse à ses interrogations même quand les avancées technologiques n’y parviennent pas. Par ailleurs, l’apparition d’un fantôme (Dany Boudreault) laisse planer des tragédies toujours enfouies.
Avec L’espérance de vie des éoliennes, Sébastien Harrisson signe son œuvre la plus personnelle et la plus accessible au grand public. Depuis ses débuts en 2001 avec la pièce Floes, on sent une plus grande maîtrise de son écriture théâtrale qui se révèle plus incarnée et dépouillée. Description d’un Québec à la fois engouffré dans ses dogmes religieux d’antan et son obsession inassouvie des nouvelles technologies de développement durable, la pièce dépeint habilement l’incapacité de porter à l’intérieur de soi notre héritage culturel, historique et social. Malgré une relative évolution des mœurs depuis un demi-siècle, elle expose sans fard la difficulté de transgresser les tabous et interdits amoureux. Entre une ruralité souvent perçue à tort comme un univers rétrograde et une urbanité confinant à une solitude étouffante, les protagonistes cherchent un écho apaisant à leurs souffrances.
Si le récit possède tous les ingrédients d’une fresque inoubliable, il tarde tout de même à véritablement décoller pour susciter un engouement immédiat. Ainsi, l’auteur prend trop de temps à installer les personnages et les intrigues. Avec une précision chirurgicale, les nombreuses descriptions donnent une certaine lourdeur à la première heure du spectacle. C’est lorsque Liang raconte son drame trop lourd pour ses fragiles épaules que l’émotion émerge enfin pour se poursuivre jusqu’à la tombée du rideau. La ferveur des protagonistes atteint même de beaux sommets d’intensité que n’auraient pas reniés de grands dramaturges québécois comme Michel Tremblay, Michel-Marc Bouchard ou Serge Boucher. L’extraordinaire monologue du fantôme du séminariste décédé révèle toute la sensibilité et lucidité dont est capable Sébastien Harrisson.
Prolifique (Courts univers étranges, Le paradis à la fin de vos jours), le metteur en scène Frédéric Blanchette confirme à nouveau son talent de directeur d’acteurs grâce à ses interprètes toujours justes, surtout dans les moments les plus intimes. Son habileté à jongler avec les différents tons d’un texte qui oscille sans cesse réalisme et surnaturel confère au spectacle une fluidité irréprochable.
Les acteurs se révèlent presque toujours à la hauteur de cette partition exigeante. On peut tout de même déplorer que le rôle de Jeanne d’Arc ne permette pas à Danielle Proulx de livrer la pleine étendue de son immense talent. Comédienne adolescente au talent prometteur, la jeune Mélodie Lapierre éprouve encore des problèmes de prononciation qui rendent parfois son texte difficile à comprendre. Bien que Luc Bourgeois parvienne de manière crédible à porter la pièce sur ses épaules, ce sont Catherine-Anne Toupin et Dany Boudreault qui se surpassent véritablement, la première par son heureux mariage d’aplomb et de vulnérabilité, le second par son époustouflante intensité dans les instants les plus bouleversants de la soirée.
Sébastien Harrisson a gagné son pari de rejoindre un large auditoire avec une œuvre populaire et personnelle. Après une récolte automnale aussi fertile, la barre est haute pour la fin de saison chez Duceppe.