Décor : Martin Ferland
Costumes : Daniel Fortin
Éclairages : Claude Accolas
Musique : Catherine Gadouas
Accessoires : Normand Blais
Une production - Duceppe
Théâtre Jean-Duceppe
175, rue Sainte-Catherine O. - Place des Arts
Billetterie : 514-842-2112, 1-866-842-2112
par David Lefebvre
Yves Desgagnés replonge dans le monde de l’auteur russe Anton Tchekhov pour une cinquième fois, en compagnie d’une partie de la troupe qu’il avait réunie en 2006-2007 pour les représentations d'Oncle Vania et de La Mouette. Cette fois-ci, le metteur en scène a jeté son dévolu sur La cerisaie, texte monument du répertoire de l’auteur dont on fêtait tout récemment le 150e anniversaire de naissance.
La cerisaie est une œuvre métaphore, un regard sur une Russie en pleine transformation. La révolution approche, les riches n’ont plus d’argent, mais dépensent sans compter, les serfs sont affranchis et deviennent les nouveaux propriétaires. Un vent d’idéalisme souffle sur la jeunesse, jusqu’aux domestiques qui deviennent totalement nihilistes et sans respect pour autrui. On ressent une certaine déchéance, une lassitude, une perte, pure et simple, qui se traduit par la vente de cette cerisaie majestueuse, à cause d’un laisser-aller terrible de la part des propriétaires, et d’une Russie en pleine métamorphose. La Cerisaie est l’image d’une époque révolue, et il est temps de s’ouvrir au monde. «Toute la Russie est notre Cerisaie. La terre est vaste et belle», dira le vieil étudiant Trofimov, à son amoureuse Ania.
Yves Desgagnés, qui avait réussi à éblouir le public et la critique avec son doublé Tchekhov il y a quelques années, n’arrive pas, ici, à créer un réel tableau familial inspiré et sincère, distribuant les chéris et les baisers sans compter. La première partie manque d’audace, sombrant dans une insouciance et une naïveté gamine. La deuxième moitié n’est guère mieux, même si elle offre quelques scènes un peu plus extravagante et relevée, comme l’affrontement idéologique et sentimental entre Trofimov, joué par Steve Laplante, et Andréïevna, interprétée par une touchante Maude Guérin. Elle sera, d’ailleurs, la seule par qui l’émotion passera réellement, lors de la représentation. Par contre, l’importance accordée à Firs, le vieux serviteur, incarné par Gérard Poirier, ressort très bien dans cette version de La Cerisaie. Il exprime, à petits pas, la notion du passé, de la nostalgie. Il est celui que l’on finit par oublier, lui qui, pourtant, est un pilier de ce domaine, davantage, encore, que les propriétaires.
Plusieurs ombres entachent la mise en scène et la direction d’acteurs, qui suscitent plusieurs questions. Le texte se fait tombant, la diction relâchée et le va-et-vient entre l’utilisation d’un langage québécois et celui d’un français plus normatif titillent l’oreille. Que ces choix aient été voulus ou non, qu’on ait tenté d’évoquer un écart d’élocution entre certains personnages pour démontrer leur rang, dérange tout au long du spectacle et nuit au jeu des acteurs. La nouvelle traduction d’Élizabeth Bourget se veut verbeuse, beaucoup trop explicative et utilise la répétition de certains mots à outrance. Quelques personnages ne servent finalement qu’à très peu de choses, et auraient pu être tout simplement retirés.
Le décor monochrome de Martin Ferland dépeint l’univers morne et terne bien caractéristique à cette pièce, ainsi que la tristesse latente qui l’habite. Très large tapis, grande armoire de bois, quelques sièges et des arbres représentés en arrière-scène suffisent pour créer l’intérieur comme l’extérieur du domaine. L’omniprésence de deux musiciens, Jean-Christophe Lizotte au violoncelle et Jean René au violon, apporte à cette création une touche intéressante d’Europe de l’Est, tantôt festive, tantôt calme et mélancolique.
Malgré quelques moments de folie, où les personnages sont légèrement hors de leur contexte habituel, cette Cerisaie manque malheureusement d’inspiration, de rythme, et ne bouleverse rien. Le doux amer prend un goût d’ennui, et l’émotion reste en gare.