Décor : Guillaume Lord
Costumes : Mérédith Caron
Éclairages : Martin Labrecque
Accessoires : Normand Blais
Une production - Duceppe
Théâtre Jean-Duceppe
175, rue Sainte-Catherine O. - Place des Arts
Billetterie : 514-842-2112, 1-866-842-2112
par Olivier Dumas
Les solos féminins ont la cote depuis quelques mois à Montréal. De la mythologie grecque (Jocaste) à la célibataire contemporaine esseulée (Mérédith, à voir), en passant par la veuve du «Roi Soleil» (Madame Louis XIV), ces monologues permettent à de talentueuses actrices de briller de mille feux. C’est justement la force, l’énergie et la fougue du talent de Pierrette Robitaille qui contribuent à l’intérêt de Shirley Valentine, pièce présentée ces jours-ci au Théâtre Jean-Duceppe dans une mise en scène de Jacques Girard.
L’œuvre, écrite dans les années 1980 par Willy Russel, demeure bien ancrée dans son époque de création grâce à ses références : le soap Dynasty, par exemple,ou l’extrait de la chanson Karma Cameleon de Culture Club, entendue durant les premières minutes du spectacle. Elle s’inscrit parfaitement dans cette lignée du théâtre populaire un tantinet moralisateur sur le désir d’émancipation personnelle face aux difficultés de la vie. Mariée depuis longtemps à Joe et mère de deux enfants adultes, Shirley se sent bien seule dans sa cuisine, avec comme « seule oreille » le mur de la pièce. Entre deux tâches ménagères, elle raconte les joies et les peines de sa petite vie de banlieue. Shirley constate qu’elle a sacrifié ses rêves et envies profondes. Jusqu’au jour où une amie féministe l’invite pour un voyage en Grèce.
La transposition de la pièce au grand écran avait valu une nomination aux Oscars, comme meilleure actrice, à Pauline Collins. Une comédienne ordinaire éprouverait de la difficulté à soutenir pendant près de deux heures trente une histoire attachante qui n’évite pas les longueurs, les clichés (de nombreuses allusions répétitives au clitoris, par exemple) et les bons sentiments (on se croirait par moment dans les dramatiques des années 1980 de Janette Bertrand et de Lise Payette). Heureusement, Pierrette Robitaille possède un immense talent, une personnalité et une sensibilité prodigieuse à émouvoir le public avec des personnages ordinaires, dans l’esprit de Rita Lafontaine. Elle extirpe les tragédies humaines des événements les plus anodins, notamment lorsque Shirley s’amuse à incarner les personnes de son entourage. Durant la première partie, la séquence où elle relate la première et dernière expérience théâtrale de son fils est particulièrement hilarante. Dans ses moments les plus réussis, le texte de Willy Russel rappelle les récits de Michel Tremblay (Bonbons assortis). Plusieurs critiques ont souligné l’aisance de l’actrice à cuisiner gâteau, œufs et frites durant son monologue sans rien brûler.
Après l’entracte de 20 minutes, la deuxième partie se déroule sur les plages de la Grèce. Shirley a bravé les interdits de son milieu pour prendre enfin du bon temps. Même si le ton commence à s’essouffler, la pièce apporte encore quelques passages plus émouvants dans cette quête au bonheur. Soulignons, au passage, le décor kitsch de Guillaume Lord, une immense représentation d’une carte postale du pays de l’Acropole avec ses maisons, ses côtes et la mer bleue avec quelques saisissants effets de vagues.
À la tombée du rideau, l’ovation amplement méritée du public pour Pierrette Robitaille confirme le choix judicieux pour cette Shirley Valentine, humaine et attachante, et ce, malgré la prévisibilité de l’histoire, les allures de la littérature de dévoilement personnel et les décors de cuisine si familiers des autres productions de chez Duceppe. L’époustouflante et enchanteresse actrice fait oublier toutes les faiblesses, comme en témoigne les sourires aux lèvres des spectateurs au moment de quitter la salle.