Les années 30. Dans une librairie de Londres, une vieille dame et un jeune homme se rencontrent. Qu’ont-ils en commun? Ils ont inspiré, lorsqu’ils étaient enfants, les auteurs des personnages célèbres d’Alice au pays des merveilles et de Peter Pan. Un héritage lourd qui laisse des traces à tout jamais dans la vie de ces deux êtres fragilisés par les icônes qu’ils ont représentées. Contre leur gré, leurs destins auront été chamboulés par des auteurs qui ont mis leur enfance sous une cloche de verre afin de garder intacts leur pureté et leur innocence.
Fasciné par la réelle rencontre de ces deux muses, l’auteur américain John Logan a imaginé ce qu’ils se sont raconté. Lequel a souffert le plus du rapport étrange que les auteurs eurent avec leur héros? La sagesse de l’âge permettra-t-elle une résilience et une délivrance salutaire? Peter et Alice, une fable qui explore avec délicatesse le sort des enfants qui deviennent des faire-valoir et qui ont à vivre toute leur vie dans l’ombre de personnages mythiques.
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Décor : Geneviève Lizotte
Costumes : Patrice Charbonneau-Brunelle
Éclairages : Luc Prairie
Musique : Patrice d’Aragon
Accessoires : Normand Blais
Assistance à la mise en scène : Audrey Lamontagne et Guillaume Cyr
1 h 50 sans entracte
Une production DUCEPPE
par Daphné Bathalon
De quoi ont l'air les Peter Pan et Alice au pays des merveilles de ce côté-ci de la réalité? Ou plutôt à quoi ressemblent les êtres de qui Peter Davies et Alice Liddell sont inspirés? La pièce Peter et Alice, de l'auteur américain John Logan pose la très intéressante question de la dépossession de son identité, ou de ce qu'il en reste quand le personnage fictif qu'on a inspiré nous fait de l'ombre.
Pour s'attaquer à ce vaste sujet, l'auteur prend prétexte d'une rencontre bien réelle entre Alice et Peter, et imagine ce qu'ils auraient pu se dire, se confier, sur leur expérience commune. L'une a 80 ans, l'autre est dans la trentaine, l'une donne toutes les apparences de vivre en harmonie avec son double imaginaire, l'autre se débat pour se débarrasser de l'ombre étouffante de son espiègle alter ego. Ils n'ont rien fait d'extraordinaire dans leur vie, sinon vivre, mais sont d'une manière devenus immortels à travers les personnages qu'ils ont inspirés.
Le metteur en scène Hugo Bélanger, un habitué de la scène jeunesse (lui, dont la version d'Alice au pays des merveilles a été présentée jusqu'en Chine) raconte cette histoire sur plusieurs niveaux. Il y a d'abord la rencontre entre Alice et Peter dans une bibliothèque d'époque (magnifique décor signé Geneviève Lizotte), puis un niveau au-dessus, il y a les éternels enfants Peter Pan et Alice au pays des merveilles, et enfin, de l'autre côté des miroirs, on retrouve le monde des souvenirs, des contes, le monde imaginaire issu des livres, un lieu d'évasion. Les livres sont partout dans cette scénographie inventive et fort efficace, ils envahissent tout, même la vie du morose Peter Davies, ironiquement devenu éditeur, lui qui déteste tout ce qui touche Peter Pan.
Bélanger explore ici l'autre côté du miroir, celui du passage de l'enfance à l'âge adulte, quand les enfants quittent le monde des merveilles et que les belles histoires ne masquent plus les zones d'ombre : l'amitié du révérend Charles Dodgson (Lewis Carroll) pour les petites Liddell, la manière dont J.M, Barrie a vampirisé la famille Davies jusqu'à se l'approprier, littéralement... La mise en scène de Bélanger joue habilement des nombreux miroirs, qui tapissent le fond de scène et nous renvoient à notre réalité, les laissant tour à tour opaques ou transparents pour donner au public un aperçu du monde imaginaire, de salle de bal, de forêts immenses... Reste qu'à multiplier les effets de miroir et de réflexion, la portée émotive de la production connaît ses limites. Alors que les confessions des deux protagonistes se font plus intimes et douloureuses, le public demeure légèrement en retrait, plongé dans les nombreux questionnements moraux soulevés par l'auteur, mais pas particulièrement habités par le drame vécu par Peter et Alice.
La pièce prend pourtant le temps d'établir l'état mental de chacun des protagonistes, Alice dans l'acceptation d'un personnage qui la dépassera toujours, et Peter dans un refus obstiné teinté de rage et d'impuissance. L'écriture de Logan est forte, conductrice d'échanges où confessions, mensonges et tromperies se mêlent allègrement dans la joute verbale que se livrent Alice et Peter. Il faut cependant un bon moment pour que les échanges prennent leur essor, minés par un jeu plutôt éteint de Carl Poliquin en Peter Davies. Amer et désillusionné, ce Peter n'est, il est vrai, pas un rôle facile à endosser, surtout face à une Béatrice Picard en pleine possession de ses moyens. Lumineuse, son Alice porte une grande partie du spectacle sur ses épaules, et elle le fait tout en grâce et en résilience. En contrepoids de ces adultes plus bavards qu'énergiques, les doubles fictifs de Peter et d'Alice bondissent sur les planches dès que les souvenirs de leurs alter ego les ramènent à l'avant-scène. Ils apportent une bouffée d'air à la pièce, accentuant encore la différence entre l'imaginaire enfantin et la réalité des adultes. En Peter Pan, Sébastien René donne une belle dose d'énergie au spectacle, son Peter, frondeur et poseur, n'a d'ailleurs pas la langue dans sa poche.
L'imaginaire d'Hugo Bélanger se marie sans aucun doute très bien à celui de l'auteur de Peter et Alice, une pièce du répertoire américain qu'il fait bon découvrir et redécouvrir.