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Du 9 septembre au 17 octobre 2015
As IsAs Is (tel quel)
Texte et mise en scène Simon Boudreault
Avec Denis Bernard, Jean-François Pronovost, Geneviève Alarie, Félix Beaulieu-Duchesneau, Marie Michaud, Catherine Ruel, Marc St-Martin, Michel F. Côté, Claude Fradette, Philippe Lauzier

Nous voici dans le sous-sol sombre et surchargé de l’Armée du Rachat, un centre de tri communautaire. Saturnin, étudiant en philosophie, intellectuel en devenir, vient d’y être engagé comme trieur de « cossins » de toutes sortes. Il se retrouve franchement dépaysé dans cette microsociété, confronté à des règles tacites, des rapports de domination oppressants. Face à ses collègues d’un autre monde et à leur patron véreux, Saturnin désire changer les choses et dénoncer les injustices dont il est témoin. Y parviendra-t-il ? Et à quel prix ?

Théâtre musical ludique et tonifiant, As is (tel quel) de Simon Boudreault (Sauce brune, Soupers, D pour Dieu?) raconte, avec autant d’humour que de dureté, l’opposition entre deux mondes. Boudreault, dramaturge québécois parmi les plus habiles et les plus incisifs, expose ici les inégalités des classes et les préjugés tenaces qui en découlent. À travers une galerie de personnages hauts en couleur, il met en lumière les revers du milieu du travail, le délire de consommation et de gaspillage propre à notre ère et la complexe notion de charité. Une œuvre coup de poing.


Section vidéo


Décor : Richard Lacroix
Costumes : Suzanne Harel
Éclairages : Frédéric Martin
Musique : Michel F. Côté
Accessoires : Loïc Lacroix Hoy
Assistance à la mise en scène : Judith Saint-Pierre

Une création du Centre du Théâtre d’Aujourd’hui et de Simoniaques Théâtre


DUCEPPE
175, rue Sainte-Catherine O. - Place des Arts
Billetterie : 514-842-2112, 1-866-842-2112

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Dates antérieures (entre autres)

Du 11 mars au 9 avril 2014 - Théâtre d'Aujourd'hui

 
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Critique

Crédit photo : site de DUCEPPE

L’écart ne pourrait être  plus grand entre Saturnin, étudiant en philosophie politique, et les employés de l’Armée du rachat. Lui, jeune intellectuel, en est à son premier emploi et pose un regard naïf et empathique sur tout ce qui l’entoure. Eux, simples ouvriers, sont écorchés par la vie et sont soumis à un milieu de travail où l’abus de pouvoir est monnaie courante et où l’on se juge l’un l’autre sans pitié. L’auteur et metteur en scène Simon Boudreault (également comédien et improvisateur) a habitué le public à des textes originaux et remplis d’humour avec des pièces comme Soupers et Sauce brune. Dans As Is (tel quel), Simon Boudreault a créé et mis en scène des personnages plus grands que nature et aborde les thèmes des inégalités sociales, des relations de travail et aussi de la (sur) consommation, le tout dans l’univers glauque du sous-sol de l’Armée du rachat, où aucune fenêtre n’est visible.

D’abord présentée en mars et avril 2014 en cocréation avec Simoniaques Théâtre au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, As Is (tel quel) est maintenant reprise par le théâtre Duceppe pour donner le coup d’envoi à la saison 2015-2016. La distribution est quasi-identique, à l’exception de Marc St-Martin qui reprend le rôle de Pénis, antérieurement campé par Patrice Bélanger. On y retrouve également l’impressionnant décor de Richard Lacroix, composé d’une montagne d’objets qui remplit toute la scène jusqu’au plafond, illustrant le fameux « tas de cossins » que Saturnin a la tâche de trier chaque jour. L’étudiant doit décider pour chacun des objets s’il peut être mis en vente ou s’il prend le chemin du compacteur.

Même s’il est seul responsable de son « tas », Saturnin côtoie les autres employés du sous-sol de l’Armée du rachat. D’abord, il y a les trieuses de linge Johanne (Catherine Ruel), Suzanne (Marie Michaud) et Diane (Geneviève Alarie), toutes poquées à leur façon. Ensuite, il y a le pousseur de chariots qu’on a surnommé Pénis, sans oublier Tony le patron, ex-danseur au 281, ainsi que Richard, un locataire de l’étage de désintoxication qui vient « donner du temps ». Pris au milieu de ces personnages inusités, Saturnin détonne de par sa façon de penser, de s’exprimer et d’agir, et finit malgré toutes ses bonnes intentions par assombrir encore plus le destin de ses coéquipiers.

L’intrigue de départ est intéressante, et on prend rapidement goût à l’humour percutant de Simon Boudreault. L’accueil en chansons par un trio de musiciens sur une scène à même le lobby du théâtre intrigue et amuse, tout comme le fait qu’on les retrouve plus tard parmi le tas d’objets, pendant la pièce, pour accompagner les chansons des personnages. D’ailleurs, les chansons de présentation de Tony, en mode disco, et de Pénis, plutôt en mode rap, ont du mordant et s’intègrent bien dans l’histoire inusitée qui nous est présentée.  Toutefois, la pièce qui s’étire sur plus de deux heures (pour un total de 2h30 avec entracte) souffre de nombreuses longueurs, plusieurs scènes et chansons n’ajoutant rien à l’histoire. Par exemple, chaque trieuse a droit à sa complainte : celle de Diane est plutôt réussie et nous rend plus sensibles au personnage tandis que celles de Johanne et de Suzanne tombent à plat. Les airs parfois monotones des mélodies et les voix approximatives peuvent finir par nous agacer.

As Is (tel quel) pose malgré tout un regard intéressant sur les écarts des classes sociales et les préjugés qui persistent, de part et d’autre, en opposant le discours d’un jeune intellectuel à ceux de la classe ouvrière. La pièce réussit également à illustrer plusieurs luttes de pouvoir qui peuvent exister dans tout milieu de travail. Même si de nombreux travers de société y sont soulevés, le ton de la pièce est léger et divertissant grâce à l’habile plume de Simon Boudreault.

12-09-2015



autre critique, par Daphné Bathalon (Théâtre d'Aujourd'hui, 2014)


Crédit photo : Valérie Remise

Jusqu’au 5 avril, des objets de toutes sortes et ayant connu une meilleure vie envahissent littéralement le Théâtre d’Aujourd’hui, du plancher au plafond! Un joyeux fouillis qui donne parfaitement le ton à cette nouvelle comédie douce-amère signée Simon Boudreault et Simoniaques Théâtre.

Directement inspirée d’une expérience de travail de l’auteur, qui a lui-même travaillé comme trieur pour l’Armée du Salut à 18 ans, As is (tel quel) fait se rencontrer deux milieux bien distincts : celui d’un jeune universitaire avec encore toute la vie devant lui et celui d’ouvriers.

La pièce nous plonge dans les sous-sols de l’Armée du Rachat où s’active un régiment d’employés éteints. Leurs horizons s’arrêtent où commence le tas de cossins à trier. Ils sont à l’image des objets qu’ils trient : usés, fatigués, non désirés et l’âme amochée par la misère. Ils ont abouti là et n’espèrent plus en sortir. « Quand le monde se ramasse icitte c’est qu’y z’ont pu d’aut’ places où aller » dit l’un d’eux. La présence de Saturnin, un étudiant en philosophie politique engagé comme trieur de cossins pour l’été, va toutefois sérieusement fragiliser l’équilibre miraculeux du tas... et de l’équipe. Trop bien intentionné, désireux d’aider tout un chacun, il va enfoncer la main dans un engrenage infernal dont personne ne pourra se tirer indemne, ni Tony, le patron tyrannique par souci d’aider ses employés à se racheter, ni Richard l’alcoolique aux mille vies, ni même Saturnin...

Personnage à part entière du spectacle, le tas de cossins, dont « on sait pas comment il tient », impressionne par ses dimensions. Il se répand littéralement partout, rampe sur les sièges et envahit jusqu’au hall du théâtre. Brillante idée! Richard Lacroix, le scénographe derrière cette montagne d’objets hétéroclites (meubles, électroménagers, jouets, boîtes, peluches, vaisselle...), mérite des applaudissements pour son magnifique travail. Impossible de ne pas être impressionné dès l’entrée en salle et totalement impossible de réfréner sa joie enfantine en voyant les comédiens escalader le tas ou en surgir par des passages dérobés!

On reconnaît dans As is (tel quel) toute la saveur des répliques de Sauce brune, grand succès de Simoniaques Théâtre, en 2010, et l’humour corrosif de son auteur, qui a le don de créer des personnages peu aimables dont on tombe pourtant sous le charme en quelques mots. La pauvreté de leur vocabulaire ne les empêche pas d’exprimer leur impuissance, leur colère et leur désespoir ou même leurs espoirs, bien plus grands qu’eux-mêmes, lorsqu’ils s’autorisent enfin à rêver. L’écriture de Boudreault a des accents de Michel Tremblay; la comparaison est encore plus évidente avec As is (tel quel), dont les personnages en viennent plus d’une fois à s’exprimer par la chanson, s’aidant du rythme de la fanfare présente sur scène pour trouver les mots par lesquels confier ce qui les a menés à l’Armée du Rachat et ce qui les empêche d’en sortir.

Les chansons ne se révèlent malheureusement pas toutes utiles, à deux ou trois reprises, elles minent même le rythme du spectacle (assez long par ailleurs). Pourtant, certaines sont de petits bijoux, comme la chanson du compacteur, celle où une employée surprise à voler tente d’émouvoir son patron, et la finale, où les employés chantent en chœur pour louer Saturnin, devenu une figure quasi messianique.  Les comédiens ne s’en tirent pas tous également avec ces passages chantés, récitant ou slamant plus qu’autre chose, ce qui rend les mélodies plutôt répétitives. Mais dans l’ensemble, cette comédie musicale sombre et mordante frappe juste.

L’excellente distribution joue pour une bonne part dans la réussite du spectacle : Jean-François Pronovost a pour ainsi dire la tête de l’emploi pour incarner l’étudiant qui cherche à faire sa place dans un univers qui lui est totalement étranger, et  Denis Bernard s’amuse visiblement beaucoup en jouant un patron incapable de voir le potentiel chez autrui, mais c’est Félix Beaulieu-Duchesneau qui vole la vedette, méconnaissable en alcoolique barbu. On croit instantanément en son désespoir, on le trouve touchant avec son amour pour les casse-tête, et on rit de le voir toujours surgir des endroits les plus improbables. Un coup de coeur.

As is (tel quel) propose une incursion véritablement fascinante et proprement hilarante dans l’univers de ces personnages « poqués » par la vie, qui se redonnent enfin le droit d’espérer.

15-03-2014