«J’avais envie de la revoir, de l’entendre à nouveau. Pour le plaisir. Pour rire et pleurer. Encore une fois, si vous permettez.» Par ces mots du personnage du narrateur, voilà la demande que formule l’auteur Michel Tremblay. Revoir et entendre à nouveau Nana, sa mère, sa première et intarissable source d’inspiration. Mère et fils se retrouvent ainsi, le temps de cinq tableaux, au fil de dix années, avec leur complicité manifeste et leur affection rude, mais immuables. De fous rires en disputes, de l’amour de la vie à celui de la littérature et du théâtre, faites la connaissance de l’unique Nana, cette maman aimante, douée pour le dramatique, passée maître dans l’exagération et passionnée de romans et de téléthéâtres.
Cette pièce largement autobiographique, écrite trente ans après Les Belles-Sœurs, nous présente la mère de l’auteur, une « femme toute simple », mais pas ordinaire, que l’on sait derrière plus d’un personnage féminin dans l’œuvre magistrale de Tremblay. Encore une fois, si vous permettez, c’est aussi le souvenir d’une relation qui s’est achevée trop tôt. C’est un hommage émouvant à celle qui n’aura jamais vu son petit «passer de l’autre côté, du côté des artistes» et qui craignait qu’il ne trouve pas sa voie, qu’il ne se « case » pas, parce qu’elle l’avait peut-être trop laissé rêver…
Section vidéo
Décor : Olivier Landreville
Costumes : Mérédith Caron
Éclairages : Lucie Bazzo
Musique : Christian Thomas
Accessoires : Normand Blais
Assistance à la mise en scène : Geneviève Lagacé
Une création DUCEPPE
Tremblay par Tremblay
Encore une fois, si vous permettez, c’est deux monuments. D’abord, Michel Tremblay et ses mots. Dans ce texte, il fait revivre sa mère, sa Nana décédée trop jeune, mais qui a cependant eu le temps de marquer sa plume à jamais. Il s’offre le luxe de redonner corps et voix à cette femme très vive et au caractère bien trempé. Un sacré personnage.
La pièce s’ouvre sur une belle introduction qui fait un clin d’oeil à de nombreux monuments de théâtre, avant d’annoncer Nana, cette mère et femme «toute simple», qui n’a rien - et pourtant tout - d’un personnage de théâtre. À travers cinq tableaux de dialogues mère-fils étalés sur une dizaine d’années, de l’enfance à la fin de l’adolescence de Tremblay, on découvre une mère aimante, une femme pleine de mauvaise foi et qui aime les commérages. Une femme cultivée aussi, qui se plonge volontiers dans les romans.
Des dialogues qui sont plutôt des monologues, où Nana sermonne son fils qui a fait une bêtise, où elle critique sa belle-sœur et son beau-frère, où elle parle des actrices de télé qui la font rêver, où elle évoque ses livres préférés… Cette mère, c’était une actrice, qui se mettait sans cesse en scène. Virevoltante, présente, elle coupe la parole, exagère, mime, décrit ses anecdotes avec force mimiques et grands gestes.
Nana fait beaucoup rire la salle et raconte ses histoires comme dans du stand-up, au milieu de cette mise en scène minimaliste qui figure une cuisine des années 50. Face à ce personnage plus grand que nature, Henri Chassé, le narrateur, est presque invisible : il écoute, relance parfois, mais semble plutôt regarder vivre sa Nana de loin, avec nostalgie. Cette mère très théâtrale et au sens dramatique prononcé, qui exagérait, adorait raconter, lisait et regardait beaucoup la télé.
L’autre monument de cette pièce, c’est Guylaine Tremblay, élégante dans sa robe rouge très fifties. Maîtrisant à la perfection sa partition, elle se l’approprie avec technique et émotion, donnant vie à son personnage tout en lui infusant sa propre couleur. Elle la différencie ainsi sensiblement de la Nana interprétée par la grande Rita Lafontaine - décédée plus tôt dans la semaine et à qui la première de la pièce a d’ailleurs été dédiée sous un tonnerre d’applaudissements.
Guylaine Tremblay prend toute la place sur la vaste scène de la salle Jean-Duceppe, déclamant ses répliques avec un accent québécois prononcé et saupoudré de joual. C’est un beau retour sur les planches de l’actrice, absente depuis quelque temps des théâtres et qu’on voyait plutôt sur le petit écran. Et c’est réussi : elle porte ici les mots de son homonyme avec brio, captivant le public par son verbe et sa présence qui en impose.
Seul bémol, on regrette un peu le tableau final, où le narrateur-Michel Tremblay offre à sa mère un départ digne du théâtre. Apparaît un paysage de plaines de la Saskatchewan, puis un soleil géant qui amène Nana au ciel au milieu des nuages et de répliques comiques. Alors que le dernier dialogue tranchait avec les précédents en sortant du registre humoristique pour amener une certaine gravité et un aspect plus dramatique - Nana est malade -, on part sur une note loufoque et inattendue qui nous laisse perplexes.
Encore une fois, si vous permettez, c’est surtout la naissance d’un auteur, d’un monument du patrimoine littéraire québécois qui a puisé beaucoup de son inspiration dans cette mère très théâtrale et dramatique. Cette femme, qui a un peu de toutes les mères, femmes, belles-sœurs et cousines de ce monde, et que l’on retrouve par touches plus ou moins diffuses dans les personnages des œuvres de Tremblay. Encore une fois, si vous permettez est un hommage : au théâtre, à la mère et à cette femme incroyable.