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Du 17 février au 26 mars 2016
Race
Texte de David Mamet
Traduction Maryse Warda
Mise en scène Martine Beaulne
Avec Benoît Gouin, Frédéric Pierre, Henri Chassé, Myriam De Verger

Un homme d’affaires, blanc et fortuné, est accusé d’avoir violé une jeune femme noire dans une chambre d’hôtel new-yorkaise. Deux avocats, un Noir et un Blanc, ainsi que leur assistante de race noire, doivent décider s’ils représenteront ou non cet homme. Leurs échanges soulèvent de très délicates questions, jetant un regard brutal sur l’Amérique, ses conflits raciaux et leurs implications dans les rapports individuels et juridiques.

Voilà un autre brillant suspense de l’Américain David Mamet dont l’intrigue semble faire écho à l’affaire DSK. Pure coïncidence puisque Race triomphait à Broadway en 2009. Et encore plus que de discrimination et de justice, il est question ici de mensonges. « La race, comme le sexe, est un sujet sur lequel il est presque impossible de dire la vérité. Dans chaque cas, le désir, l’intérêt personnel et l’image de soi font que la vérité est embarrassante à partager, non seulement avec des étrangers — qui peuvent, légitimement ou non, être considérés comme des opposants —, mais aussi avec les membres de son propre groupe, et certainement avec soi-même », affirmait Mamet dans le New York Times.


Section vidéo


Décor : Richard Lacroix
Costumes : Daniel Fortin
Éclairages : Guy Simard
Musique : Ludovic Bonnier
Accessoires : Normand Blais
Assistance à la mise en scène : Guillaume Cyr

Une création DUCEPPE - codiffusion MONTREAL EN LUMIÈRE


DUCEPPE
175, rue Sainte-Catherine O. - Place des Arts
Billetterie : 514-842-2112, 1-866-842-2112

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Critique

L’actualité et le théâtre se rejoignent à de nombreuses reprises depuis le début de l’hiver. Au Théâtre Duceppe, c’est au tour de Race du prolifique États-Unien David Mamet de tenter d’ébranler nos certitudes. Pourtant, son exécution scénique n’atteint pas entièrement son but malgré la justesse de l’interprétation.


Crédit photo : Caroline Laberge

Créée à Broadway en novembre 2009, la pièce établit, sans le vouloir, un parallèle avec un scandale qui a fait couler beaucoup d’encre deux ans plus tard. Il s’agit de l’accusation d’une agression sexuelle, commise par l’économiste et ancien politicien français Dominique Strauss-Kahn, sur une femme de chambre noire à l’hôtel Sofitel de New York. Présenté lors du Mois de l’histoire des Noirs, un spectacle comme Race s’éloigne d’un discours consensuel qui flatte les «victimes» dans le sens du poil et blâme les «méchants oppresseurs».  

Pendant un peu moins d’une heure et demie, une partie de ping-pong se joue entre les personnages pour discerner la vérité du mensonge. Dans un bureau au décor aseptisé, deux avocats aux vêtements et à la coiffure impeccables discutent d’un cas litigieux. Leurs différences ne concernent pas seulement leur travail : l’un, Jack, est blanc, et l’autre, Henry, noir. Les deux collègues de travail hésitent à représenter Charles Strickland, un riche homme d’affaires blanc. Ce dernier est accusé de viol sur une femme noire. L’associée du bureau, Susan, également noire, y ajoute son grain de sel. Ses interventions causent certaines mutations dans un dossier au contenu sulfureux, où s’affrontent des questions raciales et sexuelles.  

Reconnu pour ses dialogues corrosifs et sa dissection tranchante des relations de pouvoir, Mamet garde ici en grande partie sa signature distinctive. Dans cet univers qui laisse peu d’espace à la nuance, l’auteur exclut également l’angélisme ou l’altruisme chez ses créatures qui n’agissent pas totalement de manière désintéressée.  

Avec ces parois de verre et ses murs pâles, le décor très évocateur de Richard Lacroix recrée parfaitement ce climat de suspicion où chacun se surveille et s’espionne. Il montre la volonté de cette soi-disant transparence dans les paroles et gestes, qui élimine toute zone obscure ou secrète. Par ailleurs, le plancher en forme de triangle nous rappelle assez explicitement que les rapports charnels entre deux individus, consentis ou non, comportent une dimension politique. Les intermèdes musicaux à saveur de pop-jazz concoctés par Ludovic Bonnier renforcent l’atmosphère de bureaux feutrés, propice aux confidences derrière des portes closes. Et les révélations louches et les intentions morbides foisonnent toujours dans le répertoire de Mamet.

Si le texte était signé par une plume inconnue pour le public québécois, les réserves paraîtraient moins décevantes. Quand l’écrivain, également scénariste pour le cinéma, a inscrit parmi ses réalisations théâtrales, certaines œuvres percutantes, montées autant en français qu’en anglais dans la métropole, les comparaisons restent inévitables. Car, par rapport à l’intense Oleanna, qui brouillait les pistes sur la notion de harcèlement sexuel (sujet récurrent dans Race) entre un professeur d’université et son élève, ou encore la décapante pièce Speed-the-Plow sur les conflits  dans le milieu du cinéma (avec également une assistante persuasive), Race manque de tonus. Le texte aurait gagné aussi à mieux doser les instants de tension.


Crédit photo : Caroline Laberge

L’une des principales faiblesses de la production se répercute dans sa progression dramatique. Peu de temps après la mise en place des enjeux, les discussions tournent en rond sur des thèmes prometteurs, dont les inégalités entre les classes sociales, sexuelles et ethniques. De plus, la figure de l’accusé souffre d’un manque de consistance, par rapport aux trois autres dont les divergentes facettes ressortent davantage. Comparativement à Glengarry Glen Ross, récemment présenté au Théâtre du Rideau Vert, le vocabulaire de la traduction de Maryse Warda surprend par son traitement moins vulgaire ou provocateur. L’expérience peut s’avérer ainsi moins concluante pour les amateurs d’un langage habituellement plus déstabilisant chez le dramaturge.  

La distribution rend bien ces créatures continuellement assises sur le fil du rasoir entre le bien et le mal. En avocat arriviste, Benoit Gouin livre une prestation sans fausse note. Son partenaire professionnel est plus effacé sous les traits d’un Frédéric Pierre, toutefois efficace. Myriam de Verger défend bien cette femme à la fois pugnace et victime, malgré elle, du système de discrimination. Acteur talentueux, Henri Chassé démontre une certaine aisance dans un rôle unidimensionnel (l’accusé) qui aurait mérité un développement plus étoffé.

Efficace, la mise en scène de Martine Beaulne ne dépasse pourtant que rarement le premier degré de l’intrigue. Elle ne s’imprègne pas assez, non plus, des dimensions ténébreuses du récit qui pendent comme une épée de Damoclès au-dessus des têtes de ce quatuor. Pour le même théâtre, son travail sur Le Doute d’un autre auteur états-unien, John Patrick Shanley, ciblait davantage les tourments des protagonistes autour des rumeurs d’un cas de violence sur un jeune garçon.

La compagnie Duceppe confirme une volonté de provoquer les débats et de susciter la réflexion avec Race. Il est dommage que le contenu ne s’harmonise pas entièrement à ses objectifs.   

23-02-2016