Été 1959, sur la terrasse isolée d’un hospice pour anciens combattants, on rejoint trois vétérans de la Première Guerre. Gustave, meneur, bougonneux et secrètement mythomane ; Philippe, qui perd connaissance à tout bout de champ à cause d’un éclat d’obus logé dans son crâne ; et Henri, vieux garçon rempli de candeur et d’optimisme. Le trio se tient loin des autres pensionnaires, se lamente de l’infirmière autoritaire, se cherche des poux continuellement et… élabore un plan pour voir le monde. Ces trois héros de l’effroyable conflit se retrouveront-ils en Indochine ou sous les peupliers pour un pique-nique ? Sur leur terrasse, leur royaume, leur refuge, les trois attachants comparses font la loi. Mais au loin, qu’en serait-il ?
Décor et accessoires Normand Blais
Costumes Pierre-Guy Lapointe
Éclairages Luc Prairie
Musique Christian Thomas
Vidéo Yves Labelle
Assistance à la mise en scène Carol Gagné
Une production DUCEPPE
Section vidéo
Depuis le début de la présente décennie, Monique Duceppe dirige la troisième production de la saison du Théâtre Duceppe. Chevauchant le temps des Fêtes, le spectacle Les Héros de l’auteur français Gérald Sibleyras compte sur un trio d’interprètes allumés pour maintenir notre intérêt.
Succédant à ses réalisations antérieures (dont Un village de fous de Neil Simon, Les chroniques de St-Léonard de Steve Galluccio et Une heure de tranquillité de Florian Zeller l’an dernier), la metteure en scène a choisi une fois de plus un récit intégrant le rire à des éléments parfois plus sérieux. Intitulée d’abord dans sa version originale Le vent des peupliers, l’œuvre est adaptée avec son nouveau titre par Michel Dumont, l’un des acteurs de la distribution. Pendant une heure et quarante minutes, nous nous retrouvons au cœur de l’été 1959 sur la terrasse d’un hospice pour anciens combattants (possiblement en France). Trois vétérans de la Première Guerre mondiale tentent de passer le temps, isolés des autres pensionnaires et du personnel de l’institution. Nous rencontrons Gustave au caractère plus grincheux, Philippe toujours susceptible aux pertes de conscience (parfois simulées) et Henri dont la candeur n’a pas semblé rétrécir avec les soubresauts de la vie. Ses trois amis ne se privent pas pour se plaindre d’une infirmière peu sympathique ou de songer aux charmes d’une flamme d’une époque révolue. Heureusement, les rêves perdurent, dont celui, inusité, de se rendre en Indochine. Mais à l’extérieur de leur petit monde, peuvent-ils affronter les autres et concrétiser leurs désirs d’aventure?
Sur le grand plateau du Théâtre Duceppe, c’est d’abord le décor assez joli et ingénieux de Normand Blais qui frappe les esprits. Une musique aux accents légèrement vieillots et mélancoliques de Christian Thomas amorce le récit (et reviendra à quelques reprises). Les éclairages de Luc Prairie accompagnent avec douceur et délicatesse les confidences de ces hommes abîmés par un passé que l’on imagine douloureux. Et par son mélange de moments cocasses (avec quelques mots plus vulgaires suscitant toujours des réactions spontanées) et d’un fond de gravité toujours tangible derrière les blagues, l’histoire rejoint assez facilement son public. Par ailleurs, la version légèrement plus «québécoise» du texte a esquivé certaines expressions plus «franchouillardes» pour rendre la langue plus audible au contexte québécois. Entre deux conversations, des migrations d’oiseaux s’envolant dans un ciel bleu apparaissent sur un écran en arrière-scène. L’effet donne par contre un résultat plus «décoratif» que significatif.
L’écriture de Sibleyras, qui a signé aussi Un petit jeu sans conséquence adapté au grand écran, demeure assez agréable pour les oreilles. Malgré certains échos au célèbre En attendant Godot de Samuel Beckett par son angoisse face à la mort, elle ne s’illustre pas toutefois par son originalité. Parfois prévisibles, les péripéties finissent par donner un air de déjà-vu avec peu d’effets de surprise, bien que certaines répliques («aimer et adorer, ce sont des pléonasmes») entraînent à l’occasion le sourire.
Si la succession des intrigues ne reflète guère une personnalité distinctive, le sujet (l’âgisme) en lui-même mérite une mention honorable. Plus rarement sur les planches, parle-t-on des individus de plus de 50 ans, parfois délaissés par leurs proches et prisonniers d’un milieu peu emballant. Autre mention, les diverses disciplines artistiques ont grandement traité depuis toujours des deux guerres mondiales du 20e siècle. Pourtant, les conséquences de l’une ou de l’autre sur le quotidien des survivants semblent avoir suscité moins d’engouement chez les créateurs, d’où la pertinence d’une telle production.
La direction de Monique Duceppe fonctionne plutôt bien par sa sobriété et son attention portée sur ses comédiens expérimentés. Souvent, la complicité entre ceux-ci se révèle touchante et profondément humaine. Elle se répercute notamment lorsque Marc Legault feint certains faux évanouissements, ou encore quand Guy Mignault le porte sur ses épaules, avant de proposer le même exercice à Michel Dumont qui refuse. Quand à un moment précis vers le dénouement, le trio s’attache les uns aux autres avec un boyau d’arrosage, le passage demeure amusant.
Chacun des trois personnages est campé avec aplomb et naturel. En vétéran acariâtre dont le ton autoritaire cache une grande vulnérabilité, Dumont démontre une belle continuité avec ses prestations antérieures, dont Une maison face au nord et La traversée de la mer intérieure de Jean-Rock Gaudreault (également sous la gouverne de Duceppe). Par sa prestation plus physique, Legault s’avère quant à lui cocasse par ses tentatives de déjouer les ruses de ses partenaires, et attendrissant par les allusions aux passions disparues. Leur compère Mignault (un retour à la compagnie Duceppe après une absence de près de 20 ans) insuffle une ferveur palpable à cet être plus mélancolique.
Nostalgique avec ses soupçons mélodramatiques maîtrisés et ses pointes incisives, la pièce Les Héros bénéficie ainsi beaucoup de leur présence généreuse.