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Du 15 février au 25 mars 2017
Ne m'oublie pas
Texte Tom Holloway
Mise en scène Frédéric Dubois
Traduction Fanny Britt
Avec François Papineau, Louise Turcot, Jonathan Gagnon et Marie-Ève Milot

« Je suis rentrée du travail et tu étais parti. » Gerry est dans la cinquantaine. Il a quitté Liverpool quand il avait trois ans. Mary en a 70. Elle n’a jamais cessé de célébrer l’anniversaire de son fils, malgré le fait qu’en rentrant à la maison un jour, elle découvrait qu’il avait disparu. Parti au bout du monde, vers une meilleure vie, disait-on, avec promesses d’air pur, d’abondance et d’une famille accueillante. La réalité était tout autre. Aujourd’hui, alcoolique, colérique et hanté par son passé, il est le père de Sally. Un très mauvais père. Ensemble, ils iront à la rencontre de l’histoire de Gerry. Pour tenter de comprendre ce qui a fait de lui ce qu’il est et pour apprendre, peut-être, à aimer. Pour savoir d’où il vient, pour voir enfin où aller.


Décor Jasmine Catudal
Costumes Linda Brunelle
Éclairages Caroline Ross
Musique David Ratté
Accessoires Normand Blais
Assistance à la mie en scène Guillaume Cyr

Une production DUCEPPE


Section vidéo


DUCEPPE
175, rue Sainte-Catherine O. - Place des Arts
Billetterie : 514-842-2112, 1-866-842-2112

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Critique

Fidèle à ses habitudes, le Théâtre Duceppe propose, comme quatrième et avant-dernier morceau de sa saison, une pièce où se conjuguent un ton plus grave et des préoccupations sociales. Après Race de David Mamet, autour d’un présumé viol sur fond de tensions raciales, Les Muses orphelines de Michel-Marc Bouchard, ou encore Sunderland de Clément Koch avec une jeune autiste dans une banlieue d’Angleterre en pleine crise économique, c’est au tour du Ne m’oublie pas de Tom Holloway de vouloir toucher les cordes sensibles. Pourtant, malgré un sujet fort prometteur, des faiblesses empêchent la production d’atteindre la puissance souhaitée.






Crédit photos : Caroline Laberge

Le sujet de l’œuvre touche directement les origines de la famille Duceppe. En effet, parmi les British Home Children (enfants pauvres de Grande-Bretagne envoyés au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Afrique du Sud de la fin des années 1860 jusqu’au début de la décennie 1970), se trouvait John James Rawley, le grand-père maternel de Gilles, Monique et Louise, tous trois impliqués dans la compagnie. Fait méconnu et encore parfois caché, plus de 150 000 gamins déportés dans les pays de l’Empire britannique auraient été recensés.

Pendant un peu moins d’une heure et demie, l’histoire écrite par une plume australienne (possiblement inconnue avant la première pour le public québécois) privilégie la dimension intime aux enjeux plus collectifs. Elle raconte le destin de Gerry, un homme dans la cinquantaine qui a quitté la ville de Liverpool à l’âge de trois ans. Sa mère Mary en a maintenant 70, mais se souvient toujours du jour d’anniversaire de son garçon. Elle espère que son destin loin d’elle ait été des plus heureux. Or, le protagoniste éprouve une colère persistante qu’il tente de noyer dans des bouteilles d’alcool. Sa fille Sally l’incite à confronter les traumatismes de son passé, tandis qu’un travailleur social tente de l’accompagner tout au long de ses démarches.    

À l’automne 2015, le metteur en scène Frédéric Dubois avait orchestré au même endroit un intéressant et classique Ils étaient tous mes filles d’Arthur Miller. La partition d’Holloway pour quatre voix se démarque par son climat plus feutré puisant au cœur des interrogations de Gerry. Les magnifiques éclairages de Caroline Ross créent parfaitement une atmosphère évoquant les souvenirs du passé. Par contre, le décor de Jasmine Catudal, composé en grande partie de petits salons identiques répartis sur l’immense plateau de Duceppe, semble plutôt décoratif. Par contre, l’espace moins surchargé de la cuisine de la mère au centre permet des effets dramatiques plus réussis.

Oscillant entre les fantasmes et la réalité, le texte ne permet pas toujours à ses différentes composantes de s’harmoniser parfaitement. Autant les rencontres avec la mère donnent lieu à des échanges parsemés de tendresse et de ferveur, autant les confrontations de Gerry avec sa progéniture et son accompagnateur manquent des répliques tranchantes. Par ailleurs, l’intrigue ne bénéficie pas toujours d’un rythme adéquat, principalement durant la dernière demi-heure.

La traduction de la prolifique Fanny Britt baigne dans une langue québécoise parsemée, à de nombreuses reprises, de sacres très sonores. La musique puise dans des tonalités mélancoliques, souvent douces et jamais agressives, avec ses accords de guitare. Elle accompagne ainsi assez agréablement le propos. 
         
La direction d’acteurs démontre une belle efficacité, malgré des rôles pas toujours assez substantiels. En individu ravagé par une tragédie longtemps enfouie qui rejaillit avec violence, François Papineau s’avère d’une grande justesse et d’une sensible gravité. La figure maternelle incarnée par Louise Turcot (précédemment magnifique dans Ils étaient tous mes fils) n’a pas encore toute la force (et une voix qui ne projette pas toujours suffisamment) pour émouvoir entièrement. Parions qu’après quelques représentations, sa prestation gagnera en intensité pour la talentueuse actrice. Dans une composition plus ingrate, Jonathan Gagnon demeure assez crédible en professionnel dévoué au bien-être de son client. En fille compréhensive, Marie-Ève Milot se révèle assez efficace, malgré sa place plus effacée dans le récit.   

Par contre, quelques allusions plus explicites au drame auraient donné davantage de poids à la proposition théâtrale. Car des enfants déracinés de leurs proches jonglent avec des répercussions jamais totalement effacées, tel Gerry qui tente de recoller les morceaux de son histoire personnelle. Un dosage plus habile entre l’intime et la société environnante rendrait encore plus troublants les conflits psychologiques. Par ailleurs, la distribution ne se retrouve pas toujours avantagée par une aire de jeu aussi vaste lors des scènes propices aux révélations de secrets ou aux confidences.

Malgré les réserves, les spectateurs ont chaleureusement ovationné les artisans de Ne m’oublie pas, comme quoi le message de la production ne risque pas trop, cette fois-ci, de s’effacer de la mémoire.       

21-02-2017