Du 26 février au 8 mars 2008, 20h
Dimanche, 15h
Le silence de la mer
Texte de Vercors
Mise en scène de Marc Beaupré
Avec Renaud Paradis, René-Daniel Dubois et Sylvie de Morais-Nogueira
Juin 1940. La France est occupée par l’Allemagne victorieuse. Deux Français se voient dans l’obligation d’héberger un officier allemand. Collaboration oblige, si l’on ne veut pas être dénoncé et déporté ! Mais, pour résister contre cet homme qui représente la négation de la liberté, les maîtres de maison choisissent de garder le silence, d’agir comme si cet intrus n’existait pas.
Même si la résistance passive s’organise, un terrible jeu commence, car ce militaire, musicien averti, passionné de littérature, croit, comme eux, en l’art et la fraternité des peuples. Ainsi, pendant une année, cet officier s’acharnera à tenter de briser le silence, le silence d’un oncle et de sa nièce, le silence de la mer, afin de réaliser l’union de la France et de l’Allemagne. Y réussira-t-il avant que les nazis arrivent, et avec eux, le bruit, la haine, l’intolérance, le cynisme ?
Le silence de la mer a été publié clandestinement en 1942, en plein coeur de la Deuxième Guerre mondiale, alors que le régime d’Adolf Hitler était sur le point de gagner sa bataille contre la démocratie. Écrite par le résistant Jean Bruller, aussi co-fondateur des Éditions de Minuit, la nouvelle a été publiée sous le pseudonyme de Vercors, afin d’éviter à l’auteur d’être arrêté et certainement exécuté par la Gestapo.
Il y a deux ans, nous célébrions les soixante ans de la Libération, et pourtant, cette pièce, inspirée par le besoin de promouvoir la beauté de l’art et d’opposer l’esprit à l’avidité de pouvoir et de destruction, reste d’une actualité étourdissante, car les idées hitlériennes critiquées dans Le silence de la mer semblent encore bien vivantes de nos jours.
Terre des Hommes s’efforce, par chacune de ses initiatives, de témoigner du perpétuel aller-retour entre la singularité des artistes et leur appartenance à la communauté humaine. La beauté de cet équilibre vaut largement l’effort qu’il faut pour y parvenir.
Éclairages Étienne Boucher
Scénographie Patricia Ruel
www.terredeshommes.ca
Une production Terre des hommes
PÉRIODE PREMIÈRES
toutes les représentations
régulier 20 $
carte premières 10 $
La Chapelle
3700, rue Saint-Dominique
Billetterie : 514-843-7738
par Marie-Julie Desrochers
La mise en scène que propose Marc Beaupré du texte Le silence de la mer, de Vercors, touchante par sa sobriété, émouvante par la justesse du mouvement et de la parole qui s'y déploient est aussi surtout saisissante par sa pertinence. Il ne suffit pas de relever que cette histoire de résistance passive, d'amour de l'art, de conflit entre nations et culture, entre transgression poétique et obéissance civile est, plus de soixante ans après sa rédaction, « actuelle ». Le silence de la mer telle qu'elle est révélée au spectateur à travers les performances de René-Daniel Dubois, Sylvie de Morais-Nogueira et Renaud Paradis est une œuvre d'art ; belle et sublime, bouleversante et réconfortante à la fois. Une œuvre intense qui, assurément, voit des spectateurs transformés quitter la salle à la fin de la soirée.
Métaphorique, la scène révèle le ton dès avant le début du spectacle : des piles de livres jonchent le sol comme autant de briques constituant la maison du couple (d'abord heureux) de Français qui devront héberger malgré un eux un soldat allemand comme autant de frontières visibles et emblématiques. Ce décor central est entouré de murs recouverts d'écrits et de dessins participant eux aussi du décor. La grange, le sous-sol, la chambre de « l'invité » sont ainsi représentés à la craie blanche tout autour de la scène. Au fil de la pièce, les murs seront graduellement couverts de nouveaux mots – révolver, bonne nuit –, et deviendront même à un moment – fort – le lieu et la voie d'un contact unique et ténu entre le couple de personnages et le soldat qui demeure avec eux. Les lieux sont éclairés par des ampoules dénudées aux intensités multiples. C'est cet éclairage, parfois beau, parfois violent, qui soutient la gamme de tons et d'ambiances explorés, qui confère à l'ensemble une unité et une poésie parfaites.
La pièce s'ouvre sur un air joyeux interprété au piano et les éclats de rire amoureux du couple formé par René-Daniel Dubois et Sylvie de Morais-Nogueria, manifestation de bonheur rapidement contenue, puis mutée en un silence lourd et signifiant, tenu jusqu'à la fin; silence audacieux au plan de la mise en scène (il sème le malaise et le trouble dans la salle) et d'une puissance artistique incontestable. Renaud Paradis, en soldat à l'accent allemand remarquablement maîtrisé et constant, est pratiquement le seul à briser ce silence, par le monologue (dialogue toujours mis en échec). Amateur sensible de littérature française et interprète talentueux des classiques musicaux allemands, son personnage se présente comme un artiste naïf qui croit à la réconciliation de deux peuples unis par une culture forte et complémentaire. Coincé entre deux discours ; celui intérieur de la beauté et du sublime et celui extérieur, de la patrie et la nation, son monologue d'abord naïf et enfantin se transforme graduellement en délire et en souffrance.
Le conflit, à la fin de la pièce, est trouble. Il ne s'agit plus que d'une guerre entre nations, mais de l'incarnation d'un combat trouble et multiple où repérer l'ennemi véritable devient une tâche impossible.
02-03-2008