Texte : Pascal Brullemans, librement inspiré du roman Les Belles Endormies de Yasunari Kawabata
Mise en scène : Nini Bélanger
Avec : Caroline Bouchard, Catherine-Amélie Côté, Michel Mongeau, Dominique Pétin
Un vieil homme fréquente une maison qui vend les services de jeunes prostituées. Ce récit impressionniste traversé d’une réflexion sur la mort, l’érotisme et la solitude, raconte le parcours d’un homme seul glissant lentement vers sa fin. La vulnérabilité qu’offre la nudité des interprètes suspend l’attention des spectateurs entre le plaisir et le malaise.
Projet MÛ, compagnie de création théâtrale, a été fondée par Nini Bélanger à sa sortie de l’École nationale de Théâtre. Le spectacle Endormi(e) est le dernier volet d’un tryptique dont le premier fut présenté en 2005 et le deuxième en 2008 dans une résidence privée du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Nini Bélanger travaille présentement sur le prochain cycle de la compagnie ; deux pièces de l’auteur norvégien Jon Fosse
Scénographie, costumes et accessoires : Julie Vallée-Léger (Noémie Aguiar)
Environnement sonore : Alexi Rioux
Lumière : David-Alexandre Chabot
Vidéo : Martin Pelletier
Assistance à la mise en scène : Manon Claveau
Date Premières : du 22 au 31 octobre 2009
Régulier 25$
Abonné 12,50$
Une coprésentation La Chapelle et Casteliers
Une présentation et une production Projet Mû
La Chapelle
3700, rue Saint-Dominique
Billetterie : 514-843-7738
par David Lefebvre
Trouver un ange pour traverser la nuit
L’Homme moderne est généralement terrorisé par la mort. L’acharnement thérapeutique et la jeunesse éternelle sont des symptômes sociaux qui prouvent toute la hantise qu’il ressent face à l’idée d’une finalité inconditionnelle. Mais mourir fait partie de la vie, et vieillir est l’une des façons de s’y rendre. La vieillesse est donc considérée comme une maladie chronique. Par contre, la mort peut frapper notre corps avant la fin de la vie : que devient-on quand on perd la personne qui partageait notre lit depuis si longtemps? Sommes-nous encore dignes d’une femme, après tant de temps? L’auteur japonais Yasunari Kawabata pose la question dans son feuilleton Nemureru bijo (Les belles endormies), paru au début des années 60. Dans ce court roman prisé, Yasunari Kawabata médite sur ses thèmes les plus chers : la mort, la solitude, l’amour et l’érotisme.
C’est aussi ce que nous retrouvons dans la pièce Endormi(e), adaptation libre de Pascal Brullemans des écrits de l’auteur japonais. Un homme, qui embrasse la dernière saison de sa vie (Michel Mongeau), frappe à la porte d’une maison close particulière. Cet endroit paisible permet aux personnes d’un certain âge de passer la nuit avec une toute jeune femme… endormie (Caroline Bouchard, Catherine-Amélie Côté). La discrète tenancière (Dominique Pétain) lui explique doucement qu’il ne doit pas tenter de les réveiller ou de les rencontrer le matin venu. Après une première nuit étonnamment reposante, l’homme, veuf, voit une obsession grandissante l’envahir. Il est tout autant attiré par ces femmes qu’angoissé par leur présence. Une douleur sourde le tenaille, et ses nuits sont la proie d’effroyables insomnies. Il ne dort plus, tant qu’il n’a pas à ses côtés une de ces jeunes comateuses. Il fera tout pour parvenir à son sommeil, même si celui-ci est son dernier repos. Vaut mieux, à son avis, expulser son dernier souffle dans ce lit que dans le sien, seul et oublié.
Pour cette création, dernier jalon d’un triptyque entamé en 2005, Nini Bélanger propose un huis clos dans la pénombre de cette maison, tout aussi intrigant que perturbant. Au milieu de la scène obscure trône, presque seul, un lit aux draps de satin noir. Les éclairages précis de David-Alexandre Chabot fragmentent et isolent les protagonistes : tout en les exposant à la lumière, il réussit avec subtilité à leur donner une certaine intimité. Dans cette noirceur tout esthétique, la blancheur des corps se révèle encore davantage.
Le rythme, d’une lenteur hyper réaliste, se laisse apprivoiser avec douceur et intériorité. Les silences, soutenus, sont terriblement éloquents sur l’état d’esprit du vieil homme. Sa réticence, puis sa fébrilité sont palpables, amplifiées par l’absence de parole. Michel Mongeau incarne brillamment cet homme, se glissant dans cette peau plissée et remplie de nostalgie sans juger ou censurer. Le paradoxe qu’il éprouve envers la peur de la mort et le désir d’y entrer est tout à fait touchant. Le jeu des comédiens est tout en retenue, presque contemplatif – un possible lien vers l’origine orientale du récit.
Avec un fragile équilibre, le spectacle propose des scènes de nudité d’une grande tendresse, paradoxalement tout aussi charnelles qu’antiérotiques. Le public est placé devant sa condition de voyeur et se voit confronté alors à ses propres limites ; le malaise de voir ce vieil homme tâtonner, embrasser, caresser et désirer ces jeunes femmes sans aucune défense, anesthésiées, grandit. Pourtant, on compatit. La douleur de la solitude est immense ; la chaleur et la présence de cette femme à ses côtés lui font un bien tout aussi naturel que coupable. On est alors intrigué par les élans de douceur et de désir qu’il peut éprouver. La projection d’images vidéo, captées en direct par une caméra infrarouge, fenêtre sur les rêves de l’homme lors de son sommeil, accentue le sentiment de voyeurisme qui s’installe tout au long de la représentation.
Endormi(e) aborde avec tempérance, doigté et succès les thèmes délicats de la peur de la vieillesse, de la peur de mourir, de la vieillesse sexuelle, surtout masculine, et de la vision de l’amour et des relations affectives. Un cycle bouclé avec brio et une certaine élégance.