Du 13 mai au 21 juin 2008
Pi...?
Texte de Christian Bégin
Mise en scène de Marie Charlebois
Avec Christian Bégin, Marie Charlebois, Patrice Coquereau, Pier Paquette, Isabelle Vincent
Seizième lettre de l’alphabet grec, Pi c’est aussi le symbole du fameux 3, 1415926…, un nombre entre trois et quatre, l’infini entre deux réalités. Comme entre la vie et la mort ? Emmanuel, 45 ans, en sait peut-être quelque chose. Il est resté dans la mort dix-sept minutes exactement, puis il en est revenu. Un aller-retour questionnant pour qui veut bien l’aborder… Certains le voudraient ardemment, d’autres le craignent férocement.
Pi… ? nous parle de la vie aux côtés de la mort. De la mort ultimement et heureusement intégrée à la vie. De toutes ces questions que la mort pose à la vie. Après Quelques humains, Le rire de la mer et Mille-feuilles, cette quatrième création des Éternels pigistes nous convie à une soirée entre amis peu commune !
Scénographie : Gabriel Tsampalieros
Costumes : Marc Senécal
Maquillages : Angelo Barsetti
Une production des Éternels pigistes en codiffusion avec le Théâtre de La Manufacture
La Licorne
4559, avenue Papineau
Billetterie : 514-523-2246
par Mélanie Viau
Poser la question du Pi, c’est s’engager dans l’infini, l’irrationnel, c’est chercher la quadrature d’un cercle sans jamais pouvoir lui attribuer une valeur fixe. Avec les Éternels Pigistes, ce symbole, à la fois lettre et nombre situé quelque part entre le 3 et le 4, devient foyer central de questionnement sur cet impossible sens de la vie de chacun, sur les pôles multiples fuyant furtivement entre les grandes «binarités» de la conception de l’être et du non-être, soit la vie et la mort, le vrai et le faux … Si l’histoire de cet homme, Emmanuel, qui a été déclaré cliniquement mort pendant dix-sept minutes nous suggère la réflexion sur la constante d’Archimède, son exposition, sous la plume intelligente et limpide de l’auteur et acteur Christian Bégin, se pose davantage comme un voyage dans les méandres psychologiques de cinq quadragénaires postés face à l’immense mystère de la vie, du temps, de l’amour, du désir et de la volonté d’accepter les changements de voie qui s’opèrent à la croisée des chemins. Un concept brillant, attrayant, intrigant mais qui, malheureusement, oublie quelque peu la puissance de jeu que la scène et son esthétique peuvent offrir.
Un souper grandement arrosé de vin et de tequila où toutes conversations se mettent à déraper inévitablement sur les tabous tapis dans le cœur des convives. Une dérape assez prévisible, trop bien annoncée, à la montée étouffée par un trop-plein de cynisme dispersé équitablement dans les propos de chaque personnage coincés par eux-mêmes dans ce huis clos. On joue la carte du pathétisme, clamant haut et fort le mal-être qui traverse, la crise insupportable à contenir. On cherche à s’intéresser à l’autre et les anecdotes servent volontairement à meubler le temps à passer ensemble. Nous sommes dans l’hyperréalisme de la conversation et toutefois, les personnages s’offrent uniformément, en recto verso. Emmanuel (Christian Bégin) cherche à étouffer les récits potentiels de son passage de l’autre côté de la vie alors qu’il s’aperçoit qu’après la vie, il y a encore la vie, aussi dépourvue de sens que la première. Gabrielle (Marie Charlebois) demande à fuir dans le passé qu’elle a aimé, dont elle a joui, le passé d’avant l’accident, mais si ce passé n’avait pas été ? Pierre-Louis (Pier Paquet), professeur d’université en lettres, coquet et bien imbu de sa personne, fantasme avec une fascination pitoyable sur la jeune vingtaine et ses atouts qui n’ont pas encore subi la loi de la gravité. À ces côtés, sa douce femme, Sue (Isabelle Vincent), botaniste pratiquant l’art du Bonsaï, oscille entre le snobisme, l’espièglerie gamine, la grâce et la plénitude d’une femme qui accepte de vieillir et qui tente d’aimer de tout son cœur. Et puis il y a Marc, le beau-frère, une sorte d’ado retardé, de fanatique morbide, d’outsider cherchant sa spiritualité dans les massacres et la résurrection du Christ. Ce qui les unit tous, c’est la Peur : peur du temps, peur de soi, de ses propres choix, de son inévitable destin. Et pourtant, dans toutes ces tergiversions des discours au gré de l’alcool et des états d’âme, il est bien difficile d’entrevoir les subtilités et la multiplicité de tous ces possibles qui traversent les personnages. Le travail des acteurs semble miser avant tout sur le rendu cohérent du texte, ce qui est parfaitement réussi, mais l’ensemble donne une impression de fermeture sur soi, une sorte d’autosuffisance qui mériterait fortement d’ouvrir sur l’interprétation du public, histoire d’y trouver un peu du sien.
Pour ce qui est de la facture scénique, l’appartement chic moderne en beige et noir du couple de Manu et Gab offre un cadre dynamique aux échanges un peu trop statiques des convives réunis autour de la table de la cuisine. Mariant les textures de divers matériaux tels le revêtement intérieur en brique, la tapisserie (superbe, soit dit en passant) et la céramique sur des panneaux suspendus disposés à angle droit ou en oblique, l’ensemble ajoute une touche de glamour aux personnages qui semblait moins présente dans leurs propos. À titre de trame sonore, un iPod s’occupe de l’ambiance souhaitée pour le party. Une utilisation originale, il faut dire, mais il aurait été agréable de pouvoir jouir de quelques morceaux de musique originale entre les multiples changements de tableaux qui, disons-le, cassent totalement le rythme de la pièce.
Pi…?! renferme un discours valant la peine qu’on s’y attarde, qu’on y réfléchisse, qu’on s’y projette bref, qu’on en prenne une part (celle qui vous ira le mieux) pour l’emporter avec soi sur le chemin du retour (accompagné d’un proche, idéalement). On vous promet de bonnes discussions !
18-05-2008