Texte : Mathieu Gosselin
Mise en scène : Claude Poissant
Avec : Sandrine Bisson, Amélie Bonenfant, Sébastien Dodge, Rose-Maïté Erkoreka, Renaud Lacelle-Bourdon, Anne-Marie Levasseur et Simon Rousseau
La campagne. Un dimanche de fête. C’est l’anniversaire de Martine qui a choisi cette journée pour enterrer les cendres de son amoureux qui s’est suicidé. Son départ a causé un vide immense autour de lui. Ballons, guirlandes de popcorn, chapeaux, enfants qui courent; une vraie fête s’organise avec tout ce qu’elle contient de charge libératrice.
Avec un humour côtoyant le tragique, l’auteur évoque la disparition, la filiation au sein d’une petite collectivité et la résilience qui en émane. Mais il nous raconte d’abord une histoire d’amitié où toutes les sensibilités semblent s’exprimer pour la première fois au sein d’un clan. Saluée par la critique et le public, cette création 2006 du Théâtre de la Banquette arrière est de retour pour notre plus grand bonheur.
Décor : Mathieu Giguère
Costumes : Marc Senécal
Lumières : Martin Labrecque
Musique originale : Éric Goulet
Une production du Théâtre de la Banquette arrière en codiffusion avec le Théâtre de La Manufacture
La Licorne
4559, avenue Papineau
Billetterie : 514-523-2246
par David Lefebvre (2006)
Le Théâtre de la Banquette arrière, qui nous avait proposé Betty à la plage il y a quelque temps déjà, revient avec une création toute québécoise. La fête sauvage est le cinquième texte, mais le premier travail solo du comédien, concepteur et scénariste Mathieu Gosselin (Persée, Novembre, La fin du toit). Natif d'un petit village en région dite éloignée, il a voulu écrire sur ces jeunes qui restent en campagne, qui sont mariés depuis une éternité, dont les enfants poussent comme de la mauvaise herbe et dont les relations ne sont certes pas cycliques, mais ancrées, vécues jusqu'au bout quoi qu'il arrive. Jeunesse hors champ, comme l'a si bien écrit une collègue.
Une campagne, un village, trois couples qui sont voisins, comme quand ils étaient petits. Deux Martine, amies d'enfance. L'un des leurs, le "chum" de la première Martine, s'est suicidé, en se pendant à un arbre, il y a deux mois. Le jour de son anniversaire de naissance, Martine décide que c'est aussi le jour des cendres, le temps d'enfin enterrer Frank, d'en finir avec sa tristesse lors d'un vrai party. Mais quand on est si près de quelqu'un, que nous soyons la copine ou les meilleurs amis, cette part de nous-mêmes qu'on nous a enlevée est impossible à remplacer ; comme un morceau d'un puzzle qu'on égare à jamais.
C'est un décor de cour tranquille qui nous est proposé, avec un arbre, des chaises pliantes en bois, des jouets, des livres, beaucoup de bouteilles vides. L'arbre-témoin, les bouteilles fin de party, les jouets d'enfants invisibles... Nous sommes les spectateurs, ce soir, de la vie de gens ordinaires qui passent au travers de situations extraordinaires. La fuite est difficile, et la survie après la perte d'un être cher l'est encore plus. Sophie Cadieux interprète cette Martine cicatrisée, prête à exploser, qui n'a plus de larmes, mais qui en pleure encore. Elle vit la mort au jour le jour. De l'autre côté, il y a la deuxième Martine, incarnée par Rose-Maïté Erkoreka, chez qui la vie passe par l'explosion de l'amour, la baise, l'amitié. Anne-Marie Levasseur joue Mabel, la troisième copine, autoritaire, mère de famille, qui ne désire pourtant qu'un peu de reconnaissance et de silence le dimanche matin. Les deux comparses qui restent, Burn (Renaud Lacelle-Bourdon) et Ron (Simon Rousseau) sont dans une fête perpétuelle, dont l'alcool et la drogue sont les déclencheurs les plus efficaces pour en profiter - et pour oublier. À côté d'eux, un petit couple de voisins, formé d'une jolie jeune femme joyeuse (Amélie Bonenfant) qui rêve très fort de voyages et d'exotisme et d'un homme refermé, au discours monosyllabique (Sébastien Dodge) et qui se pratique au pigeon d'argile en attendant les outardes (le dimanche à 6h du matin). C'est la première image que nous avons, celle de cet homme assis, nonchalant, la carabine en attente. En cette semaine terrible, celle de la fusillade au Collège Dawson, impossible de ne pas sourciller.
L'écriture de Mathieu Gosselin est poétique, construite, imagée. Même si les discours aux mots recherchés semblent parfois dépasser le statut des personnages, tout colle. On y parle de survie, de fuite, d'espoir, de bonheur, d'amitié. C'est un voyage au travers d'une folie passagère, causée par le départ d'un être qu’on ne peut remplacer. Malgré tout, on rit souvent, grâce aux mots d'esprit, aux situations absurdes, que Gosselin a su créer. La mise en scène de Claude Poissant est tout aussi imagée et construite. On y décèle cette sauvagerie de l'enfance, de l'excès des expériences. Le deuil aussi, qui se vit comme on peut. Les différents comédiens sont touchants et explorent cette langue particulière avec un plaisir partagé. La musique, style "steel and slide guitar" d'Éric Goulet (Les Chiens, Monsieur Mono et réalisateur musical doué), fonctionne à merveille.
La fête sauvage est une pièce d'automne qui frissonne, qui sent presque le foin, le blé d'Inde et le regret d'un été passé. Une pièce d'automne aux décisions difficiles, mais inévitables, qui voit chacun prendre une route qu'il n'avait peut-être même pas imaginée. Et la Mort, qui sourit aux survivants qui tentent encore d'en réchapper et de vivre. Vivre.