Texte : François Archambault en collaboration avec Patrice Dubois et Dany Michaud
Mise en scène : Patrice Dubois
Avec : Patrice Dubois, Dany Michaud et Armand Vaillancourt
Leur père est mort cette semaine. Philippe et Daniel devront ouvrir son testament et honorer ou non ses dernières volontés. Au pied de leur arbre généalogique comme au centre d’une arène, les deux frères vont opposer leurs idées et leurs visions du monde dans un combat dont l’issue n’est rien de moins que la continuité de leur race. Au coeur du récit, les destins liés de trois générations d’hommes qui ont vécu du fruit de la forêt. Les premiers, bûchant à la hache, les derniers, armés de machines multifonctionnelles capables de coucher en une semaine ce qu’un homme arrivait auparavant à bûcher en une année.
Réflexion originale sur la transmission et la lignée, Les frères Laforêt était présenté à guichet fermé lors de sa création au printemps 2007.
Assistance à la mise en scène : Catherine La Frenière
Décor : Olivier Landreville
Costumes : Julie Breton
Lumières : Martin Gagné
Environnement sonore : Ludovic Bonnier
Une production de Janvier Toupin Théâtre d’Envergure en codiffusion avec le Théâtre de La Manufacture
La Licorne
4559, avenue Papineau
Billetterie : 514-523-2246
par Aurélie Olivier
Créés à La Licorne en 2007, Les frères Laforêt sont la 6e production de Janvier Toupin Théâtre d’Envergure. Il y est question de rivalités familiales, d’héritage, de patrimoine.
À la mort de son père, Phillipe (Patrice Dubois) – avec deux « L » et un « P » – déjà dépressif, plonge dans un désarroi identitaire bien éloigné des préoccupations de son frère, Daniel (Dany Michaud). En tous points différents, les frères n’éprouvent aucune solidarité dans le deuil, qui exacerbe au contraire la rivalité sourde qui a toujours existé entre eux, et qui remonte à loin, Caïn et Abel peut-être. Phillipe c’est la sensibilité, le doute, la vulnérabilité. Daniel, c’est l’arrivisme, le capitalisme arrogant, le triomphe du matérialisme, le culte des apparences. Un antagonisme irréconciliable qui reflète deux visions opposées des notions d’héritage, de patrimoine. Alors que Phillipe est habité par les figures paternelles et grand-paternelle et par la vie qu’ont eue ses ancêtres, Daniel n’hésite pas à faire table rase du passé pour se concentrer sur sa destination, à la fois indifférent et méprisant à l’égard du père qui a été le sien.
De séances chez le psychologue en flashbacks, nous découvrons l’univers familial, avec ses traditions et ses conflits larvés et au cœur, le bois, dont l’importance symbolique est traduite par un plancher à lattes de différentes couleurs et longueurs. Tout dans la scénographie d’Olivier Landreville évoque la dualité, l’opposition, depuis l’écran et le tableau effaçable qui se font face jusqu’aux deux parties du couvercle de la caisse de bois/cercueil qui habite le milieu de la scène, s’ouvrant dans des sens opposés, en passant par le public, disposé de part et d’autre de la scène.
La mise en scène de Patrice Dubois est fluide, sensible, et parvient habilement à traduire la multiplicité des lieux, aidée en cela par les éclairages de Martin Gagné. Excellente idée : la présence fantomatique du grand-père (Armand Vaillancourt), qui traverse la scène de temps à autre, sans un mot. Signalons aussi la musique live de Ludovic Bonnier, qui crée une ambiance sonore tantôt tendue, tantôt champêtre.
Le texte de François Archambault est malheureusement un peu trop manichéen. La critique de la modernité, épuisant les hommes et les ressources, gaspillant, dénaturant est plus que palpable tant le personnage de Daniel est caricatural. On eut préféré un parti pris plus subtil. Toutefois, l’humour et la sensibilité des interprétations et de la mise en scène nous le font oublier et on se laisse vite aller à réfléchir à ce que la notion d’héritage signifie pour nous.
par David Lefebvre (2007)
Dans les années 70, au Québec, il y a eu, rappelons-nous, un grand mouvement de retour à la terre, après un boum industriel qui a duré quelques décennies. Puis, la génération qui a suivi a rejeté cette vague, à en faire presque disparaître certaines traditions. Depuis quelques années, avec le retour en force des conteurs et de la musique traditionnelle, l’actualisation des régions, les conscientisations environnementales et sociales, il est judicieux de se poser des questions sur nos origines, de comprendre si le legs de nos ancêtres est un fardeau ou une liberté chèrement acquise, et si ce qui nous définit est notre point de départ ou notre destination. L’héritage culturel, politique, philosophique, artistique, la filiation et la transmission de tout ceci de père en fils, voilà les sujets de la poignante pièce Les Frères Laforêt.
Écrite par François Archambault (d’après un concept en collaboration avec Patrice Dubois et Dany Michaud), elle raconte l’histoire de deux frères, Phillipe Laforêt (Dubois), un homme au sens artistique développé mais pas du tout manuel, en dépression (donc en thérapie), et Daniel Laforêt (Michaud), un être compétitif, admirateur sans borne de Mohamed Ali, qui est à la tête d’une entreprise qui se dit environnementale. Leur père, Daniel Laforêt, bûcheron de métier, vient de décéder. Les deux frères se retrouveront réunis pour discuter d’un projet qui les unit mais aussi pour connaître les dernières volontés du paternel, un père que les deux enfants ne voient pas du tout de la même manière.
Moins cynique que La Société des loisirs, et beaucoup plus mesuré, Les Frères Laforêt est une pièce dont l’écho des mots et des réflexions résonne encore longtemps dans notre tête pendant et après le spectacle. Ces deux personnages, leur manière de penser, leur famille, leur environnement sont très près de nous. Ce qui frappe, au départ, c’est le concept de dualité : deux frères ; deux écrans qui se font face (sur l’un, un vidéo corporatif, sur l’autre, un arbre généalogique qui se dessine lors des sessions chez le psy) ; un magnifique meuble en bois sculpté (qui fait office de boîte à bois et de cercueil) aux panneaux qui s’ouvrent en sens contraire… jusqu’au public, séparé en deux entités, de chaque côté de la scène centrale. Celle-ci, formée d’un plancher surélevé, est construite de lattes de bois franc de différentes teintes et longueurs (conception d’Olivier Landreville). Alors que l’absence totale des femmes dans le récit (qui est la mère des deux frères? Qui est la femme de Daniel? Pourquoi Phillipe oublie le nom de sa grand-mère?) est marquante, la présence (quelle excellente idée!) du sculpteur Armand Vaillancourt, figure paternelle autoritaire et pratiquement divine, est remarquable. Et cette vieille hache au manche gravé, pierre angulaire des souvenirs de Phillipe et de son histoire familiale, est vue d’un côté comme un objet sacré, de l’autre comme une «gogosse» inutile. Pourtant, elle aura encore son mot à dire dans cette histoire.
Crédit photos : Jean-François Sauvageau
Même si au fil d’arrivée il nous manque quelques détails sur cette famille, qui nous sont révélés au compte-goutte, le tout est d’une très grande qualité scénaristique. La mise en scène de Patrice Dubois est remplie de bonnes idées, heureusement toutes bien exécutées, et les éclairages de Martin Gagné imposent savamment les différentes ambiances tout au long du récit. Ludovic Bonnier, à la conception musicale inspirée et inspirante (principalement de la guitare, électrique ou non), mi-folk, mi-planante, joue en direct (sans être visible) pour notre plus grand bonheur. Michaud, qui incarne des personnages aux tempéraments opposés (le psy posé et entêté et le frère à la vision unidirectionnelle), nous offre un jeu sans faille. Le Phillipe de Patrice Dubois est attachant et soumis aux volontés de son frère jusqu’à ce qu’il découvre en lui une force insoupçonnée. Et la tension entre les deux, au final, est palpable.
Bref, une pièce qui plonge dans les entrailles de notre identité, au discours tout aussi universel qu’actuel. Quand les racines sont plus profondes qu’il n’y paraît…