Texte : Pierre-Michel Tremblay
Mise en scène : Michel Monty
Avec : Josée Deschênes, Justin Laramée, Mathieu Quesnel, Sébastien Rajotte et David Savard
Dans la Rome antique, un champ de Mars était un espace d’entraînement au combat, Mars étant le dieu de la guerre.
La guerre. Avec humour et intelligence, mais surtout avec beaucoup d’humanité, Pierre-Michel Tremblay nous invite à une réflexion sur ce thème grave où les partis-pris sont nombreux, tout comme les marchands d’armes... et de beignes.
De retour de Kandahar, un jeune soldat souffre d’un sévère choc post-traumatique… Une psychiatre est atteinte de fatigue de compassion… Un réalisateur de films d’action cherche l’inspiration et un professeur de musique klezmer donne dans l’activisme pacifiste au sein du collectif Guerre à la guerre…
Entre la réalité d’Éric aux prises avec sa culpabilité de survivant, celle de Rachel qui doit écouter et apaiser, entre la vision de Marco pour qui tout se résume à des flashs et celle d’Antoine, un pacifiste invétéré, soudainement, le choix de « notre camp » n’est plus aussi évident… La mise en scène est confiée à Michel Monty, un habitué de La Licorne où il a signé avec rigueur et précision les mises en scène de La Société des loisirs, Gagarin Way, Antarktikos et CyberJack.
Tête-à-tête : 5 février
Assistance à la mise en scène Geneviève Lessard
Décor Patricia Ruel
Costumes Sarah Balleux
Éclairages Guy Simard
Musique originale Jean-François Pednô
Accessoires Marie-Ève Lemieux
Une production du Théâtre de La Manufacture
La Licorne
4559, avenue Papineau
Billetterie : 514-523-2246
par David Lefebvre
La Licorne propose une dernière pièce avant le début des rénovations, des travaux qui transformeront pour le mieux, on l’espère, le petit théâtre de la rue Papineau – reste que ce petit théâtre nous manquera, assurément. Au champ de Mars, de l’auteur Pierre-Michel Tremblay, colle parfaitement au style dont nous a habitués l’endroit depuis quelques années : satirique, touchant, actuel. Ici, l’auteur aborde de manière informelle, à sa façon, la guerre, comme concept, comme bataille, comme mode, comme obsession. Ces guerres boucheries qui tuent sans ménagement, ces guerres intérieures que chaque personne mène.
Éric (Mathieu Quesnel) est revenu d’Afghanistan, souffrant d’un choc post-traumatique. Jeune soldat qui s’est enrôlé par héroïsme après les événements du 11 septembre et l’attentat à Madrid, il revient avec un trou béant en lui, dont il essaie de sortir. Rien de visible, rien de physique, alors l’homme doit se débrouiller seul et survivre. Sa conscience est attaquée par les cris et les ordres d’un sergent imaginaire (méconnaissable Sébastien Rajotte), qui le tiraille et le manipule sans arrêt ; on est tout près d’un lavage de cerveau. La seule personne qu’il visite est sa psychiatre (Josée Deschênes), qui est elle-même en état de « fatigue de compassion ». Pour se refaire une santé mentale, elle essaie d’apprendre la clarinette et la musique klezmer qu’elle adore, avec un professeur (Justin Laramée) aux méthodes alternatives, militant pacifiste, voire extrémiste. Puis, entre dans la vie d’Éric et de la psy un réalisateur (David Savard) qui désire produire un film de guerre réfléchi, un fantasme professionnel à la Apocalypse Now, qui le sortira des suites pénibles que son premier grand succès commercial lui impose.
Dépression, échec, amertume, chaque personnage de la pièce de Tremblay semble lutter, certains plus désespérément que d’autres. Chacun d’entre eux est assurément à bout de nerfs et nous offre des moments savoureux d’humour aux répliques senties, à propos, cinglantes – car oui, malgré un sujet qui peut paraître lourd, c’est à une comédie que nous convient les créateurs du spectacle.
Le point d’ancrage entre la folie et la raison du protagoniste est une petite merveille : un Tim Horton. Un restaurant rassurant en plein milieu du désert, pour des hommes et des femmes dépaysés, loin de leurs repères. Une raison de garder le patriotisme à flot, combattre le terrorisme un beigne et un café à la main. L’homme de guerre y voyait un symbole de ses valeurs canadiennes, mais ce sera aussi, comme il le décrit lors de la scène la plus touchante et la plus dure du spectacle, la goupille de la grenade de son traumatisme. Une onde de choc qui bousculera plusieurs spectateurs.
La mise en scène de Michel Monty s’assure de bien capter l’attention et de doser adéquatement l’humour particulier de l’auteur et les sentiments de fragilité et de folie des personnages. Le rythme est calculé et la direction d’acteur est assurée d’une main de maître. Les comédiens offrent une performance à la hauteur des attentes. Mathieu Quesnel impressionne dans la peau troublée de ce militaire, en équilibre aux frontières d’une chute sans fond au son de la musique de Slayer.
Le décor se sépare en deux unités : d’un côté, une pièce qui sert tout autant de cabinet de psy que de salle de montage, ou de salon pour le musicien. De l’autre, un appartement miteux, où s’entassent bouteilles de bière, canettes et déchets. Dans cette seule partie, on comprend, du premier coup d’œil, l’état lamentable du soldat, qui dort plus souvent sur sa table à manger qu’ailleurs, la tête dans les mains. Mentionnons aussi un travail méticuleux de la trame sonore, amalgame de différents sons, dont d’hélico et de gens ; un échantillonnage efficace.
Les champs de bataille parsemés de cadavres, certains bien réels, d’autres fictifs, mais qui causent autant de dommages irréparables ; l’idéalisation de la guerre dans notre société de consommation et les effets pervers qu’elles causent, voilà les sujets principaux d’Au champ de mars, une pièce à voir, définitivement. M’sieur oui m’sieur!