La nuit dernière, il est tombé quarante centimètres de neige. Et ça tombe encore. Ce matin, il fait moins 27 degrés et pendant que ses parents mangent des beignes et boivent du café à l’intérieur, Billy est laissé seul dans l’auto. Une femme le voit. Une femme décide que ça suffit. Une femme décide d’aider Billy. Elle veut parler. Ce matin, un homme lui, est résolu à se faire justice dans une garderie. Il veut parler. Ce matin, une autre femme attend qu’on lui livre un babillard. Un babillard. Encore. Depuis plusieurs mois. Ce matin, on décide que ça suffit. Ce matin, ça hurle de partout.
Avec cette pièce, l’auteur Fabien Cloutier fait déferler la vague contaminante d’une colère construite de toutes pièces par les préjugés, les idées reçues et notre propre ignorance des autres. Billy déploie sur scène une véritable catharsis collective, un «chiâlage» habile et libre, devenu sport national, à la fois jouissif et contagieux. Billy, c’est le quotidien inhabituel de gens ordinaires qui cherchent aussi à se faire justice et qui jappent, confortablement attachés.
Récipiendaire du Prix Gratien-Gélinas 2011 pour Billy (Les jours de hurlement), Fabien Cloutier est aussi l’auteur de Scotstown, joué à La Licorne en 2009. Il livre une parole qui égratigne, qui écorche, mais qui se révèle aussi une rassurante et essentielle reconnaissance de nos convictions les plus profondes. Sylvain Bélanger, cofondateur du Théâtre du Grand Jour, est de retour à La Licorne pour notre plus grand plaisir. Il a entre autres réalisé les mises en scène des pièces Cette fille-là (2004), Félicité (2007) et Yellow Moon (2010).
Décors Évelyne Paquette
Costumes Marc Senécal
Éclairages Erwann Bernard
Tête-à-tête : Jeudi 10 mai
Cartes Prem1ères
Date Premières : du 30 avril au 8 mai
Régulier : 32$
Carte premières : 16$
Une production Théâtre du Grand Jour
par Pascale St-Onge
Billy (Les jours de hurlements), la plus récente pièce du Beauceron Fabien Cloutier qu'on a pu entendre en 2011 à Dramaturgies en Dialogue, et récipiendaire du prix Gratien-Gélinas de la même année, est monté à la Petite Licorne en ce printemps 2012. L'auteur ramène au premier plan l'individualisme qui l'emporte sur la société, le jugement facile des autres alors que ses personnages sont tout aussi responsables que ceux qu'ils accusent. Ici, chacun est animé par la haine de ceux qui abusent du système, de la bureaucratie, de ceux qui éduquent mal leurs enfants, de ceux qui ne font pas leur travail, du système de santé, etc.
Voilà une pièce qui décoiffe par sa langue crue, mais surtout par sa façon de ramener le spectateur sur terre. Fabien Cloutier met à l'épreuve le citoyen moyen, celui qui nourrit le système, le même système qu'il déteste et qu'il prend plaisir à dénoncer à qui veut bien l'entendre (ou non.). Trois personnages, parents et travailleurs de la classe moyenne, affrontent un lendemain de tempête de neige et un froid avoisinant les 30 sous zéro. Un matin difficile, l'occasion parfaite pour chialer sur tout et n'importe quoi, pour en avoir ras le bol et finalement, pour décider que c'est assez, qu'il faut que ça change.
Sylvain Bélanger a su mettre en valeur ce texte dans sa mise en scène, et ce, malgré les difficultés qu'il impose. Le texte propose, la majeure partie du temps, trois discours parallèles ; il devient ardu pour le spectateur de tous les suivre à la fois. Visiblement, ce travail est également difficile pour les comédiens qui semblent parfois se marcher sur les pieds dans ce petit espace bien investi par la mise en scène, mais surtout dans ce texte tissé serré. Guillaume Cyr, avec un personnage qui n'a pas la langue dans sa poche et qui surprend à chaque instant, vole la vedette de ce trio de comédiens bien choisi. Par contre, on s'interroge sur certains choix dramaturgiques : cette travailleuse dans la cinquantaine (Louise Bombardier, au jeu convaincant, mais parfois fragile) qui hurle contre la bureaucratie et les syndicats, bien qu'attachante, ne s'avère utile que dans les dernières minutes de la pièce, bouclant la boucle de la haine et du jugement qui a motivé toute l'action jusque-là. On arrive difficilement à l'identifier, à savoir qui elle est exactement.
Le décor tout de blanc, aux vitres battantes, évoque la tempête qui fait rage. Le minuscule espace transformable nous fait parfaitement oublier la petite salle de spectacle, sans cesse investie par les trois comédiens. L’installation de néons, qui couvre le plafond du fond de la scène jusqu’au public, rappelle celui qu'on a pu voir autrefois pour Félicité et 20 novembre.
Le rythme du texte est certainement une des grandes raisons de son succès. Par contre, certaines répliques, plutôt courtes généralement, viennent freiner ce rythme qui entraîne le public. Fabien Cloutier nous piège bien : par sa façon de jouer avec la langue et l'humour qui s'en dégage, il en vient au spectateur d'être confronté à ce qu'il n'a pas vu venir. Il rit de ce qu'il dénoncerait lui-même, de ce qui le choque. Ceux en qui nous avions d'abord confiance deviennent ce qu'ils jugeaient inacceptable. Comme quoi la négligence peut arriver à tout le monde. À qui la faute? C'est cette question sans cesse posée par les personnages qui demeurera sans réponse finalement, car c'est à la collectivité que revient la responsabilité dont tout le monde cherche à se défaire : celle d'être citoyen.
Billy (les jours de hurlement) est une pièce coup-de-poing, sans pour autant s'alourdir des malheurs et des tragédies qu'elle raconte. Bien au contraire, l'humour est autant au rendez-vous que la consternation pour le spectateur qui voudra bien aller profiter de ce superbe texte presque trop court (à peine plus d'une heure). Un spectacle à ne pas manquer, si vous n'avez pas peur d'être confronté d'aussi proche à notre société québécoise.