Dans la chambre d’un motel miteux vit une femme brisée. Son entourage, une amie serveuse et un ex-mari tout juste sorti de prison, n’aident pas à redonner un sens à sa vie. Puis, elle tombe dans les bras d’un vétéran de la guerre du Golfe, mystérieux, inquiétant mais tout de même tellement différent des autres, ceux qu’elle fuit désormais. Mais leur aventure se complique lorsqu’ils découvrent des insectes dans la chambre qu’ils partagent. D’abord, un dans leur lit, une colonie, puis… des colonies! Est-ce là le début d’une nouvelle vie ou les balbutiements d’une irréversible descente aux enfers?
L’auteur nous place ici sur la mince ligne qui sépare parfois la peur légitime de la paranoïa. Car Bug aborde les thèmes de la solitude, de la peur de l’autre, de la théorie du complot, du contrôle psychologique et de l’intimidation. Et, bien sûr… des punaises de lit, sujet on ne peut plus actuel!
Créée pour la première fois sur la scène du Gate Theatre de Londres en 1996, cette pièce de l’auteur américain Tracy Letts a également fait l’objet d’une adaptation pour le cinéma en 2006. C’est Denis Bernard qui mettra en scène cette deuxième production du Théâtre À qui mieux mieux. La première, Le Baiser de la veuve, d’Israël Horovitz, était créée en 2005 et reprise en 2007 en tournée au Québec.
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Assistance à la mise en scène Michelle Bouchard
Décor Olivier Landreville
Éclairages André Rioux
Musique Ludovic Bonnier
Photo Félix Renaud
Tête-à-tête : Jeudi 31 mai
Une production Théâtre À qui mieux mieux
par David Lefebvre
Né en Oklahoma, Tracy Letts est un comédien, auteur et scénariste américain, récipiendaire d'un prix Pullitzer en 2008 pour la pièce August: Osage County. Son premier succès, Killer Joe, écrit en 1991, lui vaut une reconnaissance internationale, joué dans une quinzaine de pays. En 1996, il récidive avec Bug, un morceau qualifié de psycho-thriller qui explore la folie schizoïde et le délire paranoïaque, adapté pour le cinéma en 2006, avec, entre autres, Ashley Judd. Le Théâtre À Qui Mieux Mieux, qui nous avait présenté le mordant Baiser de la veuve en 2005, propose ce texte pour clore la saison 2011-2012 de La Licorne.
Agnès est une barmaid qui se terre dans un trou de l'Oklahoma, dormant dans une chambre de motel depuis que Jerry, son violent ex-mari qu’elle fuit, est en prison. Brisée, elle ne trouve rien d'autre que l'alcool et la drogue pour oublier un tant soit peu son état lamentable, et le petit qu'elle a perdu, il y a 9 ou 10 ans, disparu d'une épicerie sans laisser de traces. Par l'entremise d'une amie arrive Peter ; timide, gentil, il s'immisce rapidement dans la vie d'Agnès. Jerry, sorti de taule, vient quelques fois harceler Agnès, totalement à bout. Elle trouve ainsi du réconfort en la soudaine présence de cet ancien vétéran d'Afghanistan mystérieux, qui finit par gagner sa confiance. Après quelque temps, de façon anodine, de petites bestioles font leur apparition dans la chambre. Hallucination, réalité? D'où proviennent-elles? D'expériences secrètes menées par le gouvernement sur les soldats, ou de la tête d'un homme malade mais foutrement convaincant? Et ce Docteur Sweet, qui semble vouloir aider, est-ce réellement une main secourable qu'il tend à Peter?
Sans demi-mesure ou subtilité, Bug se veut une pièce trashy, gore, qu'une dose d'humour parfois noir, parfois léger, vient ici aider à faire passer certains moments plus durs, ou là, saborder la tension qui aurait pu être savoureusement insoutenable. De la dysfonction à la folie pure, Bug joue sur la détérioration de l'esprit et le niveau de réalité qui s'embrouille : il est plaisant de voir comment Peter arrive à garder Agnès dans son cercle de pensée en juxtaposant des coïncidences de leur vie pour créer une incroyable conspiration contre eux. Alors que Jerry avait tenté sans succès de manipuler Agnès par la force, Peter réussit inconditionnellement en envahissant - sans peut-être même le vouloir - l'esprit malade et fragile d'une femme anéantie.
La première partie démarre plutôt bien l'ensemble ; la mise en scène de Denis Bernard pose les pions avec une certaine justesse. La peur qui habite le corps d'Agnès, la timidité de Peter, on y croit. On ne quitte jamais la chambre de motel : le plafond bas vient augmenter le sentiment d'étouffement de la place et enferme les personnages sans pour autant les menacer. C'est lors du deuxième acte que les insectes se manifestent. Leur présence, possiblement métaphorique, recèle un danger pourtant bien réel. On navigue par contre entre la science-fiction caricaturée à petite échelle et le suspense psychologique. Si le drame se veut de plus en plus terrifiant, grâce au sang, aux hématomes et à la violence psychologique, il manque pourtant à l’entreprise une tension palpable qui tarde à se manifester. Le doute que l’on aimerait ressentir à la sortie de la salle brille par son absence tant il est ardu de croire à la théorie du complot de Peter. On perçoit facilement le manège des personnages ; plus d’ambigüité lors de certaines scènes aurait certainement mieux servi la pièce.
Marika Lhoumeau fait sourire largement dans le rôle de RC, l’amie lesbienne qui enfile les rails de coke entre deux déhanchements. Le personnage d’Antoine Bertrand se situe à mi-chemin entre le redneck violent et le comique d’une bande de mauvais garçons qui a vieilli trop rapidement. Son Jerry se veut paradoxal, malgré les rares excès de violence, bien maîtrisées et efficaces, qui doivent en théorie démontrer tout le potentiel dangereux du personnage : il est drôle mais brutal, il est cruel mais sauveur – il tentera de sortir Agnès du pétrin en lui présentant le docteur Sweet, joué par Philippe Lambert, qui cherche à aider Peter. Difficile de le détester totalement, ou de ressentir de réels frissons. Si Émilie Gauvin incarne plutôt bien une Agnès complètement stone, qui essaie de se couper de la réalité, il est dommage de ne pas percevoir plus de nuance dans le jeu de l’actrice, entre ses moments sous l’effet de la drogue et ses instants de paranoïa. Alors que la disparition de l’enfant devrait être la faille majeure du personnage, on a l’impression que ce n’est qu’un événement mineur dans la vie d’Agnès. Marc-François Blondin opte davantage pour le « loser » timide que le charmant et poli inconnu ; son Peter demeure le personnage le plus intéressant de cette histoire somme toute effarante.
Des aveux des créateurs, Bug est d’abord et avant tout un divertissement – et y réussit très bien – sans avoir la prétention de réinventer le théâtre de genre ou de faire la morale. Inutile, donc, de se gratter la tête au sang : il suffit de se laisser entraîner dans ce récit tordu et de profiter simplement du moment.