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Du 1er au 19 et du 23 au 26 avril 2013, du lundi au jeudi 19h, vendredi 20h, supplémentaire 20 avril 16h
Amour/Argent
Présenté à la Petite Licorne
Texte Dennis Kelly
Traduction Fanny Britt
Mise en scène Geoffrey Gaquère
Avec Benoît Dagenais, Mathieu Gosselin, Patrick Hivon, Danielle Proulx, Isabelle Roy, Marie-Hélène Thibault

David vit une romance par Internet. Dans un courriel, une confession brise sa relation. Il avoue avoir trouvé sa femme, sur le plancher de la cuisine, alors qu’elle venait de faire une tentative de suicide. Le hic ? Elle n’était pas morte. Ce qui choque ? Ne pas avoir appelé les secours et l’avoir plutôt aidée à mettre fin à ses jours. Pourquoi ? Il n’en pouvait plus, elle dépensait trop et le surendettement allait les emporter.

Pièce sous forme de tableaux en apparence disparates, Amour/Argent décortique de manière impitoyable le rapport passionnel que l’occidental moyen entretient avec l’argent et les possessions, au détriment non seulement de sa santé financière, mais également de sa santé morale.

En cette période de crise économique mondiale, le Théâtre Debout se penche sur cet éternel tabou qu’est l’argent et sur la place qu’il occupe dans nos vies. Dans cette histoire racontée sous forme de sketches, Dennis Kelly nous questionne sur cette propension à quantifier notre bonheur en fonction de ce que nous possédons. Accumuler nous rend-il plus heureux ou cela nous aide-t-il à masquer le vide de nos existences ?

Love & Money (Amour/Argent) a été créée en 2006 au Young Vic Theatre de Londres et a depuis été montée dans plusieurs pays dont la France et les États-Unis. Fanny Britt signe ici sa troisième traduction d’un texte de Dennis Kelly, après avoir traduit pour La Manufacture les pièces After the end (Après la fin) et Orphans (Orphelins). La mise en scène a été confiée à Geoffrey Gaquère qui compte parmi ses réalisations Toxique au Théâtre d’Aujourd’hui et La Corneille au Rideau Vert.


Assistance à la mise en scène Stéphanie Capistran-Lalonde
Décor et costumes Marc Sénécal
Éclairages Martin Labrecque
Musique Philippe Brault

Tête-à-tête : Jeudi 11 avril

Carte Prem1ères
Cartes Prem1ères
Date Premières : du 1er au 5 avril
Régulier : 32$
Carte premières : 16$

Une production Théâtre Debout


La Petite Licorne
4559, avenue Papineau
Billetterie : 514-523-2246

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 Critique
Critique

par David Lefebvre


Crédit photo : Valérie Remise

Depuis quelques années, l’auteur anglais Dennis Kelly est relativement présent sur les scènes de la métropole. Après Orphelins (La Licorne, 2012) et Après la fin (La Licorne 2008, Espace Go 2010), le théâtre de la rue Papineau propose Amour/Argent (Love and Money), un texte du dramaturge datant de 2006. Traduit par Fanny Britt, le texte colle parfaitement aux productions théâtrales et télévisuelles que la Grande-Bretagne nous a servies récemment : « noir », contemporaines et très british dans son humour décalé et sa façon de dépeindre certains penchants d’hommes et de femmes ordinaires.

Dans Amour/Argent, Kelly explore la relation tumultueuse et implacablement illogique que l’humain entretient avec l’argent et le matérialisme, au détriment des autres et de sa propre dignité. Par l’entremise de quelques tableaux en ordre relativement antichronologique, on fait la rencontre de David qui échange par courriel, avec un flirt du travail, quelques messages de plus en plus engageants. La jeune femme, de retour dans son pays, veut en savoir plus sur lui, et le somme de parler de Jess, son ex-épouse. Si au départ il refuse, il finit par céder et lui raconte la tentative de suicide de celle-ci. Il lui confie alors son refus de la secourir, pire, lui explique comment il l’aide dans son trépas, y voyant un moyen de s’alléger d’une dette de plus de 70 000$ qu’elle a encourue et qui l’empêche, lui, d’avoir enfin accès à une Audi, un rêve longtemps convoité. Retour en arrière : c’est le récit du père et de la mère de Jess, outrés par le monument funéraire qu’un Grec fait construire à sa femme et qui fait de l’ombre – littéralement et au figuré – à la tombe et à la pierre tombale de leur fille. Puis, David qui supplie une ex-petite amie de lui donner du travail, ayant besoin d’argent ; un pimp fétichiste qui essaie d’amadouer une future proie ; Jess à l’hôpital, du sang sur les mains, qui raconte à David comment elle a tenté de sauver la vie d’un pauvre type qui s’est fait poignarder en pleine rue à cause d’un banal accrochage qui aurait causé le bris d’un téléphone cellulaire. David, pourtant, ne voit pas le geste humanitaire de sa femme, mais plutôt la raison pour laquelle elle se trouvait sur cette rue achalandée, loin de son parcours programmé : elle avait encore succombé à sa maladie, soit l’achat compulsif, qui ruine de plus en plus leur vie de couple.

Le texte de Kelly, quoique fascinant et empreint d’humour, s'interroge de manière plutôt sommaire sur cette pathologie à plusieurs branches qu’est la surconsommation et ses nombreux effets pervers sur la société occidentale. Il aborde ainsi la transformation des individus, des valeurs de société, des croyances religieuses et spirituelles : God is Money, « dis-moi combien tu dois, je te dirai qui tu es ». L’humour noir de l’Anglais brasse quelques tabous et fait réagir, mais l’impact de Amour/Argent ne va malheureusement pas plus loin, ne réussissant pas à ébranler nos convictions et nos habitudes de consommation. Si les différents tableaux qui se succèdent, souvent sous forme de confidences, posent un regard cynique, presque anthropologique sur le sujet principal du texte, c’est lors du dernier monologue, porté par une Marie-Hélène Thibault candide, touchante et sympathique, que nous nous voyons enfin interpellés et émus par la beauté brutale de ses pensées philosophiques.  Son personnage, Jess, réfléchit tout haut sur notre existence, sur le fait que nous soyons davantage que de simples chiffres ou résultats mathématiques. Métaphysique, son discours aborde le fait que nous soyons tous composés de particules d’étoiles ; elle s'interroge sur « l’intention derrière la création de l’univers » et, conséquemment, que nous soyons autre chose que de simples hasards de la nature. Elle s’agite en pensant à son amoureux, David, qui vient de la demander en mariage, que les mots entre eux sont nécessaires seulement parce que la télépathie n’existe pas et qu’il faut baiser pour se rapprocher le plus près possible de l’émotion qui les unit. Une finale qui frappe au coeur, connaissant le destin de cette jeune femme éprise et profondément humaine. Une tristesse qui nous envahit soudainement, parce que nous comprenons, et nous haïssons cette soudaine lucidité.

Geoffrey Gaquère opte pour une mise en scène plutôt épurée, laissant toute la place aux mots de l’auteur. Peu d’effets superflus, jeu statique, monologues souvent dirigés vers le public ; le tout est d’une belle efficacité, permettant de savourer le jeu des comédiens qui doivent parfois user de finesse pour que certaines répliques et réparties restent tout aussi justes que cinglantes. Isabelle Roy, en patronne et ex-copine caustique, Benoit Dagenais (père) et Danielle Proulx (mère) s’avèrent, lors de ces moments, excellents.

Dystopie lucide et cruelle, Amour/Argent se veut tout aussi simple que percutante. Dommage que le texte ne fasse preuve de plus de poigne ou de dérision pour que nous savourions le malaise de se retrouver face à ce miroir, peut-être déformé, qui refléterait notre conscience collective et notre manière de vivre et de consommer.

03-04-2013