Les traditionnels Contes urbains sont de retour à La Licorne pour une 17e édition. Une nuit du temps des fêtes. Réunie dans une voiture, une famille va son chemin à la rencontre de son destin. L’un après l’autre, les sept membres de la tribu, de différentes générations, nous racontent le Noël qu’ils ont vécu à l’âge de sept ans, un âge où la magie opère encore.
Pour souligner le 20e anniversaire du Théâtre Urbi et Orbi, Yvan Bienvenue, père des Contes urbains et grand manitou de cette tradition de Noël, signe tous les textes de cette édition.
Illustration Stéphane Poulin
Régie Sonia Lamontagne
Éclairages Matthieu Gourd
Musique Eric Assward, Charles Papasoff et Harry Standjofski
Une production Urbi et Orbi
par David Lefebvre
Pour célébrer les 20 ans du Théâtre Urbi et Orbi, qui a vu naître les Contes urbains il y a de cela 17 ans, Yvan Bienvenue désirait, pour cette édition des Contes, ramener la formule pourtant éprouvée et reconnue à ses origines : déthéâtraliser la mise en scène, s'éloigner du monologue pour revenir à des histoires relatées à la troisième personne du singulier ; quitter le récit personnel pour renouer avec « l'observateur », le collectif inclusif plutôt que l’individu. Pour ce faire, et pour le plaisir aussi, Bienvenue signe cette année les sept contes, et tente, pour ce qui semble être une première, de mémoire de critique, de créer un lien entre les récits.
Nous faisons la connaissance des grands-parents maternels et paternels et des parents de Gabriel, 7 ans. Tous à bord d'un minivan, ils sont en route vers la messe de minuit. Tous se remémorent la veille de Noël de leur 7 ans respectif : la mort d'un grand-père qui, rendu dans son cercueil, ne voulait pas fermer les yeux ; l’observation d’une scène peu banale entre une femme, son frère et un homme qu’elle a épousé par obligation, cloué au lit, qui laissera des séquelles ; la vengeance de gamins envers la propriétaire d'une confiserie qui les volait ; la mort d'une soeur dans d'étranges circonstances, après la découverte d'un drôle de cocon ; la rencontre d'un garçon et d'un vieux voisin, amoureux des bouquins et des mots ; les péripéties d'une quinzaine de kids tirant une dinde invisible entre le marché Maisonneuve et la rue Létourneux et, finalement, l'accident du minivan qui aura failli coûter la vie au petit Gabriel et à sa famille. Bref, bienvenue au coeur de sept petites histoires de sept hommes et femmes âgés de 7 à 77 ans – un chiffre marquant, qui reviendra sans cesse au cours de la soirée.
Proposant Guy Vaillancourt, France Rolland, Vincent Magnat, Émilie Gilbert, Stéphane Jacques, Joël Marin et Harry Standjofski, le programme était définitivement alléchant. Pourtant, Bienvenue ne relève qu'à moitié le défi. On connaît l'écriture parfois salement poétique et urbaine, parfois touchante ou hilarante de Bienvenue ; l'auteur démontre encore une fois tout son talent de tailleur de récits, de tricoteur de destinées. Il nous transporte aux quatre coins de la ville, d'un quartier ouvrier à celui du Plateau-Mont-Royal, d'une famille aisée à une famille pauvre, de l’hommerie à la diablerie. Mais, tout comme la bouffe du Réveillon, l'excès ruine le plaisir. Ici, l'auteur semble régler des comptes avec la religion catholique, apostrophant ici le curé (pédophile), là le pape (qui a tous les pouvoirs, et ce, devant Dieu), là encore la croyance, et ce, sans aucune subtilité. La blague devient message enflammé et trop appuyé. Même chose côté sexe : si Bienvenue s'amuse à balancer à la face du public des mots souvent crus ou à créer des personnages secondaires flirtant avec la perversité - l'un encule des statues, mourant d'une éclisse « dans la graine », l'autre est une pute jouissant simplement à voir l'engin parfait d'un homme laid à mourir, l'autre encore perd son membre qu'on se passe de génération en génération - on s'approche de l'obsession. Certes, plusieurs allusions et passages font rire, puisque franchement drôles, mais l'abondance tue le sujet, assassine l'humour, dénature le regard social ou humoristique sur la sexualité et fait soupirer bon nombre de spectateurs. Plusieurs d'entre eux, lors de la première, ont quitté le théâtre lors de l'entracte, laissant plusieurs sièges orphelins ; personnellement, en 12 ans de couverture des Contes urbains, c'est la première fois que je suis témoin d'une telle situation. Il faut en convenir, cette traditionnelle soirée de Urbi et Orbi n'est pas pour tout le monde ; pour preuve, le départ, l'an dernier, à quelques jours d'avis, de l'une des participantes qui était en désaccord avec le contenu d’un des textes. Pourquoi tomber dans la surenchère et la répétition inutile de mots et de situations explicites ou carrément haineuses ? Est-ce que la présence d’une seule parole, une seule ligne de pensée, plutôt que la proposition de sept ou huit univers différents, peut être la cause de cette situation ? Est-ce que le désir d’homogénéité, qui aurait pu devenir l’un des éléments les plus forts de la création, joue malheureusement contre celle-ci? Pourtant, la prémisse de plusieurs contes, sinon de la totalité de ceux-ci, est originale, riche, intrigante. Le spectacle recèle de nombreux clins d'oeil à la littérature populaire, au monde télévisuel, à la politique ; dommage qu'ils soient noyés par le sexe et la religion.
La première partie démarre en lion, grâce à un conte cru et sincèrement comique, mais se termine avec un sentiment de déception, laissant un goût amer au début de l'entracte ; l'écriture se veut, au cours de cette partie, de moins en moins touchante, rassembleuse, voire intéressante, et certains comédiens ont de la difficulté à être de réels conteurs, à se laisser aller à cette connexion unique avec le public. À différents niveaux, certains demeurent dans leur zone de confort, récitant un texte appris, incorporant quelques répliques de connivence un peu forcées pour mieux faire passer cette faiblesse. Espérons qu’avec le temps, cette lacune se corrige pour que se concrétise le « retour au conte » que Bienvenue désirait retrouver. Heureusement, la deuxième partie, que Stéphane Jacques entame de façon parfaite, grâce à son talent indéniable de conteur et au contenu du récit qu'il livre, soit la rencontre simple et touchante d'un vieil homme et du petit Émile, 7 ans, suivi par l'intense et hilarant Joël Marin, rachète sensiblement le spectacle.
L'extraordinaire saxophoniste Charles Papasoff est de retour pour les intermèdes musicaux traditionnels, flanqué de l'excellent guitariste Éric Asswad et d’Harry Standjofski, un habile musicien qui joue aussi le rôle de narrateur. Si ses premières interventions se veulent poétiques, elles n’amènent, au final, que peu ou sinon rien de pertinent à l'ensemble, ne donnant, par exemple, aucun indice sur les passagers de la fourgonnette, sujet principal de ses interventions. Une bonne idée, qui aurait été mieux servie par un texte légèrement moins abstrait et plus instructif, s’assurant ainsi de l’attention du public et permettant à celui-ci d’avoir accès plus rapidement aux liens (tragiques) qui unissent les membres de cette famille, mentionnés en totalité seulement lors du dernier conte. À noter, les musiciens sont mieux intégrés à la scène, partageant la moitié de celle-ci avec les conteurs, plutôt que d'être coincés dans un coin.
Malgré un concept s’efforçant d’être plus près des origines des Contes urbains tout en se voulant différent et original grâce au fil familial rassembleur entre les contes, cette édition ne convainc pas complètement et ne marquera pas les esprits – ou alors, de bien différente façon. Néanmoins, la formule globale fonctionne toujours, et le public, averti, saura y trouver largement son compte et passer une très bonne soirée.