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Du 15 janvier au 23 février 2013*, du mardi au jeudi 19h, vendredi 20h, samedi 16h
PerversPervers
Présenté à la Grande Licorne
Texte Stacey Gregg
Traduction Catherine Léger
Mise en scène Philippe Lambert
Assistance à la mise en scène Catherine La Frenière
Avec Mikhaïl Ahooja, Micheline Bernard, Stéphanie Labbé, Sarah Laurendeau, Frédéric Lemay, Christiane Proulx et Marie-Hélène Thibault

À partir d’événements se déroulant dans sa communauté, Gethin, jeune diplômé en études cinématographiques, veut faire un film documentaire sur la perversité. Pour repousser les limites de son projet et pour nourrir le concept dont il rêve, il fait courir de fausses révélations sur lui-même. Mais bientôt la rumeur s’emballe et son expérience de création cinématographique prend vite des proportions insoupçonnables, ouvrant la porte aux fantômes du passé et à des débordements hors de son contrôle.

Écrit avec des dialogues rythmés et un humour qui atteint sa cible, ce premier texte d’une jeune auteure irlandaise nous parle de la perte de l’innocence, des blessures non cicatrisées de l’enfance, d’amitié brisée, du rapport des jeunes à la sexualité et à l’intimidation ainsi que des dommages collatéraux qui peuvent être causés par manque d’empathie. Est-ce que la liberté de création doit l’emporter sur toute considération, peu importe les conséquences ? Pervers nous raconte également les dérapages causés par une utilisation abusive des technologies et l’invasion possible de nos vies privées par ceux qui sont en autorité.

Créé en juin 2011 au Abbey Theatre de Dublin, Pervers est présenté pour la première fois dans la traduction québécoise de Catherine Léger. Philippe Lambert, qui a également dirigé Rearview (2011) et Midsummer (2012), assure la mise en scène de cette production du Théâtre de La Manufacture.


Décor Patricia Ruel
Costumes Magalie Amyot
Éclairages André Rioux
Musique Alexi Rioux
Accessoires Valérie Létourneau-Prézeau
Direction artistique du spectacle Jean-Denis Leduc
Photo Rolline Lapointe

*La pièce sera présentée avec surtitres anglais les vendredis 1er, 8, 15 et 22 février

Tête-à-tête : Jeudi 24 janvier

Une production Théâtre de la Manufacture


La Grande Licorne
4559, avenue Papineau
Billetterie : 514-523-2246

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 Critique
Critique

par Pascale St-Onge


Crédit photo : Suzane O'Neil

La pièce de la jeune auteure irlandaise Stacey Gregg, Pervers, s'inscrit parfaitement dans un désir clair de perturber et bousculer nos idées et valeurs citoyennes. Gethin (Mikhaïl Ahooja), un étudiant en cinéma, s'intéresse au cas du désormais malheureusement célèbre « Bob-le-pédo » de son quartier. Accusé à tort ou réellement coupable? Dans tous les cas, le mal est fait simplement parce que l'entourage a supposé qu'il avait commis l'irréparable et le jugement qui s'en suit, bien qu'il puisse être innocent, a détruit sa vie. Gethin tente le tout pour le tout en se lançant de ce qu'il croit être le film-documentaire d'une vie ; il demande à sa petite soeur (Stéphanie Labbé) de faire courir une rumeur contre lui. Précisément laquelle, il n'en sera jamais question, mais les débordements sont si immenses que le jeune cinéaste y risquera beaucoup.

Il est curieux de voir à quel point la pièce se développe doucement, comment la graine de réflexion pousse lentement dans notre esprit alors que la rumeur qui court, elle, court dangereusement vite pour l'ensemble des personnages. Philippe Lambert signe une mise en scène fidèle à son parcours (Midsummer, Les Points Tournants) et réussit à nous faire douter de notre opinion de départ du personnage grâce à quelques scènes particulièrement bien dirigées. Dans un décor inspiré des villages ouvriers britanniques, l'excellente distribution se démène avec des dialogues grinçants et généralement teintés d'un humour fort efficace. La distribution, fortement constituée de jeunes comédiens de la relève (dont l'excellente Stéphanie Labbé en jeune soeur adolescente désabusée), impressionne malgré certains moments un peu trop caricaturaux.

L'intérêt de cette pièce repose sur ses thématiques, abordées sans gêne et avec une perspective rarement utilisée. La perversité présente ici son paradoxe; dans une société où l'on dit des jeunes qu'ils sont sujets à l'hypersexualisation, les déviances demeurent toujours (si ce n'est pas plus) inappropriées et même sans preuve tangible de l'acte déviant, la supposition de celui-ci demeure un sujet sensible. La rumeur, tant qu'à elle, prouve ici qu'elle fait bien plus de mal lorsqu'elle n'est que rumeur plutôt que lorsqu'elle est confirmée. Celle-ci est vue par deux générations différentes; les deux mères complètement inquiètes face à cette rumeur et les jeunes, carrément cruels entre eux qui iront plus loin, simplement pour se protéger eux-mêmes. Et finalement, jusqu'où l'art peut-il aller? La liberté d'expression perd ici son droit lorsqu'elle entrave ce que les gens peuvent voir ou entendre. Non, il ne faut pas faire de film sur la pédophilie. Non, il ne faut pas se mettre dans la peau de, même pour essayer, même pour dénoncer les accusations prématurées. Visiblement, Stacey Gregg nous prouve qu'il y a des sujets auxquels « il ne faut pas toucher », même en 2013.

Si l'ensemble de la pièce nous captive à plusieurs niveaux, un problème majeur nous surprend dans les toutes dernières minutes du spectacle. La finale dégonfle et gâche tous les questionnements nés de la pièce et nous fait soudainement oublier tous les soubresauts et angoisses que nous avions face au sort visiblement perdu du personnage de Gethin. Ce qui se dessinait comme un point de non-retour s'avère à subir un revirement de situation aussi magique et invraisemblable qu'un ex machina. On ne sauve pas seulement la situation entière, mais on protège carrément le public puisqu'il n'a plus à s'en faire avec la responsabilité de l'acte créatif, un thème abordé de front dans la pièce.

Pervers nous surprend, nous pousse à la réflexion à plusieurs niveaux. C'est une proposition très forte et tendue que nous offre le Théâtre de la Manufacture, bien que conventionnelle au niveau de la présentation. Stacey Gregg est assurément une jeune auteure à surveiller par ces dialogues sans détour et ses thématiques affreusement justes et pertinentes pour notre société actuelle. Un bon moment de théâtre, un moment instructif pour le citoyen. Chapeau.

20-01-2013