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Du 6 au 9 février 2013, mercredi et jeudi 19 h vendredi 20 h samedi 16 h et 20h
tout courtThéâtre Tout Court X
Présenté à la Petite Licorne
Direction artistique Serge Mandeville et Véronick Raymond

L’idée est simple : dans une ambiance de cabaret décontractée, de jeunes acteurs de la relève et des acteurs d’expérience présentent de courtes pièces d’une durée d’environ 10 minutes. Théâtre tout court, c’est un banc d’essai où sont joués des textes efficaces, tantôt surprenants, tantôt drôles, souvent créés pour l’événement, mais aussi issus du répertoire américain. Chaque série de représentations est différente. Venez les découvrir !


Liste des pièces de février 2013

Minuit Kevin, texte David Leblanc, m.e.s. Samuël Côté, avec David Leblanc et Anne-Hélène Prévost;
Que des secondes…, texte Élisabeth Locas, m.e.s. Luc St-Denis, avec Élisabeth Locas;
Un instant de plaisir [A second of pleasure], de Neil LaBute dans une traduction et une mise en scène de Serge Mandeville, avec Marie-Ève Bertrand et Serge Mandeville;
Veille de guerre, texte Maxime Desjardins, m.e.s. Édith Arvisais, avec Vincent Fafard et Maxime Desjardins;
Le troisième rôle, texte et m.e.s. Mathieu Quesnel, avec Nicolas Chabot, Amélie Dallaire et Ève Lemieux;
Pélagie, texte et m.e.s. Amélie Dallaire, avec Amélie Dallaire, Serge Mandeville, Alice Pascual, Martin Desgagné, Vincent Fafard, Nicolas Chabot
L’autrui, courte pièce, née d’une longue (Les Truies se plaignent), texte Ève Lemieux, m.e.s. Maxime de Munck, avec Olivier Rousseau;
Rachel [counting Rita], texte Patrick Gabridge, traduction Véronick Raymond, m.e.s. Serge Mandeville, avec Mylène Bérubé et Véronick Raymond;
Je pense donc je sue, texte Michel Monty, m.e.s. Emmanuel Schwartz, avec Michel Monty et Alice Pascual;
Dans la peau du personnage, texte de Patrick Senécal, m.e.s. de Véronick Raymond, avec Stéfan Perreault et Martin Desgagné;

Une production Groupe Théâtre tout court


La Petite Licorne
4559, avenue Papineau
Billetterie : 514-523-2246

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 Critique
Critique

par David Lefebvre

Fondé il y a quelques années déjà, Théâtre tout court, ce laboratoire-banc d'essai pour des auteurs, amateurs ou professionnels, des comédiens ou des metteurs en scène d'expériences diverses, a grandi, évolué, passant de L’Espace La Risée de la rue Bélanger à la Petite Licorne. Avec dix éditions au compteur, ce projet de Serge Mandeville et Véronick Raymond conserve malgré tout son côté expérimental et de douce folie, mais avec une direction artistique de plus en plus aguerrie et une réputation qui n'est plus à faire.

Pour cette édition de février, l'équipe de création a reçu 66 textes ; huit ont été retenus, ainsi que deux traductions - des textes des Américains Neil LaBute, un habitué de cette production, et Patrick Gabridge. Mandeville et Raymond se sont amusés, pour célébrer cette édition spéciale, d'ajouter une contrainte : que le chiffre 10 se retrouve quelque part dans le texte. S'il est plaisant, tout au plus, de trouver ledit chiffre, son utilisation ne rivalise malheureusement pas d’imagination ou de créativité. Par contre, un fil invisible joint directement ou non ces dix essais de manière étrangement passionnante : le sentiment de tromperie, ou de trahison, se reflète au travers de chaque histoire.

La représentation commence par Minuit Kevin, qui met en scène une femme (Anne-Hélène Prévost) délaissée le soir de Noël par son mari (David Leblanc) qui accueille chez elle un homme blessé à la tête. Si le texte de Leblanc manque peut-être d’originalité, jouant avec le cliché de la boucle temporel, le départ n’est quand même pas raté, loin de là. Le ton un peu étrange de cette rencontre et l’humour dont fait preuve Anne-Hélène Prévost mettent la table pour le reste de la soirée. Elisabeth Locas suit avec un solo beaucoup plus sombre, incarnant une femme empreinte de souffrances, trahie par son corps, qui ne désire que ressentir, encore une fois, avant le grand départ, une parcelle de bonheur et de jouissance. Le corps de la comédienne, tordue, tendue, comme une marionnette dont on coupe un à un les fils, touche l’âme et le cœur. Marie-Ève Bertrand et Serge Mandeville interprètent un couple clandestin, qui quitte la ville pour un week-end à la campagne. Mais la femme, ayant ressenti pour la première fois depuis des lustres une étincelle d’amour pour son mari, décide d’être honnête avec son amant. Cet instant de plaisir n’est peut-être pas la meilleure courte forme de LaBute, mais offre quelques bonnes tirades. Le texte de Maxime Desjardins, Veille de guerre, est possiblement le plus jouissif de la soirée. L’auteur et son complice de scène, Vincent Fafard, s’en donnent à cœur joie dans le rôle de deux joueurs investis de RPG grandeur nature, dont l’un a décidé de quitter son groupe de gobelins pour embrasser celui des elfes. Totalement geek sans être nébuleux, le texte est d’un humour imparable, possiblement comme le sort d’un mage très puissant. Dans Le troisième rôle, Mathieu Quesnel s’amuse à mettre en scène un comédien (sympathique Nicolas Chabot) anxieux, réfléchissant trop sur les deux mots qu’il doit dire à la caméra. Répétant avec la pauvre comédienne principale de la série télé (Amélie Dallaire) qui ne peut lui refuser son aide, il verra le showbizz s’occuper de son problème de manière plutôt drasconienne.

Pélagie, d’Amélie Dallaire, est certainement la proposition la plus curieuse de la soirée. Une comédienne doit arrêter de jouer car ce n’est pas son tour ; elle se perd dans les coulisses, se baigne dans une piscine qui n’existe pas et rencontre un génie qui a une fixation sur les femmes enceintes. Divisée en quatre parties, la pièce légèrement surréaliste occupe les intermèdes entre les courtes pièces de la deuxième moitié de la représentation – une excellente idée. Dans le rôle de la jeune femme un peu perdue, Amélie Dallaire est délicieuse. Olivier Rousseau incarne, dans L’Autrui, un homme à la déficience sexuelle qu'il tente de comprendre. Ni totalement attiré par les femmes, ni par les hommes, il se réfugie finalement dans la maison de sa mère (et dans ses robes), décédée lors d’un accident de voiture. Sous la forme d’un monologue, ou plutôt d’une longue confidence, la pièce contraste par rapport aux autres textes, mais peut-être grâce à sa durée, accroche et se démarque du lot. Assise à une table de restaurant, Rachel (Véronick Raymond) discute avec sa meilleure amie. La conversation est ponctuée de petits clics provenant d’un compteur que Rachel tient en main, et ce n’est pas pour calculer les bons moments ensemble… De facture réaliste, la pièce de Gabridge - surtout la réaction de Rachel - pourrait faire plaisir à bien des filles qui se sentent lésées ou trompées. Toujours fidèle à lui-même, Michel Monty aborde l’amour et le sexe dans Je pense donc je sue, où un professeur de philo de près de 50 ans (Monty) s’entiche aveuglément d’une de ses élèves (excellente Alice Pascual) avec qui il a une aventure. Il veut tout abandonner pour elle, ayant senti une flamme vivante, une connexion, alors que de son côté, elle n’a que « baisé avec un vieux ». Mordantes, drôles, cinglantes, les observations des différences entre les deux générations – la signification des mots et des relations intimes, par exemple – s’avèrent justes et la répartie de la jeune femme est simplement jubilatoire. Si le théâtre d’horreur est peu présent sur nos planches, les amateurs seront ravis d’assister à une courte pièce de l’auteur des Sept jours du Talion et autres Vide et Hell.com, Patrick Senécal. Un écrivain (Martin Desgagné) séquestre un critique littéraire (Stéfan Perreault) qui lui est souvent défavorable. Ce dernier aurait écrit, à propos du plus récent roman de l’auteur, que le lecteur ne ressent pas la souffrance des personnages. Pour s’améliorer, l’homme de lettres décide alors de demander au journaliste de le tabasser, pour pouvoir décrire de la façon la plus authentique possible la douleur que l’on peut ressentir. Mais connaissant Senécal, ça ne s’arrêtera pas là. Marteau, batte de base-ball, coups, dent perdue et sang figurent dans cette mise en scène sans concession de Véronick Raymond. À preuve, le cri sincère d’une spectatrice (oh my god!) qui était placée près de la scène lors d’un moment un peu intense lors de la première.

La courte pièce est une forme peu répandue au Québec, contrairement aux États-Unis où de grands auteurs s’y adonnent allègrement. Elle permet pourtant d’expérimenter, de créer des univers uniques, de proposer des personnages tout aussi singuliers qu’ordinaires, ou des situations particulières sans sentir l’obligation de creuser incessamment le sujet, et ce, au profit de l’humour, de la déchirure, de l’horreur ou du « punch », quel qu’il soit. Cette édition de Théâtre tout court est solide dans son ensemble et très divertissante. Le choix des pièces est judicieux, et la disposition de celles-ci est bien balancée. Une très belle soirée, en somme, que nous offrent Serge Mandeville et Véronick Raymond, pour quelques soirs seulement. Longue vie à Théâtre tout court !  

07-02-2013