Aujourd’hui, en Angleterre. Des élections sont déclenchées et George Jones chef de l’opposition officielle, a enfin une chance d’accéder au pouvoir. La guerre électorale bat joyeusement son plein et l’équipe du Parti travailliste se démène. George est investi, mais sa fâcheuse tendance à être sincère et spontané en toute occasion pourrait causer des dérapages tragiques et plonger l’organisation dans un état de crise chaotique.
Thriller politique, L’absence de guerre nous transporte dans un monde politique étrangement semblable au nôtre : les conservateurs sont au pouvoir et le système parlementaire est pour ainsi dire le même. L’absence de guerre nous confronte aux imperfections de notre machine démocratique, à l’impossibilité d’être franc, passionné et spontané en politique. Pour les personnages comme pour les spectateurs, la question se pose : comment survivre à l’effondrement tranquille de notre démocratie ?
L’absence de guerre (The Absence of War), de l’auteur britannique David Hare, était présenté pour la toute première fois au National Theatre de Londres en 1993. Les Écornifleuses ont reçu plusieurs récompenses pour cette pièce qu’elles présentaient à Premier Acte en 2011, dont le Prix de la critique dans la catégorie « Québec ». Édith Patenaude a également reçu le Prix d’excellence des arts et de la culture pour la meilleure mise en scène.
Assistance à la mise en scène Caroline Boucher-Boudreau
Décor Gabrielle Arseneault
Costumes Maude Audet
Éclairages Jean-François Labbé
Musique Mathieu Campagna
Vidéo Vincent Champoux, Marilyn Laflamme
Régulier : 32$
30 ans et - : 22$
65 ans et + : 27$
Tête-à-tête : Jeudi 1er mai
Une production Les Écornifleuses
Dates antérieures (entre autres)
Du 8 au 26 novembre 2011, Premier Acte (Québec)
Du 5 au 30 novembre 2013, Trident (Québec)
par Élisabeth Dugas (Trident, Québec, 2013)
Le théâtre du Trident présente ces jours-ci, en collaboration avec Les Écornifleuses, Absence de guerre, de David Hare.
La pièce raconte l’histoire du chef du parti travailliste britannique, Georges Jones, et son équipe dans leur lutte contre la droite économiste, pour diriger l’État. Exposant les coulisses de la vie politique, depuis la folie du déclenchement des élections, puis pendant toute la durée d’une campagne électorale, elle démontre le travail sans relâche des partis politiques pour arriver à convaincre la population de voter pour eux. Un objectif d’autant plus difficile à atteindre, particulièrement lorsque l’homme se retrouve prisonnier de cette grosse machine dans laquelle tout mouvement est bien calculé et le naturel est étouffé.
À leur arrivée dans la salle, les spectateurs découvrent une grande scène entourée de sièges, même à l’endroit où devrait se trouver l’arrière-scène. Les gens devant se rendre dans la section opposée à l’entrée sont invités à monter sur la scène pour rejoindre leur siège de l’autre côté de la salle. À ce moment, quelques personnes portant le coquelicot rouge discutent déjà au centre de la salle. Ces dernières pourraient passer pour des spectateurs sans aucune difficulté, si ce n’était du caméraman qui les filme et des images d’eux projetées en direct sur des téléviseurs situés de chaque côté de la scène.
Après un moment, les comédiens prennent place pour assister à une cérémonie commémorative du jour du Souvenir, au cours de laquelle l’audience est priée de se lever pour observer deux minutes de silence. Un coup de feu plonge la salle dans un silence complet, jusqu'à ce que, doucement, un comédien dans la salle se mette à parler à un spectateur. Avant même le début du spectacle, le ton est donné.
Magnifiquement interprété par Normand Bissonnette, on ne peut que s’attacher au personnage de Georges Jones, un idéaliste sans grande éducation, fidèle, intègre et, avant toute chose, humain. Le comédien nous offre ici une prestation sans fausse note, parfaitement dosée et pleine d’authenticité. Sa superbe présence sur scène, particulièrement lors des moments les plus dramatiques, est à en faire dresser les poils sur les bras.
Pour ce qui est du reste de la distribution, le niveau de jeu est généralement excellent. Au cours de leur long périple électoral, chacun des personnages clés de l’entourage de Georges Jones vit un moment plus éprouvant, ce qui permet à certains comédiens, dont Israël Gamache, Vincent Champoux, Jean-Michel Déry, Marie-Hélène Lalande, Joanie Lehoux et Jessica Ruel-Thériault, de se démarquer. Le seul bémol, côté jeu, vient malheureusement de Laurie-Ève Gagnon dans le rôle de Lindsay Fontaine. Son interprétation offre peu de variations, certaines émotions manquent de profondeur et le ton qui sonne souvent faux.
Avec cette mise en scène impeccable, où le moindre détail est pensé et rien n’est laissé au hasard, Édith Patenaude a su rendre justice à toute la puissance du texte de David Hare. Avec les nombreux changements de décor, effets sonores et visuels parfaitement adaptés à chaque circonstance et la performance des comédiens, la mise en scène est complète, sans faille. Tout est réglé au quart de tour.
L’utilisation de capsules vidéo pour simuler des conférences de presse et de la caméra tout au long de la pièce, spécialement lors de l’entrevue télévisuelle, ajoute une seconde dimension très intéressante à l’action qui se déroule sous nos yeux et dans les coulisses.
La scène finale, un an plus tard au jour du Souvenir, est tout simplement superbe, avec une image très forte de Georges Jones seul, brisé, nostalgique, marchant sur des feuilles mortes vers la seule lumière qui l’éclaire encore.
Cette pièce est réellement un bijou de mise en scène. À voir absolument.
par Gabrielle Brassard (Premier Acte, Québec, 2011)
Plus ça change, plus c’est pareil, pourrait-on tirer comme conclusion de L’Absence de guerre, présentée au théâtre Premier Acte jusqu’au 26 novembre prochain. Surtout en politique, la trame principale de la pièce.
Ce monde d’hommes et de femmes qui prennent nos décisions de société, L’Absence de guerre nous y plonge littéralement, en nous y intégrant à part entière. Première scène : cérémonie du jour du Souvenir, à laquelle nous sommes conviés, en nous levant et en observant une minute de silence. Un personnage, comme plusieurs autres, se tient dans l’allée, entre les sièges, à côté des spectateurs. Il confie à l’un d’eux qu’il aime bien ce moment de recueillement. Mais ce silence est loin d’être à l’image du reste de cet objet théâtral inusité.
Dès passé cette accalmie du début, nous voilà plongés en plein cœur de Londres, dans les bureaux du Parti travailliste. À sa tête, un député, qui répond au nom de Georges (excellent Normand Bisonnette), autour duquel se démène toute son équipe. Tout y passe : les caucus avant l’entrée en chambre, la gestion de crise, la préparation de conférence de presse. Les réunions tard le soir, les réflexions sur le fonctionnement du Parlement, les stratégies de relations publiques, les frictions de bureau, une entrevue télévisée catastrophique (jouée avec brio par Jean-René Moisan, en journaliste insistant), les victoires, les défaites, bref, le monde politique comme si nous étions dans les coulisses de l’Assemblée nationale. La situation politique reste d’actualité ; des élections déclenchées précipitamment, sur toile de fond d’une crise économique, avec les conservateurs en tête…
L’histoire de L’Absence de guerre est bien ficelée ; les personnages sont authentiques - certains sont plus naturels que d’autres - et réalistes, et l’évolution du parti, à travers ses crises et ses minces moments de gloire, est intéressante à observer. Certaines longueurs cependant : quelques scènes de réunion auraient pu être coupées, ainsi que les nombreux allers-retours de tous les personnages pour montrer l’action incessante des bureaux d’un parti ; on comprend assez vite la dynamique. La mise en scène est axée sur la chorégraphie des acteurs : les décors sont simples, mais évocateurs du milieu politique. Des bureaux, un lutrin pour les discours, parfois des sofas, une table à café. Il faut s’atteler pour les bonnes deux heures quarante (avec entracte pause-café) que dure la pièce, constamment dans le mouvement et la réflexion intellectuelle.
Mais voilà l’une des forces cette œuvre, écrite par le Britannique David Hare : en plus d’une certaine intemporalité, et d’une similitude désarmante de la situation politique actuelle, même dans le contexte anglais, L’Absence de guerre nous porte à la réflexion des mécanismes politiques de nos sociétés, de cet univers parallèle qui se bat tous les jours pour nous convaincre de voter. Ce spectacle fait du bien à la tête, et malgré un certain aspect qui semble un peu brouillon parfois, le contenu en vaut le détour, et les acteurs, nombreux, sont d’une coordination admirable.