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Du 3 au 21 décembre 2013, du mardi au jeudi 19h, vendredi 20h, samedi 16h
Contes urbainsContes urbains
Présenté à la Grande Licorne
Textes Martin Bellemare, Sébastien David, Rébecca Déraspe, Annick Lefebvre, Julie-Anne Ranger-Beauregard et Olivier Sylvestre
Mise en contes Stéphanie Jacques
Avec Mathieu Gosselin, Rachel Graton, Hubert Lemire, Marie-Ève Milot, Hubert Proulx, Catherine Trudeau

Tradition incontournable du temps des fêtes, les Contes urbains reviennent, pour le plus grand plaisir de leurs fidèles spectateurs, avec une édition 2013 qui réserve un lot de surprises. Six auteurs d’une même génération prendront la parole pour raconter la ville comme eux la voient, dans un esprit festif, avec fougue et vigueur, dans un imaginaire qui leur est propre et qui fera trembler la terre entre un certain printemps et un « We Wish You a Merry Christmas ».

Yvan Bienvenue prête les clés de la maison à ces auteurs émergents l’espace d’un réveillon, et à Stéphane Jacques, cofondateur des Contes urbains, qui signe la mise en contes.


Illustration Stéphane Poulin

Régulier : 32$
30 ans et - : 22$
65 ans et + : 27$

Une production Urbi et Orbi


La Licorne
4559, avenue Papineau
Billetterie : 514-523-2246

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 Critique
Critique

par David Lefebvre


Catherine Trudeau, crédit photo : Urbi et Orbi

Osons d'emblée le cliché : le mois de décembre serait bien sage et orphelin sans les maintenant célèbres et courus Contes urbains présentés à La Licorne, et ce, depuis 18 ans déjà. Dix-huit ans, l’âge de la maturité. Vraiment? Six jeunes auteurs, désirant ardemment faire entendre leur voix unifiée, ont cogné à la porte d’Yvan Bienvenue qui les a accueilli et qui leur a ouvert du même coup ce magnifique espace de création que sont les Contes.

Avec une signature éprouvée, les Contes urbains allaient assurément être ébranlés, brassés, virés sens dessus dessous. Stéphane Jacques, un habitué, signe la mise en conte : dès l’entrée en salle, on sent tout de suite la coupure entre les précédentes éditions et celle de cette année. Séparée en deux, avec un espace de type cabaret au centre, des guirlandes et des flocons de neige géants en papier, la salle nous propulse bien loin du temps où seule une chaise s’offrait comme unique accessoire scénique. Du (re)nouveau aussi côté musical : le duo Viviane Audet et Robin-Joël Cool remplace les Éric Asswad et Charles Papasoff qui remplissaient les oreilles des spectateurs depuis un bon nombre d'années d'intermèdes musicaux de Noël remaniés à leur manière ; si Audet et Cool proposent des arrangements plus folk-country et quelques compositions, les interventions et les arrangements vocaux sont fragiles, manquant d’assurance, voire de pratique, pour réellement briller et enchanter les oreilles. Indéniablement, un détail qui se règlera au cours des représentations.

La soirée s’amorce avec un texte de Julie-Anne Ranger-Beauregard, s’étendant sur près de 400 ans. C’est Madame Renard, une fille du Roy habitant la Côte-des-Neiges, qui s’amourache d’un renard blanc, avec qui elle vivra enfermée, sans voir le temps altérer leur beauté ou leur fourrure. Le ton dramatique, poétique, et l’ambiance historique du récit livré par Rachel Graton renoue avec les récentes éditions des Contes urbains, qui se voyaient plus théâtraux, ou du moins plus près du jeu et de la courte forme que du conte. Hubert Proulx vient rapidement briser le ton, grâce à une anecdote d’une grande simplicité, celle d’un comédien entrant en scène, ne pouvant commencer sa partie sans avoir raconté l’étrange expérience qu’il vient de vivre dans la ruelle. Une rencontre qui lui rappelle ses 16 ans, au coin de la 10e et de la 80e à Charlesbourg, après un 24 décembre chez une amie d’école. Un moment d’arrêt qui l’avait fait réfléchir sur le bonheur. Sur quoi doit-on se baser pour savoir si on est vraiment heureux? Peut-on utiliser les mêmes balises à 16 ans et à 30 ans? C'est quoi, le bonheur ? Ici, semble-t-il, il ressemble à deux bières frettes et à une bonne nouvelle d’une blonde, reçue par texto.

La première partie se termine avec possiblement le texte le plus humoristique et vrai de la soirée. Signé par Rébecca Deraspe, Votre crucifixion est conté par une Catherine Trudeau terriblement en forme et en totale symbiose avec les mots de l’auteure, qui sont toutes deux mamans. Parce qu’il s’agit effectivement d’un texte sur la maternité : l’histoire d’une Vierge Marie, pas si vierge que ça, qui attend son petit Christ, crevant ses eaux un 24 au soir, noyant du coup la crèche sous le sapin, accouchant dans les bras du voisin habillé en Père Noël avec un couteau aussi large qu’une machette. Ça marque une enfance, ça. C’est l’histoire d’une Marie qui, deux ans plus tard, se promène avec son petit Jésus dans une pharmacie et qui se retrouve devant un « mononcle » bedonnant, tout de rouge vêtu, et qui voit son fils essayer de remonter le canal maternel, apeuré par cette vision. Éclate alors une crise d’hystérie majeure, que la pauvre maman ne peut contenir, devant témoins évidemment, jusqu’à la claque ultime qui voit la jeune mère crucifiée par les regards et les jugements des autres, mais surtout par elle-même. Des stigmates qui restent longtemps, que seul le petit, par le miracle de l’amour, arrive à guérir. Un regard bref, mais vrai, inspiré et hilarant sur la condition de mère d’aujourd’hui. Difficile de ne pas se sentir interpellés, même si nous n'avons pas de rejeton.


Mathieu Gosselin, crédit photo : Urbi et Orbi

Seule au piano, rejointe ensuite par le comédien Hubert Lemire, Viviane Audet entonne une version lente du plus grand succès des Weather Girls, It’s Raining Men, avec quelques paroles de Faith de George Michael. Avec douceur, Lemire nous commence son récit en nous parlant de Luc, son colocataire, de qui il avoue être amoureux. Mais Luc, d’une beauté électrisante, préfère s’enfiler les inconnus rencontrés en ligne, grâce à une application web sur son téléphone intelligent. Luc s’éprend pourtant d’un de ces inconnus, puis se fait larguer après deux mois et demi. Tout près de la veille de Noël, le personnage d’Hubert Lemire décide de cuisiner un repas comme « quand ils étaient petits », de manger et de boire jusqu’à exploser, ce qui semble sortir Luc de sa peine et de sa déprime. Poussé par la voix de sa grand-mère, il ose enfin avouer à Luc son amour, mais « certains rêves ne se réalisent jamais », malgré toute la bonne volonté. Un texte sur l’amour, la solitude, et les espoirs déchus.

Sébastien David parle aussi d’homosexualité dans son récit Ruby plein de marde, mais surtout d’enfant-roi et de sentiments judéo-chrétiens jamais réellement disparus de nos mentalités, comme cette tache plus sombre sur la peinture d'un mur, qui reste après avoir décroché un crucifix resté trop longtemps en place. Denis passe le Réveillon chez son copain Carl, se faisant présenter comme un simple ami. Mais la petite Ruby, six ans, semble en savoir beaucoup plus. Se déclare alors une guerre entre Denis et Ruby ; la petite s’amuse à faire la vie dure à Denis qui tente de se raisonner : elle n’a que six ans après tout. De sa verve singulière, Mathieu Gosselin offre un excellent moment, occupant bien l’espace entre les spectateurs attablés au milieu de la salle.

Si Ce qui dépasse d’Annick Lefebvre est d’abord un brin moralisateur, avec ses allusions directes à cette génération de trentenaire qui bouffe de la junk food et qui va au gym, en énonçant toute la nourriture préfabriquée que l’on achète à l’épicerie du coin au lieu de poursuivre la tradition des festins familiaux aux recettes qui se perdront à cause de notre manque de temps notoire, le conte se rattrape rapidement grâce à un décompte du jour de l’An des plus marquants. Chaque chiffre, crié entre deux noms d’accessoires Ikea qui meublent le condo de la jeune narratrice, évoque alors un souvenir de l’année, pigé dans la mémoire personnelle des dix personnes prenant part à la soirée, ou dans la mémoire collective ; et c’est là que le texte de Lefebvre frappe un grand coup, nous remettant en plein visage des événements bouleversants, ou en nommant haut et fort certaines personnes blessées ou disparues durant l’année ; un coup que quelques personnes auront du mal à encaisser sans sourciller. Un texte engagé, caustique, qui crée ainsi le fil d’Ariane de la soirée, rattachant tous les textes ensemble, sous les thèmes de la religion, de la société de consommation, du bonheur, de cette solitude vécue ensemble, de l’amour, et de la transmission.

On a déjà vu les Contes urbains plus trash, plus poétiques, plus touchants ; mais rarement on les aura vus si jeunes, si vibrants, si collés à l’actualité et si près des préoccupations de la société montréalaise.

03-12-2013