Dans un royaume de « clabord » et de mélamine en banlieue de Montréal habitent Aggripine et ses deux fils, Britannicus et Néron, ainsi qu’Octavie, la copine de ce dernier. La belle Junie, la blonde de Britannicus, emménage avec eux. Néron, avide de pouvoir, sacre Octavie dehors et envoie promener tout le monde. Il n’a qu’une idée en tête : posséder Junie et coucher avec elle. Et pour la suite, Racine prend le bord parce que ça ne le concerne plus vraiment, parce que, aujourd’hui, l’amour c’est autre chose qu’il y a 400 ans.
Steve Gagnon revisite à sa manière le Britannicus de Jean Racine pour nous présenter une version surprenante de ce classique. En dessous de vos corps (…) explore la question de l’amour qui donne lieu à des luttes de pouvoirs et des trahisons, mais aussi à l’amour obsessif et aux désirs vertigineux qu’il engendre.
Diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Québec, Steve Gagnon est l’auteur de La montagne rouge (SANG), pièce finaliste des Prix du Gouverneur général en 2011, et de Ventre, qui était créée à La Petite Licorne à l’hiver 2013. Ces deux oeuvres, ainsi qu’En dessous de vos corps (…), sont publiées aux éditions de L’instant même.
Assistance à la mise en scène Olivier Gaudet-Savard
Décor et accessoires Marie-Renée Bourget-Harvey
Costumes Jennifer Tremblay
Éclairages Caroline Ross
Musique originale Uberko
Régulier : 32$
30 ans et - : 22$
65 ans et + : 27$
Tête-à-tête : le jeudi 10 octobre
Une production La Manufacture
par Sara Fauteux
En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pas est le titre magnifique qu’a donné Steve Gagnon à sa version du Britannicus de Racine. Ici comme chez le tragédien classique, il est question de rivalités amoureuses et de passions destructrices, de celles qui exaltent démesurément les esprits et mènent inévitablement à la tragédie. Mais la tragédie est-elle possible aujourd’hui? Quelle place les passions d’une telle puissance peuvent-elles avoir dans nos routines contemporaines?
Voilà les questions que se pose Steve Gagnon en transposant le triangle amoureux entre Néron, Junie et Britannicus au milieu des Tim Hortons, des IGA, ou encore aux endroits où les enfants ont grandi en écoutant Watatatow… Telles sont les références avec lesquelles ils abordent leurs destins tragiques. Étrange décalage.
Décalage accentué par l’écriture singulière de Steve Gagnon qui, malgré qu’elle tombe trop souvent dans les clichés, ne laisse pas indifférente. Il s’agit d’une langue qui tourne en rond, une parole dont la répétition finement élaborée devient poésie piétinante. Il y a là une grande force, un talent d’écriture certain. Mais aussi un problème de dosage entre le brut et le racinien, le vulgaire et le noble. Ce mélange de grandiloquence, de familiarités, truffé de tics de notre langue moderne (genre, tsé, comme) crée un ton insaisissable qui ne fonctionne pas toujours très bien.
Bien qu’ils soient entourés d’électroménagers et campés dans une banlieue montréalaise, les enjeux de ces personnages nous semblent bien lointains. Seule leur sexualité exacerbée les ancre résolument dans une réalité moderne. Voilà une réponse intéressante lorsqu’on se demande comment la tragédie peut exister à l’aube du 21e siècle. Aujourd’hui, l’amour physique est-il le seul espace où l’être humain trouve encore la liberté de sombrer dans la démesure? L’appel du corps ouvre-t-il la voie à la violence et au désespoir tragique des passions dévorantes?
Malheureusement, les comédiens ne manient pas tous la force potentielle de l’écriture de Gagnon, ni la puissance de la sensualité de manière efficace. Et rien dans la mise en scène ou la direction d’acteurs ne semble vouloir améliorer les choses.
En effet, le travail de Gagnon manque de maitrise. Paradoxalement, sa mise en scène ne laisse aucune place à son propre texte. Ses comédiens déclament davantage qu’ils ne jouent. On perd toute la force du tragique en tentant de l’imposer avec un ton criard là où un peu de silence nous aurait donné la chance de capter ce qui se trame en profondeur. Les effets de mise en scène sont souvent maladroits et en voulant trop la souligner, on étouffe l’intensité.
Renaud Lacelle-Bourdon, franchement excellent dans le rôle de Néron, est le seul qui parvient à porter cette histoire à un niveau tragique. Il faut dire qu’il incarne définitivement le personnage le plus riche de la pièce (celle de Racine comme celle de Gagnon) et qu’il défend les passages les plus puissants du texte. Les autres personnages sont beaucoup moins développés et défendus par des comédiens dont le jeu est de loin moins solide et intéressant que celui de Lacelle-Bourdon.
Steve Gagnon a eu beaucoup d’audace de s’attaquer ainsi à réécrire Racine. Sa fougue est touchante, la puissance de sa langue admirable, son talent certain, mais les faiblesses de son spectacle nous empêchent de jouir du reste. Racine tire sa force d’un décorum et d’un ensemble de conventions ; il est certainement possible de les faire éclater, mais encore faut-il avoir une grande maitrise de l’œuvre. Maitrise qui fait défaut à Steve Gagnon.