Le 9 août 2008, un groupe de jeunes joue aux dés dans un parc de Montréal-Nord. Des policiers remarquent parmi eux la présence d’un individu ayant des antécédents judiciaires. L’arrestation dégénère et un agent ouvre le feu. Un jeune homme de 18 ans, Fredy Villanueva, est atteint mortellement. La bavure entraîne une émeute dans le quartier, puis l’ouverture d’une enquête publique. Mais sept ans plus tard, la mort de Fredy est toujours mal expliquée.
L’auteure Annabel Soutar nous présente ici le fruit de l’enquête rigoureuse qu’elle a menée sur cette affaire hypermédiatisée et sur les circonstances nébuleuses entourant la mort de Fredy Villanueva. Sa pièce documentaire nous éclaire sur l’impact qu’a eu ce drame sur la vie des citoyens et sur des questions d’actualité telles que le profilage racial, la violence policière et la difficulté d’intégration des immigrants.
Après avoir exploré l’histoire du conflit Percy Schmeiser/Monsanto dans Grain (s) en 2012, la dramaturge montréalaise et sa compagnie Porte Parole reviennent avec cette nouvelle histoire judiciaire. La pièce est mise en scène par Marc Beaupré, qui a récemment réalisé celles de Ce samedi il pleuvait, d’Annick Lefebvre, et de Caligula [Remix], une adaptation du texte d’Albert Camus.
Assistance à la mise en scène Jean Gaudreau
Décor, costumes et accessoires Elen Ewing
Éclairages Claude Cournoyer
Musique Yves Morin
Vidéo Frédéric St-Hilaire
Régulier : 32,25$
30 ans et - : 22,25$
65 ans et + : 27,25$
Tête-à-tête : jeudi 10 mars
Une production Porte Parole en codiffusion avec La Manufacture
Au cours des dernières années, l’auteure Annabel Soutar a accumulé les projets de théâtre documentaire coup-de-poing, sur lesquels elle travaille des années durant pour en offrir la vision la plus complète possible. Après avoir abordé les OGM (Grain(s)), l’effondrement du viaduc de la Concorde à Laval (Sexy Béton) et les réserves d’eau douce du Canada (Le partage des eaux), Soutar s’attaque maintenant à un sujet beaucoup plus controversé encore, celui des circonstances entourant la mort de Fredy Villanueva, tué par le policier Jean-Loup Lapointe en 2008.
Afin de reconstituer le mieux possible les faits entourant ce drame, l’auteure rapporte des témoignages provenant de courriels, de lettres et d’entrevues avec la famille Villanueva, des extraits du procès et des passages d’articles de journaux. Alors qu’elle a l’habitude de faire ses entrevues elles-mêmes, elle a plutôt dû se tourner vers des documents de nature publique, puisqu’elle s’est rapidement confrontée à une difficulté majeure, soit celle de trouver des gens qui accepteraient de donner ouvertement leur point de vue.
Avec Fredy, Annabel Soutar dépasse l’opposition manichéenne entre les deux camps qui s’affrontent dans l’opinion publique, celui des policiers et celui de la famille Villanueva. Bien que l’auteure revendique l’objectivité de sa démarche, elle illustre bien que ce qui devait être au départ une banale arrestation d’un groupe de jeunes pour s’être adonnés à des jeux de hasard dans un parc a pris des proportions inimaginables. Tout en remettant en perspective les conditions dans lesquelles l’arrestation a eu lieu – le climat chaotique de Montréal-Nord, la présence accrue des gangs de rue dans le quartier, la nervosité du policier qui a fait feu –, l’auteure montre bien que le traitement réservé aux jeunes issus de minorités ethniques est complètement différent de celui dont aurait bénéficié un « Blanc » ou un « Québécois ». Par des extraits du témoignage de Jean-Loup Lapointe au procès, Soutar met en relief un protocole déontologique déficient du corps policier, qui oppose le « nous » des policiers honnêtes au « eux » des jeunes délinquants de minorités malhonnêtes.
La création du spectacle Fredy a fait polémique autant chez les intervenants directs de l’événement que chez la population. Dans son souci de rendre compte fidèlement de tout son travail de recherche, Annabel Soutar a tenu à intégrer ces critiques dans son spectacle. La pièce se termine d’ailleurs par la lecture par Ricardo Lamour d’une lettre qu’il avait adressée à l’auteure il y plusieurs semaines, dans laquelle il expliquait son ambivalence face au projet de Fredy et sa peur que cela replonge l’entourage de Fredy Villanueva dans une tragédie encore trop sensible. Cette dimension autocritique du spectacle renforce la démarche de Soutar.
La mise en scène de Marc Beaupré donne toute la place au texte et au jeu d’acteurs. Les 562 personnages du spectacle sont interprétés par six acteurs, sans distinction pour leur sexe, leur âge et leur origine : Solo Fugère, Nicolas Michon, Iannicko N’Doua, Alice Pascual, Joanie Poirier et Étienne Thibeault. S’ajoute à eux Ricardo Lamour, un membre du comité de soutien à la famille Villanueva, qui préside le spectacle en interprétant le juge André Perreault. Sa posture d’arbitre dans le procès s’apparente d’ailleurs à celle à laquelle les spectateurs sont conviés dans la salle. Le décor consiste en une salle d’audience où se trouvent des rangées de chaises de bois qui se prolongent jusqu’à la première rangée dans la salle, manière d’inclure symboliquement le public dans le tribunal. Les comédiens portent des vêtements ordinaires, passe-partout, qui leur permettent de passer facilement d’un personnage à l’autre. Les accessoires sont évoqués par la gestuelle des acteurs. Seule une paire de chaussures Adidas trône au-devant de la scène, évoquant la lourdeur de l’absence du principal protagoniste de l’histoire.
À l’issue du spectacle, le public sort de la salle complètement bouleversé par la qualité de la pièce à laquelle il vient d’assister. Avec Fredy, Annabel Soutar prouve encore une fois que l’art peut être un éveilleur de conscience efficace. Le récit de la mort de Fredy Villanueva devient le point de départ d’une réflexion plus large sur la société québécoise et son rapport à l’autre. Pour poursuivre le dialogue, des rencontres avec les artistes sont d’ailleurs organisées après chacune des représentations.