Une femme, seule en scène. Elle danse la claquette et raconte. Elle se déchaîne. Elle se recroqueville sur elle-même et rentre en elle. Une femme aux prises avec un trouble de la personnalité limite (borderline). L’espace d’une nuit, nous sommes témoins de son combat contre les démons qui l’assaillent. Une femme abusée, une femme victime de pédophilie.
Dans un feu roulant d’images et de musique, Leslie Baker nous propose une incursion dans le monde de la prédation sexuelle et de la démence, dans ce solo à la croisée de la performance et du théâtre. Elle nous transporte avec d’humour dans une expérience sensorielle qui ne laisse personne indifférent.
Artiste multidisciplinaire qui a entre autres travaillé avec le réputé metteur en scène américain Robert Wilson, Leslie Baker se produira à La Licorne pour la première fois à l’invitation de Denis Bernard. Cette pièce, créée en 2010 au Edgy Challenge, a été présentée dans plusieurs festivals : New York Fringe, Summerworks de Toronto et Wildside à Montréal. Joseph Shragge, codirecteur de la compagnie de théâtre montréalaise Scapegoat Carnivale, signe le texte de la pièce en collaboration avec Leslie Baker.
Section vidéo
Création sonore Peter Cerone
Régulier 32,25$
65 ans et + 27,25$
30 ans et – 22,25$
Production The Bakery en codiffusion avec La Manufacture
Avec un titre aussi explicite que Fuck You! You Fucking Perv!, la production de la compagnie The Bakery laisse présager une pièce provocatrice au langage excessif. Sur la scène de La Petite Licorne, celle-ci surprend parfois par son traitement de la maladie mentale. Malgré une progression qui manque d’intensité, des moments saisissants ont suscité l’adhésion d’un public très attentif.
Très courte (moins d’une heure), la proposition bénéficie de la présence allumée de l’actrice Leslie Baker qui a collaboré avec l’auteur Joseph Shragge. Seule en scène, l’artiste multidisciplinaire raconte des pans douloureux de la vie de la narratrice qu’elle incarne. Cette dernière combat un trouble de la personnalité limite connue sous le nom de borderline et ses souvenirs d’abus sexuels durant l’enfance. Avec sa chevelure bouclée de couleur bleue qui bouge dans toutes les directions, à la manière de Sideshow Bob de la populaire émission Les Simpson, elle passe sans difficulté de la petite fille espiègle à la femme profondément meurtrie.
Sur le plateau quasi dépouillé se trouvent une petite chaise et une aussi minuscule table rectangulaire. Sur un écran en toile de fond, les gens de la salle peuvent suivre les pensées du personnage dans une traduction en français de Fanny Britt. Le ton des interventions de Leslie Baker se révèle souvent sarcastique, alors que fusent des blagues très cinglantes. Ou encore, une voix masculine intervient tout au long de la représentation. Elle explique, entre autres, les neuf étapes pour aider une personne schizophrène. À la huitième, elle mentionne de parler à un psychiatre, pour enchaîner sur la suivante qui recommande à la personne «perturbée» de se parler à elle-même. Les éclats de rire fusent à cette occasion, comme à plusieurs autres reprises durant le spectacle.
Quand elle s’avance, au début, avec ses habits de gamine malicieuse, la comédienne sait insuffler une certaine folie à un propos souvent traité dans la littérature québécoise (notamment dans les romans Borderline et La Lune dans un HLM de Marie-Sissi Labrèche) ou encore d’autres productions théâtrales d’ici et d’ailleurs (notamment Rendez-vous Gare de l’Est, à la salle Fred-Barry à l’automne 2015). Là où une œuvre scénique comme Fuck You surprend, c’est dans son traitement dramatique qui ne présente pas les troubles de personnalité de manière trop larmoyante. Par son humour acidulé, certaines des phrases arrivent même à dédramatiser ces enjeux toujours délicats. Par exemple, nous entendons une boite vocale demandant aux individus souffrant de dédoublement de personnalités multiples de composer les chiffres 3-4-5-6 en même temps. Dans cet esprit, le personnage apparaît lors de l’une des premières scènes (toutes très courtes, presque parfois des flashs) avec un grand sourire diabolique et un long élastique autour du cou, comme une créature d’un dessin animé qui s’apprête à sauter d’une falaise.
La création bénéficie d’une conception visuelle et sonore assez intéressante. À différentes reprises surgit un bruit violent qui ressemble à un craquement de glace ou de vitre, comme un écho à notre carapace extérieure qui, au final, se brise en mille morceaux. Quelques extraits de musique plutôt rock ponctuent aussi les états d’âme de l’héroïne. Sur un écran aux allures d’un tableau de la bourse défilent certaines des réflexions de la «malade», parfois en accélérées ou encore des données qui s’enchevêtrent les unes dans les autres. L’effet réussit à illustrer une folie qui devient ainsi une course effrénée contre la montre et, surtout, contre soi-même. Par contre, les répliques surtitrées en français sont inscrites en caractères trop petits, et souvent dans les coins. De plus, elles passent beaucoup trop rapidement, ne permettant pas toujours aux spectatrices et spectateurs qui ne maîtrisent pas parfaitement l’anglais de bien suivre le déroulement du récit.
L’une des faiblesses du spectacle demeure l’absence d’une progression dramatique significative. Construites souvent comme de petites séquences sans liens les unes par rapport aux autres, les scènes entraînent autant le rire que la réflexion sans déboucher toutefois sur un dénouement concluant. Rien de bien gênant en soi, mais des sujets aussi riches en potentialité que l’agression sexuelle et la santé mentale auraient gagné à approfondir encore plus ses pistes d’exploration. Ces thèmes ont déjà été vus ou entendus ailleurs, notamment ces dernières années dans le brillantissime solo La Robe blanche de Pol Pelletier qui abordait le viol d’une fillette par un prêtre.
Mais la plus grande réussite de ce Fuck You! revient à Leslie Baker qui s’investit avec générosité dans un rôle complexe, toujours en équilibre sur le fil d’un rasoir. Par sa voix et son corps qui plongent dans les extrêmes de la psyché humaine, la comédienne livre une prestation sentie. Elle intègre très bien le jeu physique (presque clownesque par moment) au stand-up comique (rappelant également l’humoriste états-unienne Sandra Bernhard). Lorsque les lumières s’éteignent, les applaudissements s’avèrent très chaleureux.