Béatrice souffre d’une maladie dégénérative. À un âge où les autres célèbrent la vie, elle se sait condamnée. Sa mère, Mme James, une avocate droite et rigide, voit d’un œil méfiant la relation amicale qui se tisse entre sa fille et Raymond, un jeune aide-soignant volubile qu’elle engage sous probation. C’est pourtant à travers la force fragile de ce dernier que Béatrice puise le courage de demander l’impossible à sa mère : mettre un terme à ses souffrances. Raymond devient vite l’intermédiaire pavant la voie au dialogue entre les deux femmes.
Mêlant l’humour impertinent d’une jeune fille qui n’a plus rien à perdre à la naïveté toute crue d’un professionnel attachant, ce huis clos empreint d’humanité aborde un sujet aussi sensible qu’actuel : le suicide assisté. Sans verser dans le tragique ni amoindrir la complexité du propos, la pièce entraîne le spectateur dans un questionnement sur les limites de l’empathie et nourrit la réflexion collective sur l’épineuse question de mourir dans la dignité.
Écrite par l’auteur britannique Mick Gordon, la pièce a été créée au Soho Theatre de Londres en 2010. Le Théâtre La Bête Humaine a créé Béa, en adaptation québécoise, au Théâtre Prospero en 2015. C’est Olivia Palacci, jeune actrice et metteure en scène, qui met en scène Béa, dans une traduction de Yannick Chapdelaine.
Texte Mike Gordon
Traduction Yannick Chapdelaine
en collaboration avec Suzanne Lantagne
Mise en scène Olivia Palacci
Avec Alexandra Cyr, Suzanne Lantagne, Yannick Chapdelaine
Crédits supplémentaires et autres informations
Assistance à la mise en scène Julie Tessier
Décor Clélia Brissaud
Costumes Cynthia St-Gelais
Éclairages Anne-Marie Rodrigue Lecours
Du lundi au jeudi 19h, vendredi 20h
Tête-à-tête : jeudi 26 avril
Régulier 32,25$
65 ans et + 27,25$
30 ans et – 22,25$
Une production Théâtre La Bête Humaine en codiffusion avec La Manufacture
critique publiée en 2015
Le Théâtre de la Bête humaine réussit en grande partie son baptême artistique avec une Béa relativement concluante dans la salle intime du Théâtre Prospero.
Le Québec et l’Irlande vivent une véritable histoire d’amour par les liens intrinsèques développés grâce aux similitudes entre leurs deux dramaturgies. La pièce de Mick Gordon s’inscrit dans cette mouvance par la mise à nu émotionnelle de ses personnages. Par contre, elle s’en distingue par son union pas toujours harmonieuse entre l’humour et le drame.
Traduite en français par Yannick Chapdelaine, l’un des comédiens de la production, Béa aborde un thème épineux, soit la mort assistée. Très actuel, le sujet fait régulièrement la manchette, entre autres au Québec, avec la Loi concernant les soins de fin de vie.
Durant deux heures sans entracte, nous entrons dans la chambre douillette d’une jeune fille clouée au lit, soit la Béa du titre. Paraplégique, elle ne peut que bouger ses lèvres pour exprimer ses besoins. Le récit ne mentionne jamais la cause des origines de son état. Ce parti-pris littéraire éloigne certaines lourdeurs ou effets mélodramatiques si tentants dans ce genre d’entreprise sauf pour les quelques scènes nostalgiques sur l’écran du téléviseur. Nous y observons Béa, alors une gamine en santé, cueillir des pommes avec son père, un être depuis disparu de sa vie. Sa mère avocate veut dénicher la perle rare pour prendre soin de son enfant. Elle tombe sur un curieux phénomène, Raymond, surnommé Ray, qui, sous des airs de grand dadais, permet à l’héroïne de se libérer de ses nombreux blocages psychiques.
La direction d’acteurs d’Olivia Palacci confère à ce drame une intimité palpable jamais hermétique qui rejoint rapidement et fréquemment le public tout au long de la représentation. Les rires fusent à de nombreuses reprises plus souvent que les sanglots refoulés. Ray et la mère se déplacent toujours d’un bout à l’autre de la chambre, donnant à l’ensemble un dynamisme perceptible sans une impression d’essoufflement. Certains passages deviennent presque des ballets chorégraphiques, entre autres lorsque la mère surprend son «employé» dans des situations pour le moins compromettantes. Par exemple, lorsque Ray revêt une robe aguichante et des talons hauts de Béa pour divertir cette dernière, Yannick Chapdelaine se révèle franchement hilarant.
Par contre, la mise en scène aurait pu faire confiance davantage à la force des dialogues. Trop souvent, les échanges se retrouvent noyés dans des chansons anglaises anecdotiques et peu inspirantes. Ils ralentissent l’accentuation de la charge émotive. Lorsque Béa et Ray se retrouvent en tête à tête pour des confidences sur un ton plus doux et des révélations de secrets longtemps enfouis dans leur psyché, la musique pop détonne par rapport à un propos qui exige encore un plus grand dépouillement. Pour le dénouement prévisible, mais amené avec beaucoup de délicatesse et de retenue, le silence qui émane entre les répliques des deux femmes donne l’opportunité aux actrices de creuser dans les abîmes du deuil, de la perte et du renoncement. Si la répétition du passage de l’enfance dans le pommier tend vers la complaisance, l’insertion d’un extrait d’une entrevue avec le philosophe français Frédéric Lenoir à l’émission Tout le monde en parle constitue un choix artistique d’une grande pertinence.
L’un des grands mérites du texte de Gordon demeure la faible présence de pathos ou d’emphase dans son traitement du suicide assisté. Mais l’équilibre entre la tragédie humaine et les innombrables séquences comiques (qui tombent parfois dans le burlesque) manque à l’occasion de nuance ou de dosage. À entendre les réactions de l’auditoire, on aurait pu se croire, par moment, dans une pièce de variété. Paradoxalement, la dédramatisation de la maladie rend la progression narrative plus ardue. C’est seulement durant les dernières minutes que le dilemme du destin de Béa surgit concrètement, à savoir la poursuite ou l’interruption de la souffrance. Par ailleurs, une version raccourcie, en raison des longueurs, ajouterait une tension supplémentaire.
Le trio d’interprètes s’acquitte sans anicroche de leurs partitions respectives. Dans le rôle-titre, Alexandra Cyr démontre l’abandon nécessaire à cette jeune fille prisonnière de son destin, bien que sa souffrance aurait dû être perceptible plus rapidement par petites touches avant la finale. Yannick Chapdelaine est fabuleux en aide-soignant verbomoteur à l’identité sexuelle ambiguë qui laisse peu à peu dévoiler les blessures de son passé. Suzanne Lantagne apporte très bien les dimensions antagoniques de cette mère d’abord hautaine, mais profondément forte et bouleversée alors que défilent les événements.
«On ne peut pas être défectueux toute une vie», entendons-nous dans la pièce Béa. Malgré les bémols, l’implication des artistes témoigne d’une ferveur ressentie face à une réalité aussi troublante que frontale.
Dates antérieures (entre autres)
Du 29 avril au 16 mai 2015 - Prospero