Une femme colorée, truculente, attachante, se livre à nous. Elle nous parle de sa rencontre avec le père de ses enfants dans une file d’attente d’aéroport, de l’amour fou qui s’ensuit, des hauts et des bas de son quotidien en tant que mère, de la place qu’elle s’est taillée avec audace comme productrice de films. Jusqu’à ce que son monde bascule de manière brutale. Elle nous entraîne alors dans tout ce que la vie – sa vie – a d’extraordinaire et de tragique, surtout quand le sol glisse sous nos pieds.
L’auteur aborde sans détour, toujours avec beaucoup d’humanité, le rapport qu’entretiennent les hommes et les femmes avec la réussite, le pouvoir et la violence. À travers son personnage - mu par une force franche qui l’empêche de s’effondrer - Dennis Kelly pose un regard lucide sur les plus sombres recoins de l’homme. Il s’interroge sur le besoin parfois maladif de contrôle qui détruit tout sur son passage et nous enjoint d’écouter, sans fermer les yeux, la parole de cette femme.
Après avoir présenté Après la fin et Orphelins, La Manufacture s’attaque à une nouvelle pièce de l’auteur anglais Dennis Kelly. Dans une traduction de Fanny Britt, qui connaît bien les mots de Kelly, cette pièce est portée sur scène par Marilyn Castonguay dans une mise en scène de Denis Bernard (OS La montagne blanche, Des promesses, des promesses). La pièce Girls & Boys était créée dans sa version originale au Royal Court Theatre de Londres en 2018.
Girls & Boys était créée dans sa version originale au Royal Court Theatre de Londres en février 2018, avant d’être montée en juin de la même année au Minetta Lane Theater, à New York.
Texte Dennis Kelly
Traduction Fanny Britt
Mise en scène Denis Bernard
Avec Marilyn Castonguay
Crédits supplémentaires et autres informations
Assistance à la mise en scène Marie-Hélène Dufort
Décor Olivier Landreville
Costumes Mérédith Caron
Éclairages Julie Basse
Musique Fanny Bloom
Tête-à-tête jeudi 23 janvier
Régulier 35,50$
65 ans et + 29,50$
30 ans et – 25,50$
Le prix de votre billet comprend les taxes, les frais de billetterie et il inclut un montant de 50 sous qui viendra appuyer notre travail de développement dramaturgique.
Une production Théâtre de La Manufacture
En 2018, Dennis Kelly crée la pièce Girls & Boys au Royal Court Theatre de Londres. Un peu moins de deux ans plus tard, à Montréal, Denis Bernard met en scène ce monologue sur la violence comme arme ultime du contrôle masculin. Pour transposer la langue crue et rythmée de Kelly en français, qui de mieux que Fanny Britt, qui signe ici sa cinquième traduction de l’auteur britannique.
Pour le premier solo de sa carrière, Marilyn Castonguay campe une femme drôle, forte et attachante. Pendant près de deux heures, elle captive les spectateurs qui restent pendus à son récit. Les premières scènes de la pièce prennent les allures d’un show de cabaret où la femme raconte avec un humour cru des anecdotes qui ont marqué sa vie, du pathétisme de ses expériences sexuelles trash à sa rencontre improbable avec le père de ses enfants dans une file d’attente d’aéroport. Le ton se veut léger et insouciant, mais quelque chose cloche. Or, la force du texte de Kelly est justement de manipuler le spectateur tout en lui fournissant tous les indices qui lui permettaient de voir venir la tragédie qui s’en vient. Parce sous ses allures de femme lumineuse et distrayante, celle qui s’agite sur scène porte une blessure inimaginable.
Le temps de deux heures, la salle de La Licorne devient une échappatoire pour l’héroïne, un espace neutre qui ne la rattache en rien à sa vie d’avant et dans lequel elle peut poursuivre son processus de guérison.
Alors que les médias ont souvent tendance à mettre l’accent davantage sur l’histoire de l’accusé que sur celle de la victime, Dennis Kelly donne une tribune à une femme qui, bien que brisée, fait preuve de résilience et de sagesse. Le texte ne tombe jamais dans la pitié ou dans le larmoiement. Il met plutôt à vue les mécanismes d’une violence ordinaire qui s’installe insidieusement entre l’homme et la femme. À plusieurs reprises, la narratrice raconte la fierté que sa réussite procure à l’homme avec lequel elle partage sa vie. Ce dernier l’encourage dans ses projets et vante son mérite à tous ses amis. De l’extérieur, le couple semble avoir réussi leur vie familiale, amoureuse et professionnelle. Toutefois, lorsque l’homme commence à éprouver des difficultés au travail, la réussite de sa femme suscite chez lui jalousie et envie. Lui qui semblait si empathique dans la première moitié de la pièce devient envahi par son besoin de contrôle. Ce n’est qu’alors que tous les signes avant-coureurs resurgissent dans la mémoire du spectateur qui comprend que l’horreur a déjà frappé.
Le temps de deux heures, la salle de La Licorne devient une échappatoire pour l’héroïne, un espace neutre qui ne la rattache en rien à sa vie d’avant et dans lequel elle peut poursuivre son processus de guérison. Dans son monologue, la femme explique d’ailleurs avoir ressenti le besoin de préserver une pièce de sa maison des souvenirs de son passé. Dans cet esprit, le décor d’Olivier Landreville, d’abord caché par des panneaux coulissants, se laisse découvrir tranquillement à mesure que la comédienne s’ouvre sur son intimité. Figé sur le mur du fond, il s’agit d’un salon on ne peut plus banal (fauteuil, table basse, lampe de chevet, cadres contenant des photos de famille) pour quelqu’un qui ne connaît pas la tragédie qui s’y est déroulée. Les éléments du mobilier fixés à la verticale donnent au public la possibilité d’avoir une vue surplombante sur l’appartement de la femme. Cette configuration est également au cœur de la scène finale à la fois sobre et émouvante.
Reste que la mise en scène comporte quelques maladresses. Le rapport entre la femme sur scène et le public à qui elle s’adresse n’est pas toujours très clair, ce qui fait que l’on se questionne parfois sur les motifs qui la poussent à se confier à nous. Le choix d’avoir recours à un jeu très expressif donne lieu à des scènes un peu clichées, notamment les passages où la narratrice se remémore la dynamique conflictuelle entre ses enfants et son exaspération devant leurs enfantillages. Ces scènes sont répétitives et reconduisent l’idée qu’une femme ne peut pas avoir une brillante carrière tout en étant une mère adéquate. Malgré tout, Les filles et les garçons donne la parole à une figure féminine intelligente et lucide, met en lumière le talent d’une excellente actrice, et permet de réfléchir autrement aux effets collatéraux des féminicides et des infanticides qui marquent trop souvent l’actualité.