Traqué par ses pensées, Hiki se terre dans sa chambre, bien décidé à ne plus en sortir. Reclus au sommet de sa tour étudiante, il ne verra pas le drame qui se joue plus bas et autour, pas plus qu’il n’entendra les ordres d’évacuation de son immeuble alors que l’eau monte et que sa résidence, son quartier, sa ville et son île s’enfoncent sous le niveau de l’eau. Puis, soudain, un poisson surgit d’une légende ; Hiki découvre que son sort et celui de l’île sont intimement liés...
Inspiré du phénomène social japonais de réclusion du même nom, Hikikomori nous propulse dans un univers fantastique où les échos du passé résonnent dans un monde moderne et surréaliste. La créativité visuelle côtoie la rapidité du vidéoclip et les jeux d’ombres se marient au théâtre physique. En portant un regard incisif sur notre société de surconsommation et de surcommunication, le spectacle dénonce la sombre réalité de l’indifférence et de l’isolement urbain et met en lumière notre besoin de contacts humains.
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Décor Érica Schmitz
Costumes Valérie Gagnon-Hamel
Musique, conception sonore Mathieu Campagna
Éclairages Martin Sirois
Conseillers au mouvement Philippe N. Jenny, Mathieu Cloutier, Andréanne Joubert
Photo : Nicola-Frank Vachon
Une création du Théâtre des 4 Coins
par David Lefebvre
Le Théâtre des 4 Coins de Québec envahit pour la première fois la salle de la Maison Théâtre avec son deuxième et plus récent spectacle, Hikikomori. Créé en 2009, cette pièce dite « moderne et surréaliste » aborde, pour le public adolescent, des thèmes résolument urbains, qui affligent les jeunes adultes de ce siècle un peu fou : pression sociale et scolaire, solitude et isolement, surconsommation, indifférence, réclusion. Le terme japonais hikikomori signifie d’ailleurs « cloitré », et désigne un phénomène social préoccupant de ce pays asiatique hyper performant où des milliers d’hommes et de femmes s’enferment et se coupent du reste du monde.
Sur une île fictive, Hiki, jeune homme de 19 ans, file rapidement vers ses cours. Il découvre, en suivant des oiseaux de papier pliés, que sa voisine dont il ne connaissait le nom jusqu’ici s’est suicidée en se jetant devant le métro. Cet événement ébranle Hiki, jusqu’à emplir sa tête de personnages divers – sa voisine Yoko, muette, aux milliers d’oiseaux origami cachant autant de réflexions philosophiques, un cycliste sortant du coma après un accident, vu aux nouvelles, et une animatrice vendant les mérites d’un Ab-roller. Terré dans sa chambre, tout en haut de la tour de la résidence universitaire, il est aux prises avec ces apparitions de plus en plus présentes. Mais l’île s’enfonce peu à peu sous les eaux de la mer. Hiki, qui n’a pas entendu les appels d’évacuation, se retrouve pris au piège, seul ; alors que ses fantômes finissent enfin par disparaître, ils sont remplacés par Namazu, un poisson-chat supportant de plus en plus mal sur son immense dos ce bout de terre surpeuplé. Pour sauver l’île, il a besoin de Hiki. Mais le jeune homme refuse d’être « le héros de sa propre histoire » et de voir qu’en lui, certains déluges ne sont que des marées qu’il faut dompter, au lieu de s’y engloutir et de s’y noyer. Heureusement, au bout du fil, Hiki tombe enfin sur Céleste, qui lui prouvera qu’au-dessus de sa tête, il y a des étoiles qu’on peut toujours suivre pour se retrouver.
Les quatre comédiens, Philippe Durocher (Hiki), Jean-François Hamel (le cycliste et Namazu), Sophie Thibeault et Laurie-Ève Gagnon, évoluent dans un environnement sombre et très peu coloré, exception faite du rouge cinglant de quelques costumes. L’espace de jeu est délimité par trois lignes de lumière, et les seuls accessoires sont un écran translucide et un praticable, sorte de plateforme mobile, que l’on déplace sans arrêt. Celui-ci permet de créer un lit, un lieu isolé, un mur, ou un écran de fortune pour quelques scènes de théâtre d’ombres – une technique qui mériterait une plus grande place au sein du récit, tant certaines idées sont bien amenées. La mise en scène à quatre têtes (Véronique Daudelin, Jean-François Hamel, Olivier Normand et Klervi Thienpont, qui signent aussi le texte), tout en étant hyper dynamique, physique, voire acrobatique par moments, nage trop dans l’abstrait pour réellement agripper et approfondir les sujets qu’elle tente d’explorer. L’univers scénique propose peu de chose de tangible : on navigue dans la folie sans y sombrer, restant plus près de la rage incomprise ; on vogue sur la solitude, sans jamais s’y abandonner. Le personnage d’Hiki arrive difficilement à faire comprendre sa propre réclusion ; les raisons pour lesquelles, au départ, il ne quitte plus sa chambre restent floues, malgré les indices de la mise en scène. Il manque une certaine clarté à l’entreprise pour mieux saisir les enjeux de la pièce et comprendre plus facilement la détresse chez le jeune homme. Le langage utilisé est très familier, relâché, incluant plusieurs jurons et sacres, ce qui peut accentuer l’effet d’association entre les jeunes spectateurs et le personnage de Hiki.
Quoi qu’il en soit, Hikikomori regorge d’idées intéressantes, autant dans l’énergie de la mise en scène, que les valeurs de la tradition, en passant par l’humour parfois surprenant lors de quelques échanges, ou les costumes, principalement celui de Namazu, personnage inspiré d’un mythe nippon, rappelant quelques estampes japonaises du siècle dernier qu’on aurait juxtaposé au style manga. On sent aisément au cœur de cette création toute la recherche et la passion des concepteurs pour les différents sujets, on perçoit tout le potentiel de cette histoire fabuleuse et contemporaine, mais il manque à Hikikomori une ligne directive plus concrète, plus sensible, pour vivre à sa juste valeur le désarroi de Hiki.