Énergique, intense et parfois même turbulent, ce spectacle de danse contemporaine revisite l’univers des Ballets russes d’une façon bien singulière. La chorégraphe Hélène Blackburn cherchait depuis longtemps à aborder cette période fertile de l’histoire de la danse, où des artistes ont rompu les codes chorégraphiques et musicaux d’alors. Elle trouve dans Le sacre du printemps des éléments propices à la création d’un spectacle pour adolescents, ces êtres traversant une période de la vie qui s’apparente aux mutations du printemps. Avec ses formidables interprètes et le compositeur Martin Tétreault, qui fait dialoguer la musique de Stravinsky avec l’univers des DJ, elle s’est amusée à revoir ce chef-d’œuvre pour en extraire toute la fougue et la passion du public auquel il s’adresse.
Superbe chorégraphie portée par la virtuosité de huit danseurs, Variations S expose tout le style d’Hélène Blackburn qui a fait sa renommée. Une œuvre puissante !
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Éclairages Andréanne Deschênes
Vidéo Dorian Nuskind-Oder
Costumes Hélène Blackburn, en collaboration avec les danseurs
Scénographie Hélène Blackburn
Crédit photo : Damian Siqueiros
Une création de la compagnie Cas Public
En coproduction avec la Tanzhaus nrw de Dusseldorf, le Théâtre du Bic et l'Agora de la danse.
par David Lefebvre
La compagnie Cas Public présentait en 2001, à la Maison Théâtre, le premier spectacle de danse de la chorégraphe Hélène Blackburn destiné aux adolescents, intitulé Nous n’irons plus au bois, une suite de tableaux abordant différentes peurs liées à l’enfance. Elle revient une dizaine d’années plus tard sur la scène du magnifique théâtre de la rue Ontario avec Variations S, qui propose une relecture de l’emblématique ballet russe Le sacre du printemps. Monté pour la toute première fois il y a cent ans à Paris, le spectacle avait scandalisé la foule par sa forme inhabituelle. Probablement en avance sur son temps, le spectacle et son chorégraphe, Vaslav Nijinski, se verront encensés l’année suivante.
Le sacre du printemps est un ballet qui révolutionnera la danse, amenant celle-ci vers une forme plus moderne. La musique d’Igor Stravinski s’imposera comme une des œuvres les plus marquantes du 20e siècle. Les oreilles expertes se rappelleront en avoir entendu une partie dans Fantasia, de Walt Disney. Le sacre du printemps se voulait au départ sans intrigue, évoquant des rites païens, des bacchanales, et un sacrifice au dieu du printemps.
Hélène Blackburn transpose l’effervescence du printemps dans le corps même de ses danseurs, interprétant de jeunes femmes et hommes au coeur de l’adolescence. La dynamique du mouvement est fougueuse, énergique, voire furieuse ; si les mouvements s’ouvrent et se ferment sans cesse, les hanches des femmes démontrent beaucoup de sensualité directe et le reste du corps un automatisme dramatique. Exigeante, la chorégraphie n’a que très peu de temps mort, et quand les danseurs s’arrêtent, c’est pour que le public puisse lire certaines citations sur un écran rectiligne en fond de scène ; un écran qui sera aussi utilisé pour quelques images captées en direct. Du ballet classique à la danse contemporaine en passant par quelques mouvements de danses plus populaires, les inspirations sont nombreuses, mais forment un tout extrêmement cohérent et homogène. Les danseurs, absolument exceptionnels, poussent le clin d’œil à l’œuvre originale encore plus loin en comptant souvent les temps lors de leur prestation. Ils font ainsi référence à la première parisienne, extrêmement chaotique, où les spectateurs chahutaient et se révoltaient, et où Nijinski, en coulisse, devait crier ses indications aux interprètes qui n’entendaient même plus l’orchestre.
La musique de Stravinski est complètement revisitée par Martin Tétreault, qui la fait entrer de plein fouet dans le 21e siècle. La trame classique et orchestrale se donne des airs électros, voire tribaux ; si la cadence est littéralement imposée par des clics secs et précis, Samuel Thériault apporte une couleur encore plus moderne et mordante en scratchant en direct, sur scène.
Plusieurs grands chorégraphes ont monté leur version du Sacre du printemps. Pensons à Pina Bausch, Emanuel Gat ou très récemment à Jean-Claude Gallotta. Variations S d’Hélène Blackburn se rapproche un peu de l’idée de Gallotta, en évinçant l’unique sacrifiée pour glorifier toutes les femmes de la troupe. Ici, personne n’y passe, mais personne n’en sort indemne. C’est le geste séducteur, c’est l’éternel questionnement, c’est le désir et le rejet de chacun et chacune. C’est l’intense éclosion de la vie à l’intérieur d’elle-même, c’est une bombe passionnelle qui vibre et explose. L’adolescence dans tous ses états.